Les juges doivent veiller au respect des droits linguistiques
La CSC vient confirmer l'égalité du français et de l'anglais devant les tribunaux fédéraux
Toute personne, y compris le témoin, se présentant devant les tribunaux fédéraux doit pouvoir exercer librement son droit de s’exprimer dans la langue officielle de son choix. C’est ce qu’a tranché la Cour suprême du Canada en rendant sa décision dans l’arrêt Mazraani.
« C'est une très belle décision qui répond aux attentes de l'ABC en matière de droits linguistiques et d'accès à la justice », affirme Me Nicolas Rouleau qui a représenté l’Association du Barreau canadien dans son intervention dans cette affaire. « La décision vient clairement confirmer l'égalité du français et de l'anglais devant les tribunaux fédéraux. »
La décision tournait autour d’un litige impliquant un ex-représentant d'Industrielle Alliance, Kassem Mazraani, qui réclamait l'admissibilité à l'assurance-emploi. Mazraani, un anglophone unilingue se représentait seul. Cependant, les témoins et l’avocat d'Industrielle Alliance, qui, à titre d’intervenant, avait un intérêt dans le résultat de la décision, demandaient de témoigner en français. Encouragés par le juge, ils ont dû s’exprimer en anglais. Industrielle a porté en appel le jugement de la Cour canadienne de l’impôt, qui a tranché en faveur de Mazraani, aux motifs que les droits linguistiques de ses témoins avaient été enfreints . La Cour d’appel fédérale a ordonné la tenue d’une nouvelle audience devant un juge différent.
L’ABC est intervenue devant la Cour suprême pour affirmer qu'un tribunal fédéral doit offrir des services en français et en anglais activement et sans délai. « Cette obligation constitutionnelle exige du tribunal qu’il s’informe des besoins des plaideurs et des témoins, qu’il avise les témoins et les parties de leurs droits linguistiques, et qu’il fournisse des services d’interprète sans délai » affirme Me Rouleau. Autrement, un tribunal qui ne prend pas de telles mesures mine les droits linguistiques et l’accès à la justice des collectivités de langues minoritaires, en particulier les francophones et les plaideurs non représentés.
D’ailleurs, la cour a insisté sur le fait que les tribunaux fédéraux doivent prévoir en conséquence les ressources qu’il faut et, si nécessaire, obtenir un service d'interprète.
« Ce que la cour vient confirmer, c’est un droit fondamental et qui ne dépend pas de facteurs externes, par exemple la langue maternelle de la partie à l’instance ou du témoin », explique pour sa part Me François Larocque, du cabinet Juristes Power, qui représentait l'Association des juristes d'expression française de l'Ontario, également intervenant devant la Cour suprême.
Par ailleurs, on n'a pas à présenter une demande particulière ou suivre une procédure spéciale, explique Me Rouleau. « Le particulier ne devrait pas avoir à faire davantage que de s’exprimer dans la langue officielle de son choix pour exercer son droit ».
Me Rouleau souligne aussi qu’il « incombe aux juges des tribunaux fédéraux et aux tribunaux même de veiller au respect des droits linguistiques des témoins, des parties et de toute personne qui comparaît en cour ». C’est donc dire que « les juges ne peuvent demander à une personne de s’exprimer dans une autre langue officielle que la langue de son choix ». Sur cette question, Me Larocque précise que la Cour reconnaît qu’il y a aussi une obligation déontologique qui pèse sur les avocats de bien conseiller leurs clients au sujet de leurs droits linguistiques, « mais que cette obligation est complémentaire à l’obligation qui incombe aux juges ».
La Cour suprême du Canada a ordonné la tenue d’une nouvelle audience devant la Cour canadienne de l'impôt.