Les Panama Papers
Quelques réflexions sur la confidentialité, le secret professionnel et la protection des données.
À l’écriture de ces lignes, la plus importante fuite de données de l’histoire – 11,5 millions de documents extraits de 40 ans d’archives du cabinet panaméen Mossack Fonseca – venait de faire les manchettes. Ce n’est que le début d’une saga qui promet d’avoir connu moult rebondissements au moment où vous lirez ceci, mais qui abonde déjà en questions d’ordre éthique pour les juristes. Voici trois d’entre elles.uits m’incite à me poser des questions.
1. Protection des renseignements confidentiels
L’un des associés donnant son nom au cabinet, Ramon Fonseca, affirme qu’« une fois l’orage passé, les gens vont comprendre qu’un seul crime a été commis : un piratage » (à ne pas confondre avec une fuite). Quoi qu’il en soit, il y a eu divulgation d’un immense volume de communications écrites couvertes par le secret professionnel. Si des avocats ont contribué à la fuite, espérons qu’ils ne seront plus avocats bien longtemps. Et qu’on ait ou non réellement piraté les systèmes de Mossack Fonseca, il y a lieu de s’interroger sur l’efficacité des mesures que prennent les firmes pour protéger les renseignements de leurs clients. Les cabinets juridiques de partout dans le monde devraient vérifier que les leurs respectent les normes actuelles.
2. Secret professionnel
Certains excusent les responsables de la fuite/du piratage, plaidant qu’ils ont dévoilé des affaires d’évasion fiscale, de corruption et de blanchiment d’argent, et mis en lumière le rôle des avocats dans ces délits. S’il y a eu recours aux services d’un avocat pour faciliter un crime, le privilège du secret professionnel ne sera d’aucune protection. Cela dit, tous reconnaîtront qu’il y a des raisons légitimes de constituer une société extraterritoriale. On peut aussi présumer que les clients n’ont pas renoncé au privilège : en effet, la renonciation doit être intentionnelle, ce qui ne peut être le cas lorsqu’il y a fuite ou piratage. Et comme l’observe Josh Gerstein sur Politico.com, il est généralement contraire à l’éthique pour un procureur (ou un avocat, au civil) d’examiner des documents qui ont été divulgués involontairement et sont, de prime abord, couverts par le secret professionnel. Ce n’est pas qu’une question d’admissibilité : les documents ne doivent pas être lus, même s’ils sont aisément accessibles sur Internet.
3. « C’est légal » : une excuse suffisante?
Face à tout le battage médiatique, Mossack Fonseca a déclaré que « constituer des sociétés est une tâche normale de l’avocat », et qu’« il est légal et courant qu’une société établisse des entités commerciales extraterritoriales, pour une variété de motifs légitimes ». Mais il est tout aussi courant, et pourtant d’une légalité douteuse, que des personnes physiques et morales recourent à ce procédé pour cacher leur fortune à un conjoint, à des créditeurs ou au fisc. Aux critiques accusant les avocats de faciliter des pratiques commerciales discutables, est-ce suffisant de répliquer « c’est légal »? Qu’en est-il de « c’est légal, pour autant que l’on sache », ou « c’est probablement légal »? Comment nos réponses à ces questions influenceront-elles la confiance du public envers la profession et l’administration de la justice?
Mossack Fonseca soutient fièrement n’avoir jamais été accusé en lien avec un acte criminel. Soit, mais en 2012 et en 2013, les autorités régulatrices des îles Vierges britanniques l’ont mis à l’amende pour de multiples violations des protections contre le blanchiment d’argent. Sur son site Web, le cabinet vante en outre son expertise dans les paradis fiscaux pour les mieux nantis de ce monde : Nevada, Wyoming (deux états américains d’un laxisme réglementaire notoire – un professeur confiait à Reuters en 2011 que « même la Somalie a des standards légèrement supérieurs »), Costa Rica, Hong Kong, Bahamas...
À quel moment un avocat se fait-il complice d’agissements répréhensibles?