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Une approche unifiée?

Selon les experts, il reste de nombreux obstacles à surmonter avant de réussir une approche plus unifiée.

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La plus haute cour du Canada a autorisé l’adoption d’une approche plus unifiée de la réglementation des valeurs mobilières à l’échelle du pays. Cependant, selon les experts, la création d’un organe de réglementation des valeurs mobilières fondé sur la coopération devra surmonter maints obstacles.

Dans une décision unanime rendue en novembre 2018, la Cour suprême du Canada a conclu au caractère constitutionnel du régime coopératif de réglementation des marchés des capitaux (RCRMC), infirmant une décision de la Cour d’appel du Québec selon laquelle le régime excédait la compétence du gouvernement fédéral pour prendre des décisions en matière de commerce.

Le RCRMC vise à remplacer le régime de réglementation des valeurs mobilières en place dans les régions qui y participent par un cadre réglementaire unifié. 

Il comprend une loi modèle qui deviendrait la législation applicable dans l’ensemble des provinces et territoires participant, ainsi qu’une loi fédérale, permettant au gouvernement canadien de réglementer les risques systémiques qui touchent les marchés des capitaux.

Dans l’absolu, le RCRMC instaurerait ce que John M. Tuzyk appelle  « un guichet unique », soit une approche pancanadienne unifiée de la réglementation des valeurs mobilières.

Toutefois, l’associé dans le cabinet Blake, Cassels & Graydon, basé à Toronto, fait remarquer que certaines provinces n’ont pas accepté de participer au RCRMC.

Le régime coopératif est actuellement appuyé par le gouvernement fédéral ainsi que par les gouvernements de l’Ontario, de la Colombie-Britannique, du Nouveau-Brunswick, de l’Île-du-Prince-Édouard, de la Saskatchewan et du Yukon.

Ses défenseurs disent du RCRMC qu’il va créer un système plus efficient pour les marchés des capitaux en simplifiant la réglementation afin de protéger les investisseurs et de gérer le risque systémique.

Cependant, des experts comme Me Tuzyk conviennent que le RCRMC devra surmonter maints obstacles quant à sa mise en œuvre et à son fonctionnement à l’avenir.

Contexte

L’idée d’un organe national de réglementation des valeurs mobilières existe depuis plus de 80 ans, dit Barbara Hendrickson, chef de la direction et fondatrice de BAX Securities Law à Toronto.

« Il s’agit d’un domaine de réglementation dans lequel les gens demandent depuis longtemps que des changements soient faits », dit Me Hendrickson, qui reconnaît que l’Association du Barreau canadien est l’un des chefs de file de la promotion de ce changement.

En 1935, la Commission royale d'enquête sur les écarts de prix recommandait que le Canada établisse une commission nationale des valeurs mobilières. Depuis lors, nombreuses ont été les tentatives de développement d’un cadre pancanadien pour les marchés des capitaux. 

« Les organes provinciaux de réglementation des valeurs mobilières ont travaillé pendant longtemps pour unifier leurs règles quant à ce qui a été décrit comme des instruments nationaux », déclare Me Tuzyk.

En vertu de ce système, les organes provinciaux de réglementation des valeurs mobilières utilisaient un système de passeport accordant à chaque émetteur une « compétence principale », explique-t-il.

« L’idée derrière le système de passeport était que les organes provinciaux de réglementation se fonderaient largement sur la gestion effectuée par l’organe de réglementation principal. Si vous faisiez affaire dans une province et qu’elle vous accordait une autorisation, une autre province se fierait largement à cela et ne réaliserait pas d’enquête ou d’examen approfondi, sans pour autant abandonner sa compétence », explique Me Tuzyk.

Il ajoute que le régime s’est fissuré lorsque l’Ontario a refusé de participer au système de passeport pour tenter d’amener le reste du Canada à créer un organe national de réglementation des valeurs mobilières. 

Puis, en 2011, la Cour suprême du Canada a rejeté la création d’un organe fédéral de réglementation des valeurs mobilières.

À l’époque, la Cour a conclu que le gouvernement fédéral ne possédait pas la compétence constitutionnelle nécessaire pour créer un organe national de réglementation puisque les provinces étaient compétentes pour prendre les décisions quotidiennes concernant les marchés des capitaux.

Andrea Laing, aussi associée dans le cabinet Blakes, déclare qu’à la lumière d’une lecture minutieuse de la décision rendue par la Cour suprême du Canada en 2011, elle n’a pas été surprise par la décision unanime rendue en 2018.

« Je ne considère pas les deux arrêts comme étant diamétralement opposés », dit-elle. « À mon avis, la seconde décision est fermement ancrée sur les bases posées en 2011 lorsque la Cour suprême a rejeté l’idée de législation fédérale en matière de valeurs mobilières. »

La première affaire a posé les bases d’un régime coopératif de réglementation des valeurs mobilières auquel participeraient le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux en suggérant « qu’ils pourraient collaborer dans des domaines hors de leur compétence législative », dit Me Laing, qui exerce dans les domaines du contentieux des sociétés et du commerce à Toronto.

Défis qui se posent au RCRMC

Les experts sont tous d’accord : même si le RCRMC a été réputé constitutionnel, il reste de nombreux obstacles à surmonter.

Chacune des provinces qui souhaitent faire partie du cadre coopératif de réglementation des valeurs mobilières devra désormais adopter la législation normalisée qui remplacera les lois actuelles sur les valeurs mobilières. 

« Chaque région doit adopter une législation rigoureusement similaire à celle des autres, sans quoi le régime ne pourra pas fonctionner correctement », affirme Me Tuzyk.

Cela pourrait être difficile, dit Me Laing, « en raison d’un haut degré de renouvellement du leadership au palier provincial ».

« L’une des choses que nous attendons de voir, c’est si les provinces qui avaient, au départ, appuyé le système coopératif souhaitent continuer à le faire », ajoute-t-elle.

En outre, le rejet de l’organe de réglementation des valeurs mobilières par certaines des provinces constitue l’une des principales difficultés présentées par le RCRMC.

« Certaines provinces, principalement l’Alberta et le Québec, ne voient pas d’un œil très favorable la participation du gouvernement fédéral à la réglementation des valeurs mobilières et souhaitent que ces activités continuent à relever exclusivement de la compétence provinciale », dit Me Tuzyk.

Me Hendrickson, qui a exercé dans les domaines du droit des valeurs mobilières et des sociétés pendant plus de 20 ans, décrit le RCRMC sous sa forme actuelle comme une « collection de mesures disparates ».

« Les deux provinces récalcitrantes, soit l’Alberta et le Québec, pourraient gêner les efforts de création d’un régime canadien de réglementation des valeurs mobilières », dit-elle. « Si vous considérez le Canada d’un point de vue international, vous allez devoir traiter avec trois entités. »

Selon Me Tuzyk, il s’agit d’une difficulté que devra surmonter le nouveau régime de réglementation des valeurs mobilières.

« L’inconnu, c’est la mesure dans laquelle ce nouvel organe de réglementation harmonisera l’administration avec celles des provinces qui n’y participeront pas. Nous ne savons pas quelle sera l’interface entre le nouvel organe de réglementation et les provinces comme le Québec et l’Alberta et les autres qui n’ont pas encore décidé de participer et dont il semble improbable qu’elles le fassent », dit-il. « Il y a un risque que la situation soit pire qu’avant que l’Ontario ne se retire du système de passeport. »