Comment appliquer la Loi sur la concurrence
Un panel de l'ABC s'intéressera aux pressions exercées sur le Canada pour qu'il réforme son régime.
Le système canadien d’application du droit de la concurrence est depuis longtemps considéré comme trop faible par des critiques, ce qui permet une trop grande concentration du pouvoir parmi les chefs de file nationaux au sein d’industries comme le transport et les télécommunications, et ce, au détriment des petits acteurs et des consommateurs.
Tout cela pourrait changer, car le gouvernement fédéral promet une refonte de la Loi sur la concurrence du Canada, vieille de plusieurs décennies, à la suite de consultations où divers intervenants se sont prononcés, dont le commissaire de la concurrence lui-même, Matthew Boswell.
Lors d’une intervention extraordinaire, M. Boswell, dirigeant de l’organisme chargé de la politique de la concurrence, a rendu public en mars un mémoire qui comprenait cinquante recommandations visant à « contribuer à la modernisation et au renforcement » de la Loi sur la concurrence, qu’il considère comme « désuète, faible, complexe, lente et dépassé ».
M. Boswell appelle le Bureau de la concurrence à acquérir des pouvoirs accrus pour faire appliquer des injonctions afin de temporairement mettre un terme aux fusions anticoncurrentielles, de commander des études de marché et d’obliger les entreprises à fournir davantage d’informations tout en permettant aux parties privées de contester plus facilement les fusions anticoncurrentielles, comme c’est le cas aux États-Unis.
Le Canada est depuis longtemps considéré comme un pays qui ne met pas l’accent sur la concurrence dans ses priorités économiques, comme le font les États-Unis, l’Europe, le Royaume-Uni ou l’Australie. « C’est pourquoi nous observons une économie très concentrée et constatons que de multiples oligopoles contrôlent notre économie dans différents secteurs », déclare M. Boswell.
Une nouvelle loi pourrait entraîner des changements importants dans la conception institutionnelle du régime canadien du droit de la concurrence et mieux harmoniser ce régime avec ceux d’autres territoires de compétence. Pour discuter de ces possibles changements, la Conférence de l’ABC sur le droit de la concurrence à Toronto (27 avril) présentera un examen comparatif d’organismes de la loi en matière de concurrence.
« Il est temps de vérifier si notre processus fonctionne comme prévu, croit Susan Hutton, associée principale du groupe Concurrence et investissements étrangers chez Stikeman Elliott, à Ottawa, qui animera la table ronde. La conception institutionnelle consiste à savoir qui peut prendre les décisions et comment ces décisions sont portées en appel, et à déterminer si le décideur est distinct de l’enquêteur et du procureur. »
Le Canada dispose d’un système de poursuite où le Bureau de la concurrence a peu de pouvoirs pour agir. En fait, il doit s’adresser au Tribunal de la concurrence et plaider sa cause, comme nous l’avons vu récemment avec la fusion Rogers-Shaw dans le secteur des télécommunications. Dans cette affaire, le tribunal a rejeté les efforts du bureau visant à empêcher la fusion.
Un autre panéliste, Michael Phelan, juge à la retraite de la Cour fédérale du Canada et ancien membre du Tribunal de la concurrence, croit que le système mis au point dans les années 1970 et 1980 a bien servi le Canada, mais qu’il n’est peut-être plus adapté à son objectif.
« Lors de la mise en place du système, certaines industries étaient totalement réglementées. Le monde a tellement changé, tout comme les voies de distribution. »
Pourtant, Me Phelan est réticent à abandonner l’approche des poursuites en matière d’application du droit de la concurrence, ce qui contraste avec le modèle administratif de la Commission européenne, qui dispose d’une large marge de manœuvre pour émettre des ordonnances.
« Le fait que le bureau perde des causes n’est pas une bonne raison de réorganiser l’ensemble du système », déclare-t-il dans un entretien publié dans l’ABC National. Il reste favorable à une séparation entre l’organe administratif (le bureau) et le décideur ultime, admettant que son point de vue reflète son expérience en tant que plaideur dans la pratique privée.
Pourtant, malgré sa réticence à accorder trop de pouvoirs supplémentaires au bureau, Me Phelan croit qu’une réforme est nécessaire. Dans un monde en évolution, la rapidité d’exécution est un problème, et les cas ont tendance à s’étendre sur une trop longue période. Une possibilité serait de donner au Tribunal de la concurrence des délais précis pour rendre des décisions.
Me Phelan, actuellement avocat principal chez Conlin Bedard à Ottawa, semble également favorable à donner aux parties privées le droit de poursuite pour réparation contre des mesures anticoncurrentielles, comme cela se fait aux États-Unis. Bien qu’il ne recherche pas un changement radical, il croit que le temps est venu pour les Canadiens de se débarrasser de cette idée selon laquelle l’économie a besoin d’oligopoles, car les entreprises canadiennes sont trop faibles et trop petites pour être concurrentielles parmi les grands acteurs mondiaux. « En fait, c’est une approche terrible pour un pays », dit-il.
Pour sa part, Anthony Di Domenico, associé et codirigeant du groupe Concurrence, commercialisation et investissements étrangers chez Fasken, à Toronto, est d’avis que le régime du droit de la concurrence a besoin de quelques « ajustements », mais il s’oppose à tout changement radical. « Je ne crois pas qu’une redéfinition fondamentale du rôle du bureau soit nécessaire, car il dispose d’un nombre important d’outils d’administration et d’application de la loi. »
En particulier, Me Di Domenico s’oppose à toute érosion de l’approche des poursuites en matière d’application du droit de la concurrence, ce qui permettrait au bureau d’enquêter, d’intenter des poursuites et de statuer sur certains cas. « Vous ne pouvez pas conserver le bureau comme organisme d’application de la loi et lui accorder des pouvoirs de prise de décision. »
De même, il n’est pas d’accord avec les gens qui soutiennent que l’approche de la Loi sur la concurrence est dépassée et ne convient plus à une économie numérique mondialisée. « Je ne pense pas que la loi soit si fondamentalement inappropriée qu’elle ne puisse s’adapter à une économie se fondant sur les services et technologies. »
Nicole Kar, avocate formée en Australie et responsable mondiale des régimes antitrust et des investissements étrangers chez Linklaters à Londres, et Russell Damtoft, directeur associé du bureau des affaires internationales de la Federal Trade Commission, à Washington, participeront également à la table ronde.
En tant que fonctionnaire, M. Damtoft parlera de la manière dont les régimes antitrust fonctionnent dans différents territoires de compétence. Son patron, la présidente de la FTC, Lina Khan, a déjà clairement indiqué sa position en ce qui concerne les modifications potentielles au système canadien.
Dans une lettre de neuf pages faisant suite à la consultation de 31 mars, Mme Khan et Jonathan Kanter, procureur général adjoint de la division antitrust du ministère de la Justice des États-Unis, affirment que leur point de vue ne se veut pas une recommandation sur la loi la plus appropriée pour le Canada, mais représente un effort pour donner au Canada le bénéfice de son expérience. Ni l’une ni l’autre n’a beaucoup réfléchi à l’utilisation par le Canada de la défense fondée sur les gains en efficience, qui accorde la priorité à l’efficacité économique par rapport au bien-être des consommateurs et d’autres intervenants, lorsqu’il est question d’autoriser des fusions.
« Selon notre expérience, les gains en efficience sont souvent revendiqués, mais rarement prouvés », disent-ils dans la lettre, notant que ces revendications sont souvent vagues ou spéculatives et que d’autres pays partagent le scepticisme des États-Unis.
Aussi, les deux représentants américains soutiennent implicitement le Bureau de la concurrence dans sa quête d’obtenir l’autorité de mener des études de marché et de forcer la production d’informations, croyant que ces études « renforcent le programme d’application de la loi et les efforts de représentation de la FTC ».
La lettre souligne également l’existence de pressions au Canada visant à éliminer les délais de prescription d’un an pour contester les fusions en dehors du régime de notification et rappelle aux lecteurs qu’aucun délai de prescription semblable ne s’applique aux États-Unis.
Enfin, les responsables des régimes antitrust écrivent : « Le fait qu’il n’y ait pas de délai de prescription pour empêcher les transactions constitue un aspect précieux du régime des États-Unis. S’il y en avait, cela nuirait sensiblement à notre capacité à empêcher les fusions, ce qui, en fin de compte, diminuerait la concurrence. »