Une transition critique
L’ambition du Canada d’approvisionner le monde en minéraux critiques devra concorder avec ses efforts de réconciliation.
« Pas de minéraux, pas de transition. »
C’est la conclusion sans appel d’un important analyste des matières premières. Prenant la parole récemment lors d’un congrès à Londres, Max Reid, du cabinet Wood Mackenzie, a déclaré que le monde ne produisait pas suffisamment d’éléments fondamentaux pour fabriquer les batteries et les panneaux solaires qui nous permettront d’atteindre la carboneutralité.
Alors que les gouvernements mettent les bouchées doubles pour respecter leurs engagements climatiques, la demande pour des métaux comme le lithium, le cuivre et le nickel devrait grimper en flèche au cours des dix ou vingt prochaines années. Déjà, les prix du lithium ont plus que décuplé depuis 2020. Les minéraux jugés « critiques » sont de plus en plus considérés comme une question d’importance stratégique et de sécurité nationale, alors que les approvisionnements sont menacés par la guerre en Ukraine et les tensions avec la Chine.
« Les pays ont pris conscience de cette nouvelle réalité », à savoir qu’ils doivent accélérer l’extraction des minerais, avance Elizabeth Steyn, professeure adjointe en droit minier à l’Université Western. « L’exploitation minière devrait être une priorité urgente pour le Canada. Il va y avoir un énorme écart entre ce qui est produit et ce qui est nécessaire. »
Non pas que le Canada ne veuille pas combler le vide, mais l’ouverture de nouvelles mines peut prendre des décennies. Le processus d’approbation est notoirement long dans ce pays – un problème que le gouvernement fédéral essaie de régler avec son ambitieuse stratégie sur les minéraux critiques, dévoilée en décembre. Cette stratégie fait suite à l’adoption en 2019 de la Loi sur l’évaluation d’impact, qui vise notamment à simplifier le processus d’évaluation des impacts environnementaux, sanitaires et sociaux des grands projets miniers.
Question de compliquer encore les choses, les métaux et minéraux canadiens se trouvent presque entièrement sur des terres ancestrales autochtones. Les projets qui empiètent sur les terres ou les droits des Autochtones nécessitent leur « consentement libre, préalable et éclairé » (CLPE), maintenant que le Canada et la Colombie-Britannique ont adopté des lois prévoyant la mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA).
Cet enjeu repose en grande partie sur l’interprétation du CLPE – qu’il ne faut pas confondre avec l’obligation de consulter que la Couronne doit aux groupes autochtones en vertu de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et qui leur garantit un processus de négociation, pas un droit de veto. Arriver à une compréhension claire du CLPE pourrait conduire à un processus plus prévisible de délivrance des permis d’exploitation minière. En plus de répondre aux revendications territoriales des Premières Nations, les gouvernements et les tribunaux évalueront les implications potentielles du CLPE pendant des années. Un plan d’action fédéral pour la mise en œuvre de la DNUDPA est toujours en préparation; on ne sait pas quand il sera déposé ni à quel point il sera détaillé.
« Qui sont les détenteurs de droits, où détiennent-ils ces droits et quels droits détiennent-ils? C’est un gros casse-tête pour les collectivités et les exploiteurs de ressources », reconnaît Gordon Campbell, avocat principal chez Aubry Campbell MacLean.
« Trouver les moyens de clarifier ces questions serait bénéfique pour les communautés touchées, pour les pouvoirs publics et pour les promoteurs », déclare pour sa part Cherie Metcalf, professeure agrégée à la Faculté de droit de l’Université Queen’s. « Il est impératif de nouer le dialogue avec les Autochtones pour définir un cadre susceptible d’intégrer leurs droits, leurs lois et leur rôle décisionnel de façon appropriée. »
Si vous avez le moindre doute à ce sujet, pensez seulement à la région du Cercle de feu de l’Ontario ; une région de 5 000 km2 riche en minerai située sur le territoire visé par le Traité no 9 et dont l’exploitation est en grande partie bloquée à la phase de planification.
Du côté du fédéral, même si la Loi sur l’évaluation d’impact adopte une position plus ferme sur les droits et la culture des groupes autochtones, le gouvernement conserve toujours le pouvoir décisionnel.
« L’État canadien en est encore à l’ère où il est le seul décideur, alors que nous sommes aujourd’hui à l’ère de l’autodétermination », lance Sara Mainville, associée du cabinet JFK Law, qui conseille l’Assemblée des Premières Nations. « Nous ne sommes pas contre le développement [responsable], mais dans un cadre véritablement fondé sur le consentement, il faut être prêt à entendre “non”. »
Certes, les collectivités autochtones ne parlent pas d’une seule voix, et beaucoup sont défavorables au développement. Ce sera une question particulièrement difficile à résoudre, estime Me Mainville. Le projet de lithium à Nemaska (Québec), situé en territoire cri, illustre bien les divisions que peuvent connaître des communautés sur la question des impacts potentiels d’un projet minier sur l’environnement et la vie sauvage.
Jusqu’à présent, le gouvernement fédéral maintient sa position selon laquelle les groupes autochtones n’ont pas de droit de veto sur les grands projets, un point de vue partagé par l’Association minière du Canada (AMC). Le ministre de la Justice, David Lametti, a fait valoir que « le CLPE est un processus », que « son application dépendra du contexte » et qu’il est donc « impossible de le définir précisément d’entrée de jeu ». Mais un rapport d’experts commandé par la ministre de l’Environnement et publié en 2018 indique explicitement que les Autochtones devraient avoir le droit de donner ou non leur consentement, bien qu’on ne sache pas précisément jusqu’où s’étend le « droit de dire non ».
Des parties prenantes trouvent néanmoins les moyens d’agir malgré l’incertitude. Des projets de développement coopératif, menés en partenariat, sont déjà en cours dans de nombreuses régions. Metcalf cite le récent accord conclu entre la Colombie-Britannique et les Premières Nations de la rivière Blueberry comme « modèle prometteur pour apporter la certitude et la prévisibilité » dont l’industrie a besoin tout en assurant le respect des droits des Autochtones et du rôle de l’État en matière de délivrance de permis.
Bon nombre des plus grandes sociétés minières du monde ont déclaré qu’elles acceptaient la nécessité de travailler avec les collectivités locales. Elles reconnaissent qu’elles ont besoin d’une approbation locale et d’une acceptabilité sociale pour mener leurs activités.
Avec la flambée du prix des métaux, elles sont désireuses de conclure des accords, comme en témoigne le nombre croissant d’ententes sur les répercussions et les avantages (ERA) visant à favoriser la participation des Autochtones aux projets de développement. Au moment d’écrire ces lignes, ce nombre s’élevait à 520, contre 350 il y a 5 ans, selon l’Association minière du Canada. Les conditions des ERA ne sont habituellement pas rendues publiques, ce qui suscite des inquiétudes quant à la transparence et à l’équité de ces accords. Leur généralisation laisse néanmoins espérer que l’ambition du Canada d’approvisionner le monde en minéraux critiques pourra être conciliée avec les intérêts des Autochtones.