Examens liés à la sécurité nationale
Leur multiplication oblige les juristes spécialisés en fusions et acquisitions à se familiariser avec les subtilités des différents régimes.
En mai 2020, TMAC Resources Inc. a annoncé qu’elle avait accepté d’être vendue à Shandong Gold Mining Co., une entreprise d’État chinoise, pour 230 millions de dollars. Dans les mois qui suivirent, la transaction a été approuvée par les actionnaires de TMAC, un tribunal de l’Ontario et les autorités fédérales en matière de concurrence.
Mais en décembre 2020, le projet de vente était déjà mort dans l’œuf. Le gouvernement canadien a bloqué la transaction à la suite d’un examen au regard de la « sécurité nationale ». Aucune raison précise n’a été fournie, mais la logique était évidente : le principal actif de TMAC était la mine d’or de Hope Bay au Nunavut, une région névralgique de l’Arctique où le Canada entend affirmer sa souveraineté territoriale.
Tout cela s’est déroulé alors que commercialement, les couteaux volaient bas avec la Chine. Rappelons-nous le froid qui a suivi la détention arbitraire de Michael Kovrig et Michael Spavor, représailles à l’arrestation par le Canada de la cadre des télécommunications Meng Wanzhou, à la demande des États-Unis où elle était recherchée pour fraude.
L’affaire TMAC est la preuve que le régime de sécurité nationale du Canada a du mordant lorsqu’il s’agit de fusions et d’acquisitions. C’est aussi un domaine d’exercice qui occupe une place grandissante dans l’esprit des juristes spécialisés dans le droit de la concurrence. À tel point que la question sera sous les projecteurs lors de la conférence d’automne de l’ABC sur le droit de la concurrence, qui se tiendra à Ottawa les 20 et 21 octobre, dans le cadre d’une séance sur l’approbation des fusions et les examens en matière de sécurité nationale.
Le Canada a longtemps examiné les grandes acquisitions étrangères sous l’angle de la règle de l’« avantage net ». Mais au fil du temps, le seuil de pertinence s’est élevé, au point où une transaction initiée par un acheteur étranger venant d’un proche allié commercial comme les États-Unis ou le Royaume-Uni doit avoir une valeur d’entreprise d’au moins 1,7 milliard de dollars pour que la transaction fasse l’objet d’un examen.
On a vu apparaître officiellement les examens au regard de la sécurité nationale en 2009, lorsque le gouvernement canadien a modifié la Loi sur Investissement Canada pour pouvoir examiner tout investissement susceptible de « porter atteinte à la sécurité nationale ». Contrairement à ce qu’on voyait dans le régime de l’« avantage net », aucun seuil en dollars n’a été fixé.
Avec le régime initial, le gouvernement avait une grande marge de manœuvre pour déterminer ce qui touchait à la sécurité nationale. « C’était une vraie boîte noire », se souvient Ian MacDonald, associé chez Gowlings WLG à Toronto, spécialisé dans le droit de la concurrence et des investissements étrangers, qui animera la séance. « Ils ont très délibérément adopté une approche du type “vous le saurez quand vous l’aurez vu”, de sorte que les investisseurs étrangers et leurs conseillers ne disposaient d’aucune piste. »
Ce n’est que sous la forte pression du barreau que le gouvernement a publié en 2016 des lignes directrices détaillées sur les examens relatifs à la sécurité nationale, qui énoncent une liste de neuf facteurs à prendre en compte, notamment les ressources de défense nationale du Canada, les infrastructures essentielles et l’approvisionnement en biens et services essentiels.
« Les lignes directrices se concentraient presque exclusivement sur les caractéristiques de l’entreprise cible. En ne lisant que ce document, on pouvait penser qu’une société ouverte américaine qui tentait d’acheter une entreprise canadienne sensible posait le même risque qu’une entreprise d’État chinoise. Mais les gens qui pratiquaient dans ce domaine savaient que ce n’était pas le cas. »
Me MacDonald explique qu’une fois qu’Ottawa a commencé à publier des statistiques sur les examens, une tendance claire s’est dessinée. La majorité des examens officiels concernaient des investisseurs de la Chine ou d’autres pays non démocratiques comme la Russie. Les entreprises d’État étaient également visées.
« Selon moi, le gouvernement considère que les caractéristiques de l’acheteur sont beaucoup plus importantes que celles de l’entreprise ciblée lorsqu’on parle de risque », conclut Me MacDonald, qui cite en exemple la tentative d’achat en 2013 d’Allstream, un réseau de fibres optiques appartenant à Manitoba Telecom Services Inc. (MTS). L’acheteur était une entreprise contrôlée par un milliardaire égyptien des télécommunications.
Le gouvernement a bloqué la vente. Deux ans plus tard, une société américaine a été autorisée à acheter Allstream « sans aucune réserve ».
Adam Kalbfleisch, associé chez Bennett Jones à Toronto et autre conférencier invité, convient que les caractéristiques de l’acheteur sont importantes, mais que le type d’entreprise visée ne l’est pas moins. L’un des domaines considérés comme délicats est celui des « minéraux essentiels », qui comprennent non seulement le lithium ou l’uranium, mais aussi des minéraux de base comme le cuivre, le nickel et l’aluminium.
Par conséquent, si un acheteur américain a dans sa mire une mine de nickel à Sudbury, en Ontario, cela ne posera probablement pas de problème, mais si l’acheteur est chinois, « alors il n’y a aucune garantie », fait remarquer Me Kalbfleisch. Bien qu’il n’y ait eu que quelques dizaines d’examens complets au regard de la sécurité nationale depuis 2009, environ la moitié des ventes concernées ont été bloquées, 30 % ont été annulées et seulement quelques cas ont reçu le feu vert sans condition.
« Imaginez que vous êtes un investisseur et que vous analysez ces statistiques. C’est comme si vous deviez affronter le lanceur étoile Nolan Ryan à son apogée. C’est loin d’être la situation idéale. Il vaut mieux éviter ces examens si vous le pouvez. »
« Un infime pourcentage des transactions, bien moins d’un pour cent, est déclaré, voire examiné, explique Me MacDonald. Si vous avez un problème, il est probable qu’il soit majeur. Lorsqu’un examen complet est mené, cela se termine le plus souvent de façon désastreuse : soit la transaction n’est pas conclue, soit un dessaisissement est nécessaire. »
Bien qu’elles ne soient pas prescriptives, les lignes directrices encouragent les investisseurs, en particulier les entreprises d’État ou celles impliquées dans des domaines sensibles, à déposer leurs formulaires de déclaration au moins 45 jours avant la date de signature prévue. Ainsi, l’acheteur jouit d’une plus grande certitude, car le gouvernement dispose de 45 jours pour lancer un examen formel.
« De nos jours, les investisseurs négocient parfois pour déposer leurs formulaires avant la clôture de la transaction, même si ce n’est techniquement pas nécessaire. Ils souhaitent assurer leurs arrières avant de dépenser 30 ou 300 millions de dollars », constate Me Kalbfleisch.
Le Canada ne fait pas cavalier seul : les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie ont tous leur régime d’examen en matière de sécurité nationale, tout comme la grande majorité des pays de l’OCDE, affirme Antonia Sherman, cheffe du groupe du droit antitrust et de l’investissement étranger chez Linklaters aux États-Unis, à Washington, une autre conférencière invitée.
« Au cours des dix dernières années, l’investissement étranger, qui n’est pas seulement une question de sécurité nationale, est devenu mondialement un sujet beaucoup plus important », estime Me Sherman, qui note que chaque pays adopte des pratiques différentes. Certains mettent l’accent sur la sécurité nationale, tandis que d’autres se concentrent sur des segments critiques de l’économie, comme l’industrie pharmaceutique, ou alors s’inquiètent des investissements provenant de fonds souverains.
« Les régimes d’investissement étranger se répandent dans le monde entier, avertit Me Sherman. Vous devez en être conscient chaque fois que vous effectuez une transaction avec un acheteur étranger, outre les questions liées aux mécanismes de contrôle des fusions. »
Et s’il existe une certaine uniformité entre les systèmes de contrôle des fusions des différents pays, lesquels systèmes sont généralement axés sur les mesures statistiques, on ne peut pas en dire autant des régimes d’investissement étranger et de sécurité nationale. « On ne sait pas toujours où donner de la tête, parce que cela change d’un pays à l’autre. »
Pour les spécialistes comme Me Sherman, cet environnement en pleine évolution nous invite à « donner beaucoup de formation à l’interne, en particulier aux juristes spécialisés en droit des fusions et des acquisitions. Les juristes qui pratiquent en droit antitrust sont un peu plus au fait de la problématique. Si vous êtes devant une transaction multinationale, il faut absolument tenir l’affaire à l’œil. »