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Colmater la brèche

L’entente passée entre le Canada et le Royaume-Uni pour éviter les tarifs ultérieurs au Brexit n’est pas encore approuvée par le Parlement.

Le commerce au Royaume-Uni

Après une année comme 2020, c’est presque un soulagement d’entendre dire que les choses auraient pu être bien pires sur certains fronts.

Le lent retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, dont la dernière étape a été son retrait de l’union douanière et du marché unique le 31 décembre, a fait peser la menace de perturbations majeures pour des nations commerçantes comme le Canada, qui avaient déjà signé des pactes avec le reste de l’Union européenne. Il semble aujourd’hui que le Canada ait évité, mais de peu, de graves conséquences.

Afin d’éviter d’endommager les chaînes d’approvisionnement canadiennes, le gouvernement fédéral devait combler l’écart entre le retrait définitif du Royaume-Uni de l’Union européenne et la signature d’un nouvel accord commercial pour remplacer l’AECG, le pacte entre le Canada et l’Union européenne, qui avait éliminé plus de 98 % des lignes tarifaires entre les partenaires commerciaux.

En novembre, les gouvernements canadien et britannique ont annoncé qu’ils étaient parvenus à une entente de principe sur un « accord de continuité » qui applique largement les modalités de l’AECG à la relation commerciale entre le Canada et le Royaume-Uni. L’accord doit être approuvé par le Parlement; un processus qui prend généralement des mois. Cependant, parce que l’accord de continuité a été signé trop tard pour que le Parlement l’approuve avant sa pause hivernale, la loi d’autorisation en est restée à la deuxième lecture.

Par conséquent, une grande inquiétude régnait dans les milieux des affaires jusqu’à ce que le gouvernement fédéral annonce, le 22 décembre, la signature d’un protocole d’entente reconduisant les modalités de l’AECG jusqu’à la ratification de l’accord de continuité. Plus tard ce mois-là, il a publié le Décret de remise pour la continuité commerciale avec le Royaume-Uni qui autorise les entreprises à remettre les droits de douane qu’elles auraient dû payer sur les importations en provenance du Royaume-Uni; décret qui s’applique jusqu’à l’entrée en vigueur de l’accord de continuité.

Si l’accord de continuité était une mesure provisoire, le protocole d’entente et le décret de remise sont des palliatifs pour la mesure provisoire. Les importateurs peuvent maintenant dormir sur leurs deux oreilles.

« L’important, c’est que toutes les brèches aient été colmatées », a dit Valerie Hughes, avocate principale spécialisée en droit du commerce international qui exerce dans le cabinet Bennett Jones à Ottawa.

« Sauf le fait que dans trois ans nous devrons avoir un nouvel accord commercial avec le Royaume-Uni, je m’attends à ce que tout se passe pratiquement sans heurt. »

Sans heurts n’est pas nécessairement synonyme de sans faille. Robert Glasgow, associé qui exerce dans le groupe Droit du commerce et de l'investissement international du cabinet McCarthy Tetrault, a dit que c’est maintenant que les importateurs, petits et grands, doivent examiner à la loupe la paperasse.

« Les importateurs vont devoir être très prudents à ce sujet. Il y a une section dans laquelle ils doivent indiquer un code particulier pour demander la remise des droits de douane pour pouvoir obtenir le taux prévu dans l’AECG », a-t-il dit.

« D’aucuns pourraient négliger l’utilisation du code de remise. Certaines marchandises sont maintenant en transit et des droits de douane vont être imposés. Les importateurs peuvent déposer un avis de correction auprès de l’ASFC. Ils disposent d’un an pour le faire. Toutefois, ce qu’ils devraient faire dès maintenant, c’est obtenir des conseils, consulter un juriste spécialisé en droit du commerce. Autrement, ils vont avoir des problèmes, et c’est en plusieurs semaines que l’attente de l’obtention d’un remboursement va se mesurer. »

Au Canada, a dit Me Glasgow, le protocole d’entente a empêché la survenance de « blocages liés aux tarifs, de perturbations, de ralentissements, voire d’interruptions des approvisionnements. Ce seraient probablement les petits importateurs qui se seraient retrouvés dans la pire situation ».

En gravant dans la pierre les modalités du commerce entre le Canada et le Royaume-Uni, le protocole d’entente a en outre préservé les règles d’origine pour les intrants et produits européens dans les chaînes d’approvisionnent entre le Canada et le Royaume-Uni, empêchant « des séismes profonds au sein de la chaîne d’approvisionnement, avec des augmentations de prix à tous les niveaux ».

Il n’en reste pas moins que la chronologie des développements a profondément inquiété les entreprises qui dépendent de la relation commerciale entre le Canada et le Royaume-Uni. Pourtant, il existe encore un très faible risque de déraillement. Avec un Parlement minoritaire, personne ne peut prévoir avec une certitude absolue le résultat de quelque vote que ce soit, même un sur un sujet qui revêt une importance aussi capitale que l’accord de continuité.

« Que va-t-il se passer si l’opposition refuse d’adopter le projet de loi? Je ne pense pas que cela se produira, mais en théorie, c’est possible. Il serait sidérant que le projet de loi ne soit pas adopté, a déclaré Lawrence Herman, du cabinet Herman and Associates. Les répercussions sur les entreprises canadiennes seraient graves. »

Alors que le fait que le Canada ait échappé de justesse à la situation causée par le Brexit pourrait suggérer un manque de vigilance, Me Glasgow et Me Herman ont dit que le gouvernement fédéral avait probablement fait de son mieux face à une situation difficile.

« Alors que le Canada tentait de passer un accord avec le Royaume-Uni, ce dernier tentait de faire la même chose avec un bien plus grand nombre de partenaires commerciaux, a dit Me Glasgow. Un gouvernement fait face à de nombreuses demandes en temps de crise. En l’occurrence, celui du Royaume-Uni pourrait avoir pensé que puisque l’AECG était un bon accord et que son régime gouvernemental est similaire à celui du Canada, avec lequel il a une relation de longue date, cela éliminerait le risque associé à l’existence d’une brèche. »

« J’en conviens, tout ceci est de la dernière minute, dit Me Herman. Cependant, le gouvernement fédéral a été occupé par la crise du coronavirus, alors que celui du Royaume-Uni a été préoccupé par la pandémie et le Brexit.

« On aurait pu préparer la transition. Les détails auraient pu être annoncés plus tôt pour donner le temps au monde des affaires de réagir. Toutefois, étant donné les circonstances, je pense que nous devons faire preuve d’indulgence. »