Les facteurs ESG et le « triple résultat net »
Les juristes ont un rôle à jouer pour s’assurer que les organisations ont des objectifs crédibles en matière d’environnement, de responsabilité sociale et de gouvernance.
Qu’on le veuille ou non, les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) ne représentent plus un aspect secondaire des affaires. Et les juristes ont un rôle majeur à jouer pour s’assurer que les organisations développent des objectifs clairs, cohérents et crédibles en la matière.
L’évolution des facteurs ESG au cours des dernières années a été remarquable, constate Radha Curpen, associée directrice de Bennett Jones LLP à Vancouver. « Les facteurs ESG sont aujourd’hui scrutés à la loupe, et les exigences relatives au rendement ESG augmentent rapidement. L’ESG peut consolider la réputation d’une entreprise, accroître ses possibilités d’investissement et améliorer ses relations avec les organismes de réglementation. »
Warren Ragoonanan, associé au sein du cabinet WRD LLP à Toronto, dit qu’il préfère parler des facteurs ESG comme du « triple résultat net » d’une organisation.
« C’est l’idée d’exploiter une entreprise qui génère non seulement un rendement financier, mais aussi social et environnemental. J’aime ce cadre de pensée, car il tend à dépolitiser la question. »
Me Ragoonanan, qui exerce le droit des sociétés, recommande aux organisations d’examiner leur impact environnemental et social, et pas seulement leurs résultats financiers. « Une entreprise doit être gérée de manière rentable et efficace, ça reste vrai. Mais il faut aussi tenir compte des considérations sociales et environnementales. »
Me Curpen, qui est responsable des questions ESG au sein de son cabinet, affirme que ne pas avoir d’objectifs ESG clairs est risqué pour les organisations. « Les parties prenantes – investisseurs, employés, clients, organismes de réglementation, fournisseurs, collectivités – cherchent toutes à évaluer les entreprises sur la base de leur rendement ESG. » Ne pas avoir d’objectifs ESG clairs peut ternir la réputation d’une organisation et ainsi compliquer les efforts pour attirer des investisseurs, des parties intéressées et de nouveaux talents. Cela peut également nuire aux relations avec la collectivité.
Les risques varient selon l’organisation. « Le risque d’atteinte à la réputation et le risque financier dépendent en grande partie de la culture des personnes avec qui vous traitez, explique Me Ragoonanan. Si votre organisation compte beaucoup de gens qui se soucient de responsabilité sociale et environnementale, votre négligence de ces facteurs pourrait les pousser à partir. »
Joindre le geste à la parole
Il ne suffit pas de se fixer des objectifs socialement et écologiquement responsables, souligne Me Curpen. Encore faut-il les atteindre. « Une fois qu’une entreprise s’est engagée publiquement, elle est tenue responsable de son engagement, à la fois par le grand public, par les organismes de réglementation, par le marché et par les collectivités dans lesquelles elle mène ses activités – dont les collectivités autochtones, qui sont titulaires de droits. Plus les objectifs ESG d’une entreprise sont vastes et ambitieux, plus l’entreprise risque de rater sa cible. »
Une entreprise peut s’exposer à des réclamations judiciaires ou à des sanctions pour non-respect de la réglementation ou pour atteinte à la réputation des investisseurs, des parties prenantes ou même des employés. Un organisme de réglementation qui enquête sur une entreprise pourrait utiliser contre elle une violation de ses propres objectifs ESG, affirme Me Curpen. « Les enquêteurs peuvent examiner ce à quoi vous vous êtes engagé et dire : “Vous n’avez pas fait preuve de diligence dans la réalisation des objectifs que vous aviez annoncés.” »
Le rôle des conseillers juridiques
Autant de bonnes raisons de faire participer les conseillers juridiques à la rédaction du cadre ESG de l’organisation. « Les juristes doivent discuter avec leurs clients de ce que ceux-ci essaient d’accomplir – une chose dont même les propriétaires de l’entreprise sont souvent ignorants, recommande Me Ragoonanan. Il faut beaucoup de travail pour prendre ces idées abstraites et les traduire en quelque chose de concret, et amener à collaborer de nombreuses personnes issues de différents domaines. »
Cela dit, les juristes doivent savoir que l’élaboration d’objectifs ESG ne peut se faire seuls. « Il faut travailler en équipe avec des personnes possédant des compétences variées, explique Me Ragoonanan. Votre rôle est d’ajouter votre savoir-faire juridique à cet ensemble de compétences. Vous examinez ces différents domaines du droit et vous les rassemblez pour aider l’équipe à élaborer une stratégie juridique. »
Me Curpen recommande également aux organisations de faire participer de nombreux services à l’élaboration de leur cadre ESG – la direction, le contentieux, la conformité, les finances, l’exploitation. « Les facteurs ESG varient d’une organisation à l’autre. Il n’y a pas de “solution universelle”. Tout dépend des priorités de l’entreprise, du secteur d’activité, des intérêts des principales parties prenantes et du lieu où l’entreprise exerce ses activités. »
La cohérence est déterminante
Selon Me Curpen, il est essentiel de passer ses objectifs ESG au peigne fin. Les organisations doivent même les mettre en cause sérieusement pour s’assurer qu’ils sont exacts et cohérents, en particulier s’ils doivent être rendus publics. « L’information sera examinée minutieusement, que ce soit par le public, les employés, les investisseurs et les organismes de réglementation. Pour cette raison, tout ce qui est inexact ou incomplet peut nuire à l’entreprise, porter atteinte à sa réputation et présenter un risque d’ordre juridique. Cela peut également miner la crédibilité du cadre ESG et compromettre la compréhension des engagements et des progrès de l’entreprise par les parties prenantes. »
C’est aux juristes chargés des questions ESG d’aider leurs clients à comprendre que ces questions vont bien au-delà de la responsabilité et de la conformité, affirme Me Curpen. « Dans le passé, lorsque nous donnions des conseils environnementaux, nous ne nous préoccupions que de conformité, de responsabilité et de risque. Ces questions sont aujourd’hui plus complexes et nuancées. »
Les facteurs ESG peuvent concerner un cercle plus grand de parties prenantes et de titulaires de droits, comme les Autochtones. Ces personnes exigeront des pratiques plus durables, des objectifs de réduction des émissions de GES, le respect des droits de la personne tout au long de la chaîne d’approvisionnement, une consommation responsable de l’eau, la protection de la biodiversité, etc.
Me Ragoonanan s’attend à ce que les organisations accordent de plus en plus d’importance aux questions sociales et environnementales au fil des ans.
« Quand d’autres personnes de votre secteur commencent à y prêter attention, vous commencez aussi à y prêter attention. D’une manière ou d’une autre, tout le monde va entrer dans la danse. »