Vagues d’insolvabilités à l’horizon
Voici ce que les entreprises peuvent faire pour se préparer au pire, s’accrocher et survivre à la tempête.
Les experts sont formels depuis des mois : il faudra attendre la fin des programmes d’aide gouvernementaux pour prendre pleinement conscience de l’ampleur des répercussions de la pandémie sur l’économie du Canada. Les principaux programmes de relance sont prolongés pour que les entreprises survivent à l’hiver… mais est-ce que ce sera suffisant? Et comment les juristes se préparent-ils à affronter une éventuelle vague d’entreprises en difficulté financière?
Des signes avant-coureurs se font déjà sentir dans certains secteurs. Toutefois, ce sont les prochains 6 à 18 mois qui scelleront le sort de beaucoup d’entreprises. Peut-être les périodes de grâce de leurs prêteurs sont-elles déjà échues, et les reports de loyers cesseront en même temps que les aides gouvernementales. Lorsque les entreprises connaîtront leur chiffre d’affaires du quatrième trimestre et le montant de leur relevé d’imposition pour 2020, les dirigeants pourraient revoir la stratégie à court terme.
« Les prêteurs, tout particulièrement les banques et autres institutions financières, se sont montrés plutôt patients avec les emprunteurs en cette période d’une difficulté réellement sans précédent », fait remarquer Tushara Weerasooriya, partenaire du groupe Restructuration et insolvabilité de McMillan. Avec plusieurs juristes d’expérience, celle-ci présentera à l’ABC une série de webinaires sur les compétences essentielles aux juristes d’entreprises pour aider leurs clients en période difficile. Ces webinaires, qui seront donnés du 26 octobre 2020 au 25 février 2021, peuvent être suivis à titre de formation professionnelle continue.
L’avocate indique que parmi les signes précurseurs à surveiller, on compte l’alourdissement des dettes fournisseurs, la perte de crédit fournisseur, le non-respect des engagements d’emprunt, des découverts bancaires fréquents et un manque général de transparence financière. En présence de ces signes, il est important de jouer carte sur table avec les établissements de crédit ou autres parties prenantes, idéalement en ayant un plan d’action en main.
« Trop souvent, l’équipe de direction fait l’autruche et admet trop tard que l’entreprise est en mauvaise posture, se désole Me Weerasooriya. Elle n’est alors tout simplement plus en mesure de négocier une solution raisonnable avec les parties concernées. »
Karen Fellowes, c.r., est la chef du groupe Restructuration et insolvabilité pour l’Ouest canadien de Stikeman Elliott à Vancouver et à Calgary. Selon elle, beaucoup d’entreprises déjà en difficulté financière ont vu leur situation se détériorer en 2020. Toutefois – et c’est plutôt étonnant –, certaines ont su plutôt bien tirer leur épingle du jeu, en diminuant substantiellement leurs charges ou en modifiant leur modèle d’exploitation.
« Ce n’est pas toujours parce que l’entreprise arrive à la fin de son cycle de vie : peut-être a-t-elle profité de cette occasion pour se restructurer, faire un régime minceur, se débarrasser de certains contrats ou actifs non rentables, ou modifier sa structure financière ou son organisation du capital social pour survivre, avance-t-elle. C’est ce qui donne l’espoir qu’on n’assistera pas à une vague apocalyptique de liquidations, et que certaines sociétés réussiront à se restructurer. »
Il est évident que certains secteurs sont plus durement touchés par la pandémie que d’autres : le voyage, l’hôtellerie, les arts, la restauration, la vente au détail, etc. La bonne nouvelle, c’est que les entreprises de ces secteurs pourront vraisemblablement profiter de l’évolution du pouvoir judiciaire discrétionnaire dans des textes de droit comme la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC).
« Les avocats spécialisés en faillite particulièrement inventifs – ou juste les professionnels de ce domaine en général – repoussent constamment les limites de ce qui est possible dans le cadre d’une procédure relevant de la LACC, et je crois que le phénomène ne fait que prendre de l’ampleur », se réjouit Me Fellowes.
Il est primordial d’agir dès le premier signe de détresse pour pouvoir profiter de toutes les options. L’entreprise peut par exemple gagner du temps en discutant avec un créancier garanti de la possibilité de conclure une entente d’abstention privée en échange de certaines conditions : injection de fonds par les actionnaires; droits mensuels ou d’autre nature qui serviront à payer les frais bancaires; signature d’un consentement pour la désignation d’un séquestre en cas de manquement, ou engagement à ne pas contester la réalisation de la garantie d’un prêteur en cas d’insolvabilité.
Richard Schwartz, qui habite à Winnipeg, donne régulièrement des conférences sur les faillites, l’insolvabilité et les litiges commerciaux.
Selon lui, une entente d’abstention privée a l’avantage de préserver une certaine confidentialité puisqu’aucun document n’est présenté au tribunal ni aucun avis publié. De plus, cette procédure est bien moins chère que le processus officiel en cas d’insolvabilité.
« Cela procure un avantage certain pour le client : ce dernier demeure en contrôle, et continue d’exploiter son entreprise, soutient-il. Il a ainsi le temps soit de traverser la crise, si crise il y a, soit de recourir au refinancement, à savoir de consulter un autre établissement de crédit qui pourrait être plus conciliant ou disposé à accorder un prêt dans son secteur d’activité » (que les banques en lice veuillent l’admettre ou non).
Quelle que soit l’option choisie, les entreprises dans les secteurs qui en arrachent devront déterminer quel serait le scénario le plus pessimiste et se préparer au pire.
Tushara Weerasooriya explique que pour les entreprises en difficulté financière, « [l]e liquide est roi. Les choses ne sont plus comme avant. Les entreprises qui s’efforcent de conserver leurs liquidités – en reportant leurs projets à long terme et investissements en immobilisations et en cherchant à réduire les coûts – se donneront les moyens de garder la tête hors de l’eau durant la tempête. »