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Rien à trancher

Le Tribunal de la concurrence n’est saisi d’aucune affaire, principalement en raison de l’inefficacité procédurale.

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Le Tribunal de la concurrence pourrait bien être l’organe décisionnel le plus esseulé du pays. Alors que la plupart des autres tribunaux et cours doivent composer avec un retard considérable dans le traitement des dossiers, ses membres n’ont aucun dossier sur lequel se prononcer. 

Au cours de ses 33 ans d’existence, il n’a pas été rare que le Tribunal de la concurrence ait une charge de travail relativement modeste. Cependant, le fait de n’avoir aucun dossier en cours est chose extraordinaire. 

Le Tribunal a rendu sa décision la plus récente le 17 octobre; décision par laquelle il rejetait une demande du Bureau de la concurrence à l’encontre de l’Administration aéroportuaire de Vancouver (AAV) présentée dans le contexte d’une affaire « d’abus de position dominante » en vertu de la Loi sur la concurrence. Il a rejeté l’argument du commissaire de la concurrence à l'encontre de la décision de l’AAV de n’autoriser les activités que d’un nombre limité de traiteurs spécialisés dans le service de repas en vol à l’aéroport international de Vancouver.

S’il ne traite qu’un nombre si limité de dossiers, c’est en partie en raison du fait que « les décisions du Tribunal sont loin d’être rendues rapidement », a expliqué en octobre Paul Crampton, juge en chef de la Cour fédérale, dans le cadre de la Conférence d'automne de l'ABC sur le droit de la concurrence. 

« Le fait que les membres du barreau aient insisté pour avoir toutes les options dont ils disposent couramment devant les cours supérieures a paralysé le système », a-t-il dit. « Ils ne veulent pas renoncer aux outils et processus habituels qui sont à leur disposition depuis des centaines d’années. » 

« Ils perdent au change, car les clients ne veulent pas avoir recours au Tribunal; octroyant ainsi au commissaire des pouvoirs plus solides », a-t-il déclaré, ajoutant qu’il souhaite que le processus de traitement des dossiers soumis au Tribunal soit moins formel.

Traiter promptement les dossiers

Le tribunal a pris des mesures pour accélérer le processus de prise de décisions. Il a publié une nouvelle directive de pratique concernant le traitement accéléré des instances en janvier 2019. Cal Goldman, président du groupe sur la concurrence, l’antitrust et l’investissement étranger du cabinet Goodmans LLP, a souligné que la directive recommande un délai de cinq à six mois entre le dépôt d’une demande et l’audience dans le contexte d’une procédure accélérée, avant qu’une décision ne soit rendue dans le mois suivant l’audience. La directive prévoit également que le tribunal joue un rôle actif dans la gestion des dossiers et encourage de manière proactive les parties à avoir recours à la médiation. Le Comité de liaison entre le Tribunal de la concurrence et le Barreau s’efforce en outre de trouver des moyens de traiter promptement les demandes. 

Adam Chisholm, associé dans le cabinet McMillan, dit que le Tribunal tend à n’avoir que quelques dossiers à traiter en même temps, et qu’un grand nombre d’entre eux sont réglés au moyen de jugements convenus. Qui plus est, à l’approche de la fin du mandat d’un commissaire, le Bureau de la concurrence tend à cesser d’intenter des poursuites, et il faut parfois jusqu’à un an pour qu’un nouveau commissaire commence à intenter les poursuites envisagées par le Bureau qui vit une pénurie de ressources. L’actuel commissaire, Matthew Boswell, a entamé son mandat quinquennal en mars 2019.

Les juristes qui connaissent bien le Tribunal disent qu’il n’a jamais été très occupé. « Les gens disent depuis longtemps que le Tribunal ne fonctionne pas à plein régime, qu’il ne traite pas assez de dossiers », dit James Musgrove, coprésident du groupe sur la concurrence et l’antitrust du cabinet McMillan. « Nous avons construit ce véhicule extraordinaire, et il ne sort pas bien souvent. »

Selon Michael Koch, associé dans le cabinet Goodmans, qui a représenté l’AAV devant le Tribunal, la rareté des décisions du Tribunal freine l’établissement d’une nouvelle jurisprudence. « Les juristes spécialisés en droit de la concurrence et les entreprises, en fait, profiteraient de l’existence de plus nombreux litiges et de la jurisprudence plus étoffée qui s’ensuivrait, éclaircissant la situation et aidant les juristes et leurs clients », dit-il.

Équité procédurale

Malgré les plaintes concernant les difficultés procédurales, il faut des procédures pour protéger toutes les parties, dit Me Musgrove, qui est également membre du Comité de liaison entre le Tribunal de la concurrence et le Barreau. 

« Les gens veulent que les affaires soient réglées rapidement, particulièrement celles dans lesquelles les délais sont importants. Les fusions sont l’exemple le plus flagrant, mais il existe d’autres sortes d’affaires. En revanche, dans un grand nombre de ces dossiers, les enjeux sont très élevés. Il s’agit de questions importantes et complexes », dit-il. 

« La plupart des questions portées devant le Tribunal vont s’avérer revêtir une certaine importance publique », dit Me Chisolm. « Cela va être important pour nos clients qui vont généralement faire face à ces questions qu’elles soient entendues à la lumière d’un certain degré d’équité procédurale. »

« Je ne pense pas qu’il serait équitable d’alléger la procédure, ni que cela serait une solution à la relative pénurie d’affaires. Dans un cas d’abus de position dominante, une partie pourrait encourir une sanction administrative et pécuniaire », dit Me Koch. 

Changements suggérés

Le Tribunal tranche généralement deux sortes d’affaires : les points pouvant faire l’objet d’un contrôle judiciaire en vertu de la Loi sur la concurrence en cas de mesures prises unilatéralement par une partie unique, et les fusions auxquelles participent deux sociétés. 

Me Koch suggère que le Tribunal accueille plus généreusement les demandes d’autorisation des parties privées plutôt que de leur interdire d’intenter des poursuites privées, en vertu de l’article 75 (refus de vendre), de l’article 76 (maintien des prix) et de l’article 77 (exclusivité, ventes liées et limitation du marché). « Soit les exigences légales, qui à mon avis devraient être conservées, pourraient être assouplies au moyen de la législation, soit le Tribunal pourrait adopter une conception plus ouverte quant aux demandes d’autorisation », dit Me Koch.

Pendant ce temps, rares sont les affaires de fusion qui ont été portées devant le Tribunal depuis quelques années. C’est partiellement dû à la rareté des fusions importantes dans le milieu commercial actuel. Cependant, puisque la lenteur de la prise des décisions du Tribunal menace également les ententes, les parties ont donc fréquemment recours à des accords sur consentement pour réduire la probabilité de litiges onéreux à la fois du point de vue pécuniaire et du temps nécessaire pour les régler. Selon Me Goldman, un processus accéléré permettrait à un plus ample éventail d’affaires d’être déférées au Tribunal, particulièrement si un point particulier peut être entendu et tranché en l’espace de quelques mois. 

L’un des domaines dans lesquels des litiges pourraient être entendus de manière plus efficiente est celui de la publicité trompeuse. La médiation pourrait être le moyen de les régler. « C’est complètement insensé que la plupart des dossiers de publicité trompeuse traînent aussi longtemps qu’ils le font, car ils ne sont généralement pas particulièrement complexes », dit Me Musgrove.

En fin de compte, la question n’est pas tant de savoir si le Tribunal est saisi de trop ou de trop peu d’affaires. Selon Me Koch : « Nous devions nous demander s’il y a des dossiers dont il devrait être saisi qui ne sont jamais portés devant le Tribunal, et quelles sont les raisons de cet état de choses ».