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Transformer l’accès à la justice grâce à la technologie

Le laboratoire d’innovation juridique de l’Université du Nouveau-Brunswick a créé un partenariat avec les tribunaux de la province afin de façonner et moderniser le système de justice

A lightbulb against a chalkboard
iStock/tomertu

Argyri Panezi se souvient de l’époque glorieuse d’Internet, où la technologie était considérée comme un moyen d’améliorer la vie.

Elle a obtenu son diplôme de droit en 2009, au moment où l’infonuagique et l’investigation numérique gagnaient du terrain dans le monde juridique. Lorsqu’elle a commencé à enseigner à l’Université Stanford en 2018, son optimisme commençait à s’émousser à mesure que la protection de la vie privée, la cybersécurité et la nécessité d’une réglementation plus stricte devenaient des enjeux plus importants.

« Les premiers jours cyberlibertaires de la technologie sont révolus », affirme Mme Panezi.

« John Perry Barrow a écrit que le cyberespace serait une utopie hors la loi. Nous ne pensons pas vraiment qu’Internet est un tel espace, ou même qu’il devrait l’être. »

Mme Panezi habite maintenant à Fredericton et dirige le nouveau laboratoire d’innovation juridique (Legal Innovation Lab) de l’Université du Nouveau-Brunswick. Le premier grand projet du laboratoire consistera à créer un algorithme permettant de déposer électroniquement les demandes de divorce non contesté. Il s’inscrit dans le cadre d’un partenariat à long terme avec les tribunaux du Nouveau-Brunswick visant à façonner et à moderniser le système de justice et à présenter des conseils sur la manière d’y intégrer l’intelligence artificielle.

« La mission du laboratoire consiste à étudier le droit, la technologie et l’accès à la justice », explique Mme Panezi.

« Il y a des questions importantes à explorer concernant la numérisation, en particulier la transformation numérique dans le secteur de la justice, la vie privée et la cybersécurité. Il s’agit de secteurs sensibles et peu étudiés eu égard aux tribunaux, en particulier dans le Canada atlantique. La profession juridique se transforme également, et nous étudions cette transformation. »

Le laboratoire a été créé en 2023 grâce à un financement du Conseil national de recherches du Canada et du gouvernement provincial ainsi qu’à une subvention du Fonds pour le Droit de demain de l’ABC.

La même année, Mme Panezi est devenue titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit et politiques en matière d’information numérique et a commencé à donner des cours de droit sur l’IA et la cybersécurité.

Les étudiantes et étudiants et le personnel mettent sur pied le programme de droit de la famille à partir de zéro, en créant une interface permettant aux utilisateurs de télécharger des documents ainsi qu’un système qui s’intègre au système judiciaire afin de recevoir des documents. La UNB Legal Clinic, qui a ouvert ses portes en 2022, commencera à utiliser le programme cet automne pour aider les clients à déposer des documents judiciaires. L’objectif est d’aider les personnes qui se représentent sans avocat et celles qui n’ont pas les moyens de payer des services juridiques.

À l’origine, Mme Panezi voulait en faire plus, mais elle a changé d’avis après avoir rencontré l’administration des tribunaux.

« Les tribunaux sont soumis à des contraintes », explique-t-elle.

Par exemple, ils ne peuvent pas communiquer efficacement par voie électronique avec les justiciables ou leurs juristes s’ils ne disposent pas d’un système d’archivage électronique solide, qui permet à toutes les parties d’accéder aux documents judiciaires.

Il faut également penser à la formation du personnel des tribunaux et des juges, ainsi qu’à l’entretien des outils numériques.

« Nos projets de justice numérique initiaux étaient très ambitieux. Nous avons rapidement compris qu’il fallait procéder étape par étape. Il n’est pas facile d’apporter des changements, et il ne faut pas précipiter les choses », souligne Mme Panezi.

Le Nouveau-Brunswick étant bilingue, Mme Panezi et son équipe étudieront comment l’IA peut être utilisée pour la traduction dans les tribunaux. L’IA et la traduction ne datent pas d’hier; des outils populaires comme Google Traduction existent depuis des décennies. Ce qui est nouveau, c’est la prédominance et l’exactitude améliorée de ces outils, qui pourraient aider les tribunaux à être plus efficaces et à augmenter leur capacité. Selon Mme Panezi, le défi consiste à trouver le bon équilibre entre la traduction automatique et la nécessité d’offrir davantage de services de traduction dans le système judiciaire.

« Ce n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît, il faut en discuter sérieusement, dit-elle.

La machine peut entraîner des erreurs ou des interprétations erronées qui affecteront la vie des gens, mais nous manquons de traductrices et de traducteurs. Nous devons avoir des conversations importantes sur les besoins des autres groupes linguistiques, en particulier les locuteurs de langues autochtones. Il ne s’agit pas seulement d’un problème technique, mais d’un problème humain aux facettes multiples. »

Bien qu’elle n’ait jamais envisagé de travailler avec la technologie jusqu’à présent, Laura Rourke, étudiante de troisième année en droit, examinera les cas où il convient de recourir à des services de traduction. Elle a obtenu un diplôme en droit et société de l’Université York en 2022 et, après avoir rejoint l’équipe du laboratoire, souhaite axer sa carrière sur la propriété intellectuelle et l’IA. Elle rédige actuellement un document sur les enjeux relatifs à la traduction juridique et à l’IA.

« L’utilisation de la traduction automatique dans les cas où il y a des personnes vulnérables présente un risque », explique Mme Rourke. Elle ajoute que les personnes réfugiées, en particulier, sont très vulnérables en raison des répercussions importantes que pourrait avoir une traduction incorrecte sur leur vie.

Les étudiantes et étudiants du laboratoire explorent un sujet de recherche pendant un an. Jacob Powning entame sa troisième année d’études en droit et s’intéresse à la manière dont la responsabilité est imputée en cas de violation des droits d’auteur impliquant l’IA.

À titre d’exemple, si une utilisatrice saisit une invite qui génère une réponse et que cette réponse contient du matériel protégé par le droit d’auteur, qui est responsable de la violation des droits d’auteur? Si le fournisseur d’IA ne savait pas que les données d’apprentissage contenaient du matériel protégé par le droit d’auteur, qui est responsable de la violation des droits d’auteur? Est-il même possible qu’un fournisseur d’IA ne se rende pas compte que ses données d’apprentissage contiennent du matériel protégé par le droit d’auteur?

M. Powning est attiré par l’IA, mais en tant qu’artisan et ancien illustrateur, il est critique quant à son utilisation.

« Pouvoir utiliser des machines dotées d’une capacité créative est utile, mais aussi très dangereux, déclare-t-il. L’art est la façon dont nous imaginons l’avenir. Nous devons réfléchir à la manière dont nous allons utiliser cette technologie. »

Kyle Cullen est entré à la faculté de droit désireux d’apprendre comment les juristes utilisent l’IA. Ayant entendu parler de la manière dont l’IA enfreignait la loi, l’étudiant de deuxième année en droit souhaitait voir les conséquences par lui-même; il rédige actuellement un mémoire de recherche sur la cybersécurité.

« J’aime étudier la technologie sous différents angles, explique-t-il. La souveraineté numérique et la protection de la vie privée soulèvent de nombreuses questions. »

Le laboratoire est bien placé pour travailler avec des chefs de file de la communauté technologique. L’Institut canadien sur la cybersécurité est basé à l’UNB, de même que le Quantum Sensing and Ultracold Matter Lab. L’informatique quantique est considérée comme la prochaine frontière de la technologie d’Internet. L’objectif de Mme Panezi consiste à faire participer un plus grand nombre de spécialistes à la discussion sur la technologie et l’accès à la justice. Au cours du mois, le laboratoire organisera son deuxième sommet annuel sur l’accès à la justice.

Ainsi, même s’il s’est amenuisé à un moment donné, l’espoir fondé par Mme Panezi dans la technologie subsiste.

« Nous avons de sérieux défis à relever à l’heure actuelle, en particulier avec l’IA, mais je reste optimiste, conclut-elle.

Un grand nombre de membres de la société civile, d’universitaires et d’individus brillants s’efforcent de surmonter ces défis. C’est fascinant. »