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Les survivants ont besoin d’un meilleur accès à la justice

Dans son rapport, le FAEJ demande un plus grand recours à la justice réparatrice dans les affaires de violence sexuelle.

Options for survivors

Dans un rapport récent du Fonds d’action et d’éducation juridiques pour les femmes (FAEJ), on souligne l’urgence de faciliter l’accès aux mécanismes de justice réparatrice et transformatrice dans les affaires de violence sexuelle. On affirme aussi que les solutions de rechange peuvent contribuer à l’allègement du système de justice pénale, ce qui permet de mieux soutenir les survivantes et survivants.

Le Code criminel recommande des outils pour de telles mesures, mais comme l’indique le rapport, la Nouvelle-Écosse, l’Ontario et la Colombie-Britannique ont imposé des moratoires sur leur utilisation. Les auteurs du rapport proposent de lever ces moratoires pour que les procureures et procureurs de la Couronne puissent rediriger des dossiers vers des programmes locaux de justice réparatrice ou transformatrice.

On recommande en outre un financement majoré et stable de ces outils, une amélioration des programmes d’avis juridiques indépendants au pays, des mesures de protection des participantes et participants, des activités d’information sur la justice réparatrice et transformatrice, et l’accès à des ressources sociales de base pour les survivantes et survivants.

Roxana Parsa, avocate-conseil au FAEJ, reconnaît que ces modèles peuvent faire des sceptiques, et dit que le FAEJ ne préconise pas cette solution pour tout le monde.

« Il y a des cas où ça fonctionne, où les deux parties sentent qu’elles peuvent participer à un processus non accusatoire qui mènera à la guérison ou à la réparation, ou du moins à un sentiment de justice pour la victime, mais peut-être aussi pour l’agresseur », explique Me Parsa.

D’après elle, ces méthodes sont employées depuis longtemps dans les communautés noires, autochtones et autres ayant des raisons de se méfier du système de justice. Et les survivantes et survivants ont habituellement un rôle limité dans le processus pénal, agissant souvent seulement comme témoins, ce qui peut causer un nouveau traumatisme. La justice réparatrice ou transformatrice offre une procédure centrée sur la victime, notamment par le recours à un substitut représentant l’agresseur pour aider, par exemple, la victime à mieux s’exprimer.

« Le système de justice pénale ne semble pas bien fonctionner pour les survivantes et survivants de violence sexuelle, signale Me Parsa. Cela fait des décennies que nous le constatons. Ce système leur nuit, c’est un fait bien connu de nos jours. »

Elle ajoute que les moratoires imposés aux programmes de violence sexuelle visaient à laisser aux provinces du temps pour s’adapter aux changements et n’étaient en aucun cas permanents. La recherche nous dit depuis des décennies que beaucoup de survivantes et survivants se plaignent de la constante insuffisance du système de justice pénale. « Seules 5 % des victimes portent plainte, déplore Me Parsa. La majorité préfère ne pas se frotter au système. »

Pour certaines victimes, la clé, c’est de pouvoir participer à ces programmes si elles estiment qu’elles y gagneraient quelque chose compte tenu des particularités de leur dossier.

Kyla Lee, avocate de la défense en droit criminel à Acumen Law Corporation, à Vancouver, et présidente de la Section du droit pénal de l’ABC, souligne que l’ABC n’a pas officiellement approuvé ces programmes, mais qu’elle, elle les appuie.

« Tout mécanisme qui allège la charge des tribunaux est bon pour le système et les parties au litige », explique-t-elle, ajoutant que les procès pour agression sexuelle sont coûteux et exigent beaucoup de ressources. Des modifications apportées au Code criminel les ont complexifiés, si bien qu’il faut présenter de nombreuses requêtes pour pouvoir faire admettre un dossier et obtenir le feu vert pour contre-interroger un plaignant.

Me Lee estime que le fait de retirer ces dossiers des tribunaux peut réduire d’autant le fardeau du système de justice. De plus, la personne plaignante peut redouter le contre-interrogatoire en cour, dans un milieu qui n’est pas toujours sensible aux traumatismes, vu la nature accusatoire d’un procès criminel.

La justice réparatrice et transformatrice offre un espace plus sécuritaire où les parties peuvent « réfléchir à ce qui s’est passé », poursuit-elle. De plus, ajoute-t-elle, l’accusé préférera souvent que l’affaire se règle en privé, lui épargnant le regard du public et les conséquences que des allégations pourraient avoir sur son emploi et ses relations personnelles. Personne n’est heureux à la fin d’un procès pour agression sexuelle, mais le processus de justice réparatrice tend à laisser les parties avec le sentiment d’avoir obtenu ce qu’elles souhaitaient.

Susanne Zaccour, directrice des affaires juridiques à l’Association nationale Femmes et Droit (ANFD), applaudit le rapport parce qu’il soutient les besoins des survivantes et survivants souhaitant pouvoir choisir entre différentes solutions. « C’est parce que le système de justice pénale est très limité, souligne-t-elle. Notre société a une vision très étroite du comportement qu’une bonne victime est censée avoir. »

« Elles se tournent immédiatement vers la police et réclament un procès criminel, et bien que certaines victimes souhaitent aller dans cette voie, d’autres veulent des excuses ou une réparation. C’est pourquoi il est important de mieux faire connaître ces autres mécanismes, d’expliquer qu’il existe plusieurs solutions à un cas d’agression sexuelle et de respecter la légitimité des différents recours. »

Me Zaccour souligne aussi la nécessité d’un système de justice pénale plus axé sur les traumatismes. L’ANFD a milité avec le FAEJ et d’autres organisations pour des réformes juridiques comme le projet de loi S-12, adopté en octobre, et grâce auquel les survivantes et survivants peuvent raconter leur histoire sans risque de sanctions pénales.

La lutte pour ces changements s’accompagnera sans doute d’une résistance, car le financement de ces programmes n’a jamais vraiment été une priorité du gouvernement, déplore Me Lee. On s’inquiète aussi que les processus de justice réparatrice puissent exposer des particuliers à une responsabilité civile, les rendant plus vulnérables à des poursuites au civil.

Malgré cela, Me Lee constate un consensus chez les procureures et procureurs de la Couronne comme chez les avocates et avocats de la défense en droit criminel : tout le monde s’entend pour dire que les procès pour agression sexuelle sont devenus inutilement complexes, chronophages et traumatisants pour les personnes concernées.

Toutefois, les changements doivent aussi tenir compte des besoins en soutien social, soutien que les provinces ont été peu enclines à financer. En outre, les auteurs du rapport recommandent la création d’un registre de services que les acteurs du système, comme les procureures et procureurs de la Couronne, pourraient consulter pour trouver les ressources disponibles s’ils souhaitent aiguiller des parties vers des solutions extrajudiciaires.

Finalement, les gouvernements doivent repenser leurs priorités de financement et s’écarter d’une mentalité centrée sur l’incarcération pour rediriger des ressources vers la justice réparatrice ou transformatrice, les programmes communautaires et les avis juridiques indépendants, explique Me Parsa. « Si vous financez le logement sécuritaire, le counselling et le soutien social pour les femmes en vue de prévenir la violence, et prévoyez des ressources pour les victimes de violence souhaitant obtenir réparation, mais qui doivent d’abord trouver un endroit où loger, c’est là que la véritable priorité de financement doit aller », conclut-elle.