Retour au cercle
Comment les Anishinaabeg du Manitoba souhaitent se réapproprier leur système de justice
La Déclaration des Nations-Unies sur les droits des peuples autochtones a reçu la sanction royale le 21 juin dernier, et les communautés Anishinaabeg du Manitoba semblent en avoir pris bonne note. Depuis plusieurs années, ils sont nombreux à s’activer en coulisse pour se réapproprier leur système de justice, comme la Déclaration le permet. Une rencontre a récemment eu lieu avec le cabinet du ministre de la Justice et procureur général du Canada David Lametti, où le projet d’établir un système pour traiter les infractions sommaires au sein des communautés du Traité no 2 aurait été accueilli positivement.
D’abord, les faits. Au Manitoba, plus de 80 % des détenus sont autochtones, et le taux de récidive y est de 45 %, selon Chantell Barker. C’est là la principale image de l’échec du système de justice canadien pour sa nation : « Notre système de justice doit être basé sur la guérison. Les peuples autochtones du Canada ont beaucoup de traumatismes, dont les pensionnats et leurs impacts générationnels (…) et l’absence d’autodétermination. Pendant mes dix années comme agente correctionnelle, j’ai entendu des dizaines d’histoires sur les traumatismes vécus par les prisonniers et les conséquences des traumatismes intergénérationnels. J’ai vu le grand pouvoir de l’apprentissage de leur identité et des outils qui leur permettent de guérir et briser ces cycles, » avance celle qui est maintenant responsable de la mise en œuvre du nouveau système de justice.
C’est d’ailleurs aussi la conclusion de la Commission royale peuples autochtones 1991. « Le système canadien de justice pénale n'a pas su répondre aux besoins des peuples autochtones du Canada — Premières nations, Inuit et Métis habitant en réserve ou hors réserve, en milieu urbain ou en milieu rural —, peu importe le territoire où ils vivent ou le gouvernement dont ils relèvent. Ce lamentable échec découle surtout de ce qu'autochtones et non-autochtones affichent des conceptions extrêmement différentes à l'égard de questions fondamentales comme la nature de la justice et la façon de l'administrer, » écrivaient les auteurs de la Commission en 1996. Cette conclusion sera celle de plusieurs autres enquêtes sur la question depuis.
La construction de nouvelles institutions juridiques centrées sur les valeurs traditionnelles des Anishinaabeg du Manitoba s’inscrit dans une tentative plus large d’autodétermination et d’affranchissement de la Loi sur les Indiens : « Nous travaillons actuellement à écrire notre propre constitution, et toutes nos lois, qu’il s’agisse d’éducation, de la santé, de protection de la jeunesse. Nous espérons avoir notre propre gouvernement dans les prochaines années, » poursuit Mme Barker.
Comment s’articulerait un système par et pour les communautés anishinaabe ? Le point de départ de la réflexion est le rejet des notions de pouvoir et de punition inhérents à la justice occidentale. La justice anishinaabe serait plutôt organisée autour de la notion de cercles, dans lesquels tous les membres de la communauté sont appelés à jouer un rôle sans notion de pouvoir des uns sur les autres. Les notions de guérison, d’harmonie, d’équilibre et de bien-être en sont le cœur.
Sept cercles sont ainsi en construction, qui constituent chacun un département. Ils portent chacun le nom d’un animal représentant un aspect de la vision Anishinaabe en matière de justice. Par exemple, le cercle du Lynx aura pour mission les questions de prévention, d’éducation et de bien-être. Le cercle de l’Ours aura pour charge le maintien de la paix et la sécurité – autrement dit, les services policiers. Quant à lui, le cercle du Plongeon, un oiseau qui ressemble au huard, aura pour mission de traiter des enjeux criminels et familiaux, l’équivalent d’un tribunal de première instance. Un cercle d’appel sera formé par les grand-mères de la communauté. « C’est en quelque sorte un modèle hybride entre le modèle Anishinaabe, et le modèle occidental, » indique Barker.
Du côté des sanctions, un emprisonnement ou un bannissement de la communauté seront toujours possibles. Cependant, la nouvelle approche privilégiera d’abord des méthodes de guérison.
Une telle transformation du système de justice aurait-elle le potentiel de refaçonner positivement les communautés, diminuer le taux de criminalité et le taux de récidive ? Un début de réponse nous parvient du Groenland, où le gouvernement danois a délégué la gestion du système de justice aux communautés du vaste territoire gelé dans les années 50. Les habitants sont d’origine inuit. On y pratique une justice communautaire, les taux de criminalité y sont stables depuis des dizaines d’années, et bien inférieurs à ceux du Nunavut et du Nunavik, et les prisons y sont à proprement dit, inexistantes.
Y a-t-il des craintes que les gouvernements en place, qu’il s’agisse du provincial ou du fédéral, opposent de la résistance au projet ? « À chaque fois qu’il y a du changement, il y a de la résistance, » répond Barker en riant. « Nous nous y attendons, mais nous espérons qu’ils vont travailler avec nous dans l’esprit de la réconciliation. Ce qui nous bénéficie à nous, peuples autochtones, bénéficiera au Canada tout entier. »