Le coût social des droits de scolarité élevés
Les études à la faculté de droit doivent être moins onéreuses.
Si l’accès à la justice nous tient véritablement à cœur, nous devons réduire le coût de l’inscription à la faculté de droit. Un point c’est tout. Voilà le gazouillis.
Ça n’est pas compliqué. Il coûte cher de faire des études en droit, particulièrement en Ontario. Selon une estimation (article en anglais seulement), la faculté de droit canadienne la plus onéreuse (celle de l’Université de Toronto) demande 176 725 dollars pour trois ans au titre de l’inscription et du coût de la vie, et place le coût médian de l’inscription dans une faculté de droit et du coût de la vie en Ontario à près de 125 000 $. Pour être juste, les frais d’inscription en faculté de droit dans le reste du pays tendent à être inférieurs à ceux de l’Ontario, particulièrement au Québec. Cependant, lorsque les simples frais de scolarité annuels moyens pour les études de common law au Canada s’élèvent à 17 000 $, le débat portant sur les frais de scolarité à la faculté de droit ne devait pas être limité à l’Ontario. Les frais de scolarité élevés créent deux cercles incitatifs : la dissuasion et la direction. Les personnes qui souhaitent étudier le droit mais ont des revenus moins importants sont systématiquement dissuadées de présenter une demande et tous les diplômés visent systématiquement des emplois d’été et des stages dont la rémunération est supérieure. Ces cercles incitatifs nuisent à l’accès à la justice. Ils réduisent le nombre de juristes qui ont un vécu de l’inégalité des revenus, et ils érigent des obstacles devant tout juriste qui souhaite promouvoir la justice économique et sociale. En d’autres termes, ils privent la profession juridique de la nécessaire empathie et sympathie envers les inégalités de classe.
La manière dont les facultés de droit peuvent systématiquement nuire à l’accès à la justice ne se limite pas à ces cercles incitatifs. Naturellement, les facultés de droit regorgent d’activités destinées à promouvoir l’exercice du droit du point de vue commercial, et très rares sont celles qui chantent les louanges de l’exercice du droit public, du droit pénal et du droit des pauvres. Bien sûr, les facultés de droit adorent placer leurs diplômés dans des cabinets d’élite pour en tirer prestige et multiplier leurs donateurs. Toutefois, même sans parler de cela, le simple fait est que les frais exorbitants de l’inscription à la faculté de droit conduisent les étudiants en droit de manière disproportionnée vers l’exercice du droit en cabinet privé et dans les centres urbains, au détriment de l’exercice du droit public et dans les régions rurales. De tels frais contredisent par conséquent les missions dont se targuent les facultés de droit qui disent vouloir promouvoir l’accès à la justice. Nous savons tous que c’est le cas. Pourtant, année après année, les frais de scolarité à la faculté de droit continuent à augmenter.
J’ai entendu deux réponses à cette préoccupation. Ni l’une ni l’autre ne m’a convaincu.
En premier lieu, d’aucuns affirment que les frais d’étude élevés sont la conséquence logique des salaires élevés des juristes. Au premier coup d’œil, on peut comprendre l’hésitation à puiser dans les deniers publics pour donner plus d’argent aux futurs juristes. Cependant, le salaire élevé que certains juristes, pas tous, finissent par gagner reflète le problème, pas la solution. Ces salaires élevés existent en partie parce que de nombreux étudiants en droit obtiennent un diplôme cousu d’une dette élevée. Si les études à la faculté étaient abordables, plus d’étudiants en droit pourraient choisir une carrière viable fondée sur leur intérêt et non sur le revenu qu’ils vont en tirer. Quoi qu’il en soit, les salaires élevés sont hors de propos pour les juristes qui, à l’exercice dans un cabinet, préfèrent des domaines du droit qui aident les communautés désavantagées (et qui, en raison du fardeau que représente leur dette, doivent proposer ces services à un taux supérieur à celui qu’ils aimeraient pratiquer).
En second lieu, d’aucuns allèguent qu’un recours plus important aux bourses et moins important aux frais de scolarité constitue une solution plus appropriée. Je peux comprendre l’intérêt de ce point de vue. Étant donné que de nombreux étudiants en droit sont issus de classes sociales privilégiées, pourquoi subventionner les frais de scolarité en général? Cependant, une solution fondée sur les bourses face à des frais excessifs à la faculté de droit ne fonctionne que si les bourses sont d’un montant qui correspond aux incroyablement élevés et ne se limitent pas à, par exemple, une bourse moyenne de 20 000 $ qui n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan des 147 973 $ que coûtent trois ans d’étude (exemple fondé sur la même estimation que celle susmentionnée). Même si nous devions augmenter drastiquement les bourses, elles ne peuvent pas remplacer complètement des frais peu élevés. Elles sont souvent moins prévisibles, et ne peuvent contrebalancer entièrement l’immense obstacle psychologique que représentent des frais de scolarité élevés pour les personnes dont les revenus sont faibles qui envisagent de poursuivre des études en droit. Dire à quelqu’un qu’il « pourrait avoir droit à un montant suffisant de bourses accordées en vertu d’un pouvoir discrétionnaire pour rendre les études à la faculté abordables » ne peut équilibrer le budget d’un étudiant de la manière dont le feraient des frais moins élevés.
Les frais de scolarité élevés à la faculté de droit sont par conséquent un moyen grâce auquel notre système juridique concrétise l’inégalité sociétale. Les juristes sont des personnes puissantes. Ils détiennent le pouvoir unique en son genre d’interpréter, de remettre en cause et d’appliquer nos lois. Effectuer un tri sélectif pour décider qui peut devenir juriste et limiter les choix dont ils disposeront en réalité influence largement le genre de services juridiques fournis dans notre pays, leur coût et les lieux où l’on peut s’en prévaloir. Cela ne fait que renforcer les obstacles à l’accès à la justice, « le plus grand défi à relever pour assurer la primauté du droit au Canada ».
Je doute qu’un grand nombre d’étudiants en droit qui envisagent d’exercer le droit des sociétés, et particulièrement ceux qui ont les meilleures notes, confesseraient qu’il s’agit là de leur véritable passion. Pourtant, c’est bien là qu’ils finiront par exercer. D’ailleurs, si les facultés de droit réalisaient des sondages anonymes parmi leurs étudiants à propos des carrières juridiques qu’ils souhaitent poursuivre et celles qu’ils finissent par poursuivre, l’évolution de ces intérêts au cours des trois années d’études serait, je le soupçonne, très marquée. Il est dommage qu’un grand nombre d’étudiants se sentent obligés de poursuivre une carrière moins gratifiante. Il est tragique qu’un grand nombre de personnes qui ont désespérément besoin de services juridiques ne puissent les obtenir.
Les juristes disent souvent en riant qu’ils ne pourraient même pas s’offrir leurs propres services. Ce n’est pas risible. C’est même franchement gênant. Nous ne réagissons pas face à un système défaillant conçu pour servir une élite alors que nous savons tous qu’il devrait servir la multitude. Les facultés de droit sont, à divers degrés et sans exclusivité, complices de cette situation.
Bref, des frais de scolarité moins élevés riment avec un meilleur accès à la justice.