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Pour qu’ils soient entendus

Les tribunaux administratifs peuvent donner l’exemple en garantissant l’équité procédurale aux plaideurs non représentés.

Themis
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C’est bien connu que les gens non représentés par un avocat sont devenus chose courante dans notre système de justice. Or, même les tribunaux administratifs, qui jouissent d’une grande latitude dans l’élaboration de leurs procédures, peinent à leur garantir un procès équitable tout en respectant l’équité procédurale et les règles de la preuve.

« On les traite comme une espèce envahissante, comme la moule zébrée de la profession juridique. On n’en voyait pas avant, et on ne veut pas de leur présence », a expliqué Michael Gottheil, chef de la Commission et des tribunaux administratifs à l’Alberta Human Rights Commission, lors d’un groupe de discussion tenu dans le cadre de la Conférence de l’ABC sur le droit administratif, et le droit du travail et de l’emploi en novembre 2019.

S’il peut être difficile d’évaluer le nombre réel de plaideurs non représentés dans les tribunaux administratifs et les tribunaux judiciaires du pays, le phénomène semble aller en s’aggravant. D’après Julie MacFarlane, directrice du National Self-Represented Litigants Project (NSLPR) et professeure de droit à l’Université de Windsor, les estimations récentes indiquent qu’au moins le tiers des affaires judiciaires sont plaidées par des parties non représentées.

Par ailleurs, elle ajoute que les plaideurs non représentés affirment qu’ils ne trouvent pas les tribunaux administratifs plus conviviaux que les tribunaux judiciaires.

« Que ce soit devant un tribunal administratif ou devant la cour, c’est le même combat pour les gens qui se présentent sans avocat, précise la directrice. D’après ce qu’on entend, leur expérience est lamentable partout – les tribunaux administratifs ne font pas exception à ce chapitre. »

En janvier, le NSLPR a publié ses plus récentes données, recueillies durant l’année 2018 et le premier semestre de 2019, sur l’expérience des plaideurs non représentés. Les deux tiers des 173 répondants ont déclaré qu’ils étaient représentés par un avocat au début de la procédure, mais qu’ils ont dû s’en départir, faute d’argent. Parallèlement, 90 % des répondants ont affirmé que l’autre partie au litige était représentée.

Selon Scott MacKenzie, intervenant aux côtés de Me Gottheil lors de la conférence de l’ABC, la langue et la terminologie employées par les avocats peuvent paraître incompréhensibles aux oreilles des plaideurs, qui finissent par avoir l’impression de ne pas avoir été entendus. Me MacKenzie, qui se trouve à être le président-directeur général de la Commission de réglementation et d’appels de l’Île-du-Prince-Édouard, a ajouté que les problèmes d’incompréhension et la frustration peuvent s’accumuler pour le plaideur non représenté bien avant son entrée dans la salle d’audience.

Pour remédier au problème, les membres de tribunaux administratifs doivent privilégier une équité procédurale « de fond » plutôt que « de forme ». C’est ce qu’on appelle le recours aux procédures actives, ce qui consiste à expliquer les règles de la preuve et de procédure, et à accorder une certaine latitude dans l’utilisation de la preuve et du précédent.

Tant Me MacKenzie que Me Gottheil ont fait valoir que le personnel des tribunaux administratifs doit être formé pour traiter avec les plaideurs non représentés. Au tribunal administratif de l’Île-du-Prince-Édouard où travaille Me MacKenzie, les juges d’appel et les avocats généraux passent la procédure en revue avec ces plaideurs.

« Il est à notre avantage de nous assurer que la procédure est équitable, affirme-t-il. Mais pour ce faire, il faut bien former le personnel. »

Des formulaires et des guides doivent être rédigés – dans un registre de langue de la 8e année (2e secondaire) – de façon à ce que les non-juristes puissent les lire et les comprendre. « Rien ne justifie d’avoir des formulaires qui ne sont pas simples à utiliser et à remplir », a soutenu Me MacKenzie.

Il est aussi primordial que l’avocat de la partie adverse et le personnel du tribunal administratif gardent en tête le rôle déterminant que joue la perception dans l’équité procédurale. « Il n’y a rien de pire pour le plaideur non représenté que de surprendre l’avocat [de la partie adverse] et les membres du personnel du tribunal administratif en pleine discussion amicale avant l’audience, car cela lui envoie un bien mauvais message. »

Dans l’ensemble, Me MacFarlane reconnaît que bon nombre de tribunaux administratifs ont pris des mesures pour mieux soutenir les plaideurs non représentés. Toutefois, elle souligne que les améliorations ne sont pas uniformes à l’échelle du pays et dépendent encore beaucoup des initiatives et efforts locaux.

Le format de l’audience devrait également évoluer pour tenir compte des plaideurs non représentés. Me MacKenzie a suggéré d’éliminer les déclarations préliminaires, car « la plupart sont insipides. Mieux vaut aller droit au but. »

Bien que les avocats soient presque toujours avantagés par leur formation et leur connaissance du sujet, Me  MacFarlane regrette que trop souvent, ils perdent contenance devant les plaideurs non représentés. « [Les avocats] doivent réaliser que ces personnes seront stressées et à cran, et tenter de les traiter comme des partenaires dans une négociation. »

Pour y arriver, les avocats doivent s’adapter aux circonstances. Selon Me Gottheil, toutes leurs communications avec un plaideur non représenté devraient se faire par écrit pour limiter le risque de voir une déclaration verbale mal interprétée ou mal comprise. Me MacKenzie a ajouté que si le plaideur a du mal à présenter sa preuve dans les règles de l’art, l’avocat de la partie adverse devrait s’abstenir d’exacerber sa frustration en formulant continuellement des objections.

En outre, selon Me MacKenzie, les tribunaux administratifs devraient songer à modifier l’ordre de présentation pour que le plaideur non représenté s’exprime en dernier. Le changement aurait peu d’incidence sur la preuve présentée, mais donnerait à la personne le sentiment d’avoir été entendue. « La conclusion à laquelle nous sommes arrivés, c’est que les plaideurs non représentés veulent vraiment avoir le dernier mot. »