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Évolution de l’accès à la justice : l’heure de la refonte a sonné

La crise de l’accès à la justice se poursuit depuis 30 ans : pourquoi un changement fondamental se fait-il toujours attendre?

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Une possible réponse à cette question, que pose Nicole Aylwin, directrice adjointe du Winkler Institute et professeure adjointe à l’Osgoode Hall, c’est que notre système de justice a évolué à l’image de la common law.

Dans la tradition de la common law, chaque nouvelle série de faits exige que la loi raffine progressivement les règles afin de nous rapprocher, en théorie, d’un monde idéal. Or, l’évolution n’est pas toujours aussi organisée qu’on le souhaiterait. Au fil du temps, l’accumulation de changements presque imperceptibles constitue un véritable nœud gordien.

Prenons l’exemple, popularisé par le biologiste évolutionniste Richard Dawkins, du nerf laryngé récurrent. Chez nos ancêtres aquatiques, celui-ci partait en ligne droite du cerveau au larynx en passant sous la crosse de l’aorte. Mais avec l’apparition de notre cou, le nerf, « coincé » sous l’artère, s’est trouvé forcé de suivre un chemin détourné : du cerveau, il descend en lacet autour de l’aorte
avant de remonter au larynx.

À chaque micro-étape de l’évolution, il n’était pas économique sur le plan biologique de « déplacer » le nerf quand un petit ajustement imparfait suffisait. Mais plus la tête s’éloigne du cœur, plus l’inefficacité du trajet devient flagrante. Ainsi, chez la girafe, ce nerf, qui suit un parcours semblable, fait 4,6 m alors qu’en ligne droite, il n’aurait qu’à faire 18 cm.

Selon la théorie de l’évolution, il n’y a pas de « dessein intelligent » – chaque génération part de la précédente. Toutefois, cela n’a pas forcément à être le lot du système de justice. Le droit évolue progressivement, certes, mais le corps législatif saisit parfois l’occasion de le repenser. Les tribunaux aussi, comme lorsque la Cour suprême renverse la jurisprudence, voire ses propres décisions.

Mme Aylwin appelle ce retour à la case départ « la grande réinvention. »

Entre en scène le Justice Design Project (JDP) du Winkler Institute, un projet visant à aider les étudiants pour aborder les problèmes juridiques sous un nouvel angle. Le JDP les rassemble en équipes interdisciplinaires pour leur apprendre à repenser l’accès à la justice. Ils apprennent à se mettre dans la peau des usagers, à définir un problème, à trouver des solutions, et à créer des prototypes basse fidélité qui pourront être testés et peaufinés.

En 2015, le JPD demandait aux participants de repenser une cour des petites créances. Cette année, leur défi était de concevoir une technologie qui rationaliserait le processus des petites créances en Ontario. Les participants, dont l’expertise allait de l’ingénierie à la santé mentale, ont créé divers prototypes : une appli aidant les non anglophones dans leurs démarches; un jeu en réalité augmentée pour se familiariser avec les services de justice; et une appli facilitant le règlement extrajudiciaire des litiges de moins de 2 000 $.

La crise de l’accès à la justice est devenue biologiquement insoluble parce que les juristes sont enlisés dans leurs habitudes, ce qui les empêche de voir les choses – ou de pratiquer le droit – autrement. Si les étudiants du JDP conçoivent des solutions avec autant de brio, c’est peut-être qu’ils ne sont pas encore passés par le moule de la profession. Cela dit, Me Aylwin a raison de penser que le design conceptuel est aussi à la portée des avocats qui ont souvent à « résoudre les problèmes avec créativité ».

On le dit souvent : le milieu du droit doit être remanié avant qu’il ne perde de sa pertinence. Or, les intervenants traditionnels n’ont jusqu’ici pas satisfait aux demandes d’une population qui s’attend, à juste titre, à mieux. L’inaccessibilité à la justice érode la primauté du droit, fondement de l’ordre social actuel.

Il est temps de jouer d’audace pour régler la crise de l’accès à la justice. Les initiatives tournées vers l’avenir comme le JDP donnent à croire qu’il est possible de nous défaire des vestiges du passé, et, avec un peu d’aide, de construire intelligemment un meilleur lendemain.