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Dans les méandres de la justice

Comment un système de triage pourrait montrer la voie aux gens qui ont besoin d’assistance juridique.

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Comment un système de triage pourrait montrer la voie aux gens qui ont besoin d’assistance juridique.

La plupart d’entre nous ont plusieurs options quand nous tombons malades, selon la gravité de la situation : nous pouvons acheter des médicaments sans ordonnance ou parler à un pharmacien; nous pouvons appeler une ligne d’aide pour obtenir des conseils d’une infirmière; nous pouvons aller consulter notre médecin de famille ou nous rendre dans une clinique; ou nous pouvons aller à l’urgence.

N’importe laquelle de ces options peut apporter une solution, un conseil ou nous référer vers un professionnel susceptible de régler le problème.

Si au moins régler un problème juridique était si simple…

« Littéralement, tout ce que les gens font — acheter et vendre, obtenir et perdre un emploi, toutes les transactions et transitions de la vie — comporte des aspects juridiques et peut potentiellement devenir problématique », dit Ab Currie, agrégé supérieur de recherche au Forum canadien sur la justice civile et un membre du groupe de travail sur le triage et les références du Comité d’action nationale sur l’accès à la justice dans les domaines du droit civil et de la famille.

Souvent, ajoute le chercheur, « les gens ne reconnaissent pas la nature juridique de leurs problèmes — ils ne savent pas où aller chercher de l’aide; ils ne connaissent pas leurs droits et souvent ils ont peur et ils ne font rien. »

Une solution possible est le développement de systèmes de triages efficaces, une approche recommandée tant par le Comité d’action nationale que le rapport final du Comité de l’accès à la justice de l’ABC.

Les cours et les tribunaux ne règlent qu’une petite partie des disputes civiles, dit John Sims, l’actuel président du Comité de l’accès à la justice de l’ABC. La plupart des problèmes juridiques de tous les jours sont réglés de manière informelle : les gens vont chercher de l’aide auprès d’une variété de sources qui vont de l’internet à leurs voisins; ou ils ont recours à la négociation ou la médiation, dit-il.

« Le problème est que lorsqu’ils y sont confrontés pour la première fois, ils sont souvent dépassés par le système juridique. Il y a littéralement des centaines de différents services informels parmi lesquels choisir. Ils ne savent pas vers quoi se tourner pour obtenir de l’aide. »

Les justiciables ont généralement accès à la justice à travers des services qu’ils approchent pour d’autres problèmes — des intermédiaires comme des fournisseurs de services de santé ou des travailleurs sociaux, selon le rapport de l’ABC Atteindre l’égalité devant la justice : Une invitation à l’imagination et à l’action, publié l’automne dernier.

« Les désavantages [que ça engendre] sont une incertitude quant à savoir où les gens doivent réellement s’adresser pour obtenir de l’aide, et une efficacité qui dépend trop souvent de leur résilience et de leur disposition à continuer de ‘cogner à différentes portes’, répétant chaque fois leur histoire, jusqu’à aboutir au règlement du problème. À chaque étape supplémentaire, des personnes se découragent et bon nombre abandonnent, ce qui suppose souvent d’importants coûts personnels. »

Karen Hudson, directrice générale de l’Aide juridique de la Nouvelle-Écosse, dit qu’elle était elle-même surprise d’apprendre que des personnes qui traversent une crise familiale se rendent directement à la cour pour demander de l’aide.

C’est peut-être parce que pour plusieurs d’entre eux, le palais de justice est une représentation concrète du système judiciaire. Mais il n’est pas garanti qu’ils y trouveront l’aide dont ils ont besoin.

« Ils se retrouvent devant le guichet d’un préposé et lui demandent quoi faire pour régler leur problème. Le greffier a un temps limité et des ressources limitées pour les aider », dit Trish Hebert, une avocate chez Gordon Zwaenepoel à Edmonton et membre d’office du Comité de l’accès à la justice de l’ABC.

Pendant ce temps, elle « peut déjà avoir posé la même question à 15 autres personnes lorsqu’elle se présente au guichet du préposé ».

Pour l’instant, le triage n’est qu’un concept qui commence à attirer l’attention; il n’a pas encore de forme précise et on ne sait même pas si un seul et même modèle pourrait s’appliquer à l’ensemble du Canada.

« C’est un mot qu’on entend dans les cercles d’accès à la justice et parfois on doit s’assurer qu’on parle tous de la même chose, dit Me Hebert. Si on parle du triage dans les cours, est-ce qu’on ne parle que de la manière dont on répartit les gens à l’intérieur de la structure judiciaire formelle? ».

Le rapport de l’ABC propose d’examiner les choses dans la perspective plus large de la façon dont les tribunaux redirigent les justiciables vers les bonnes avenues à l’interne, et à l’externe, en agissant comme réseau de référence pour les services communautaires ou les mécanismes alternatifs de résolution de conflits, ajoute l’avocate.

« Ce n’est pas comme si la cour va devenir un centre de coordination pour toutes les difficultés potentielles, mais donnons-lui une meilleure capacité de le faire pour les gens qui voient la cour comme le moyen d’avoir accès à de l’information ou des ressources juridiques. »

Pour Me Currie, « le triage est un processus actif qui consiste à avoir quelqu’un en position d’identifier un problème, l’évaluer et dire aux gens où aller ». Il devrait être en mesure de donner aux gens une aide concrète. Il aimerait le voir commencer aux toutes premières étapes de ce que le rapport de l’ABC appelle un « pro­blème justiciable » — une réalité à laquelle au moins 45 % des Canadiens seront confrontés dans les trois prochaines années.

Pour Karen Hudson, le triage signifie donner des réponses appropriées à ceux qui cherchent de l’aide.

« C’est un continuum, dit-elle. Au premier plan de ce conti­nuum, vous avez la prévention et l’information et ensuite la col­la­boration, avec les approches de règlements alternatifs de dif­­férends, et ensuite vous avez les processus plus formels des cours. Certains dossiers devront se rendre directement vers les tribunaux, d’autres n’iront peut-être jamais devant un juge s’il y a des options collaboratives, de médiation, ou alternatives de régler les différends. »

En Ontario, les cliniques d’aide juridique développent des partenariats avec des organisations communautaires et d’autres fournisseurs de services, dit Me Sims.

« Une approche prometteuse de triage qui est mise à l’essai dans certains endroits est d’équiper ces ‘intermédiaires de confiance’ avec assez d’informations de base et de formation pour qu’ils puissent aider à diriger les gens qui ont des problèmes vers les personnes ou les endroits appropriés pour obtenir de l’aide », dit-il. D’autres solutions possibles incluent des lignes télépho­niques d’ordre juridique, ou des guichets uniques pour l’accès au système judiciaire.

À la fin du mois de janvier, le ministre de la Justice de l’Alberta Jonathan Denis a annoncé un plan pour établir des « bureaux de triage » dans les palais de justice pour aider les justiciables à naviguer à travers le système, leur épargnant peut-être des frais d’avocats, permettant du même coup aux cours de se concentrer sur les dossiers qui ont besoin de son expertise.

Quel que soit le modèle adopté, l’important est qu’il puisse fournir des réponses à ceux qui en ont besoin.

« Pour nous, il n'y a pas de mauvais guichet auquel se rendre, tant que tout le monde a accès à un système de triage et de référence efficace », dit Me Hebert. « Quel que soit le service dont les individus ont besoin, ils peuvent l’avoir en cognant à cette porte ou en ouvrant cette fenêtre. »