Pour une réforme efficace
La nécessaire modernisation de la Loi sur les langues officielles doit répondre à la réalité contemporaine de la dualité linguistique canadienne.
Bien qu’il soit mort au Feuilleton, le projet de loi C-32 déposé à la Chambre des communes en 2021 soulève des inquiétudes parmi les membres de la Section des juristes d’expression française de common law de l’Association du Barreau canadien.
En prévision du dépôt d’un nouveau projet de loi visant la modernisation de la Loi sur les langues officielles (déposé depuis l’envoi de la lettre), la Section partage ses inquiétudes face à la réforme avec la ministre des Langues officielles Ginette Petitpas Taylor, le ministre de la Justice et procureur général du Canada david Lametti et la présidente du Conseil du Trésor Mona Fortier.
La section est d’avis que la nécessaire modernisation de la Loi en fasse un outil efficace qui répond à la réalité contemporaine de la dualité linguistique canadienne.
En octobre 2018, l’ABC avait, dans un mémoire présenté au Comité sénatorial permanent des langues officielles, plusieurs recommandations dont la modification du paragraphe 16(1) de la Loi sur les langues officielles afin d’assujettir la Cour suprême du Canada à l’obligation relative à la compréhension des langues officielles sans l’aide d’un interprète.
Aujourd’hui, la section recommande au gouvernement de maintenir son engagement à renforcer et élargir les pouvoirs du Conseil du Trésor, notamment la coordination de la mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles. L’ABC demande aussi que l’on confie le rôle stratégique de la coordination horizontale à un seul ministre.
« Malgré ces engagements à première vue prometteurs, peut-on lire dans la lettre de l’ABC, le projet de loi C-32 proposait un régime linguistique qui continue de partager la responsabilité de coordonner la mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles entre le ministère du Patrimoine canadien et le Conseil du Trésor. » La section est d’avis que cette architecture est insoutenable.
La partie VII de la Loi sur les langues officielles
Le projet de loi C-32 ne règle en rien les problèmes liés à la partie VII de la Loi, dont les conséquences sont détaillées dans l’arrêt de la Cour fédérale dans l’affaire Fédération des francophones de la C-B c. Canada (Emploi et Développement social).
Le problème tourne autour du vocabulaire utilisé au paragraphe 41(2), qui suggère une obligation générale de prendre des « mesures positives » sans pour autant établir un seuil minimal de mesures positives à atteindre.
« Le libellé imprécis de la partie VII de la Loi sur les langues officielles, dit la section, fait donc obstacle à sa mise en œuvre. Nous vous exhortons à revoir son libellé afin d’empêcher que la partie VII demeure inerte et sans effets juridiques concrets. »
Faillite, magistrature, Constitution, jugements bilingues
La section s’inquiète de l’absence de garanties législatives assurant le bilinguisme judiciaire en matière de faillite et d’insolvabilité. Il semble étrange, dit la lettre, « de ne pas avoir profité du contexte de l’importante réforme en matière de langues officielles que vous promettez pour enfin régler le problème de l’unilinguisme dans le domaine de la faillite et de l’insolvabilité. »
La section se dit aussi déçue de ce que la Loi sur les langues officielles proposée soit silencieuse sur l’évaluation des compétences linguistiques des candidats à la magistrature. Nous aurions préféré « que votre gouvernement s’engage à légiférer un processus obligatoire d’évaluation rigoureuse des compétences linguistiques des candidats à la magistrature qui ont précisé leur niveau de capacité linguistique dans leur fiche de candidature afin d’assurer une capacité bilingue appropriée au sein des tribunaux. C’est une demande de longue date de l’ABC. »
L’autre grande absente de la réforme est la version française de la Constitution. « Alors que la Constitution du Canada garantit l’égalité de statut du français et de l’anglais et prévoit que les lois du Parlement doivent être promulguées dans les deux langues officielles, la nette majorité des textes constitutionnels du Canada, incluant son texte fondateur (c’est-à-dire la Loi constitutionnelle de 1867), ne sont officiels qu’en anglais. C’est afin de remédier à cette incongruité que le constituant a adopté l’article 55 de la Loi constitutionnelle de 1982, lequel encadre l’obligation de rédiger et de déposer pour adoption la version française des parties de la Constitution canadienne qui ne sont officielles qu’en anglais. Cette promesse solennelle du constituant demeure inachevée. »
La section est consciente que la traduction de décisions judiciaires requiert une importante affectation de ressources humaines. Mais elle émet un avertissement quant à l’article 12 du projet de loi C-32 qui aurait pour effet de restreindre la portée de l’obligation universelle de publier les décisions définitives des tribunaux fédéraux dans les deux langues officielles.
« Il s’agit d’une dilution ou d’un recul qui s’inscrit en porte-à-faux avec l’orientation générale de progrès ou d’avancement sous-tendant le projet de loi. À notre avis, une telle mesure doit faire l’objet d’un examen attentif et être abordée avec prudence. »
La section se range derrière une recommandation formulée par le commissaire aux langues officielles du Canada, qui mettrait en place un système d’examen des décisions pour ne traduire que celles ayant valeur de précédent ou présentant une importance pour le public.