Dépenser intelligemment
En cette époque de faibles taux d’intérêt, forcer les œuvres de bienfaisance à dépenser davantage pour leurs activités risquerait d’hypothéquer leur viabilité à long terme.
La Section des organismes de bienfaisance et à but non lucratif de l’Association du Barreau canadien s’inquiète de la possible augmentation du montant minimum qu’une œuvre de bienfaisance enregistrée doit consacrer à ses activités caritatives, car cela compliquerait la planification de ses investissements et ferait planer un risque sur sa pérennité financière.
Dans une lettre à la vice-première ministre et ministre des Finances Chrystia Freeland (lettre disponible uniquement en anglais, toutes les citations qui en sont tirées sont des traductions), la section est d’avis que majorer le contingent des versements et muscler les leviers légaux de l’Agence du revenu du Canada, solution que l’on propose d’étudier par des consultations publiques dans le budget fédéral de 2021, créerait des difficultés pour de nombreux organismes de bienfaisance.
Le contingent des versements, c’est le pourcentage des dons qu’un organisme de bienfaisance enregistré doit dépenser pour ses programmes ou services caritatifs chaque année – ce qui comprend les cadeaux aux autres œuvres caritatives. Le montant est calculé à partir de la valeur des biens de l’organisme que celui-ci n’utilise pas pour mener ou administrer ses activités caritatives. Ce contingent est actuellement fixé à 3,5 % de la valeur moyenne de ses biens.
Jusqu’en 2004, ce taux était de 4,5 % et, comme le souligne la section, les œuvres caritatives avaient du mal à atteindre ce seuil. Cette année-là, dans le budget fédéral, ce pourcentage fut revu à la baisse pour mieux refléter les taux de rendement réels à long terme du type de portefeuille de placements que détiennent la plupart des organismes de bienfaisance enregistrés.
En 2004, on jugeait que 4,5 %, c’était trop, compte tenu des rendements dans un contexte où le taux officiel d’escompte se situait à 2,25 %. Aujourd’hui, ce taux est à un demi pour cent! Avec un taux aussi faible, la section estime qu’augmenter le contingent des versements n’est pas une bonne idée.
Dépenses en immobilisations
La section fait observer que majorer le contingent des versements risque d’obliger les organismes de bienfaisance à dépenser en puisant dans leur capital en plus de leurs intérêts et dividendes. Cela poserait un problème financier aux organismes dont les dépenses sont restreintes aux intérêts et dividendes. La section est claire : « Les immobilisations, qui comprennent les gains en capital, ne sauraient être mises à contribution pour des dépenses, car il s’agit de fonds fiduciaires dont la loi interdit l’utilisation, qui constituerait un empiétement sur le capital et une violation de fiducie. »
Les organismes seraient ainsi forcés de demander aux tribunaux de modifier leurs modalités fiduciaires de façon à pouvoir affecter leurs immobilisations et gains en capital à leurs dépenses. Ces procédures coûteraient cher. « Même le processus simplifié évitant les requêtes judiciaires, offert dans certaines provinces, dont l’Ontario, n’est pas sans difficulté et les modifications permises sont strictement limitées », précise la section dans sa lettre.
Planification de l’avenir
Les organismes de bienfaisance doivent être en mesure de maintenir leurs actifs à long terme. Ils en ont besoin pour continuer d’offrir des programmes et services caritatifs, mais aussi pour remplir leur mission auprès des donateurs qui leur baillent des fonds qu’il s’agit de faire fructifier à long terme.
« Les organismes de bienfaisance peuvent difficilement planifier leur avenir sans savoir s’ils disposeront de fonds annuels, et dans quelle mesure le cas échéant, pour financer leurs programmes actuels et futurs », fait valoir la section dans sa lettre. Ils doivent être en mesure d’investir leurs deniers prudemment, de façon à détenir assez d’actifs pour pourvoir à leurs activités futures. Les taux d’intérêt étant très faibles actuellement, majorer le contingent des versements serait désavantageux pour le secteur caritatif et l’intérêt public.