Combler une brèche inexistante
Le projet de loi C-3, tel que modifié, demeure problèmatique quant à l'imposition aux personnes nommées juges de suivre une formation sur les agressions sexuelles.
Lorsque le Parlement a été prorogé en août 2020, un certain nombre de projets de loi sont morts au feuilleton. Parmi eux, se trouvait le projet de loi C-5 qui aurait assujetti la validité des nominations à la magistrature à l’engagement à suivre des cours sur le droit des agressions sexuelles et le contexte social. Le projet de loi C-5 était similaire au projet de loi C-337, un projet de loi d’initiative parlementaire lui aussi mort au feuilleton lorsque les élections de 2019 ont été déclenchées.
La Section du droit pénal de l’ABC et le Sous-comité des questions judiciaires ont commenté ces deux projets de loi et offrent maintenant leurs commentaires à propos du projet de loi C-3, Loi modifiant la Loi sur les juges et le Code criminel.
Passons aux bonnes nouvelles en premier : l’ABC considère comme une amélioration que le projet de loi n’exige plus que l’ensemble des candidats et candidates suivent une formation sur les agressions sexuelles avant leur nomination, mais qu’il exige des personnes qui posent leur candidature pour un poste à la magistrature qu’elles s’engagent à suivre la formation. Il reste cependant des préoccupations.
L’une des importantes questions est de savoir si la nomination d’un candidat sera suspendue ou conditionnelle jusqu’à l’achèvement de la formation. Il faudrait également savoir exactement à qui incombe la responsabilité de dispenser la formation et qui assumerait le coût de l’inscription à ces cours. « Si une personne est nommée, mais n’est pas en mesure de remplir son engagement, fera-t-elle l’objet de mesures disciplinaires? Ou d’autres sanctions? »
Alors qu’il est souhaitable que les juges canadiens soient formés de manière adéquate, le mémoire soulève d’importantes questions quant au caractère approprié de l’obligation qui serait imposée à toute personne nommée à un poste de juge de suivre une formation en droit des agressions sexuelles, particulièrement si le juge n’aura probablement jamais l’occasion de trancher ce genre d’affaire, comme ceux qui sont nommés à la Cour canadienne de l’impôt. Comme l’ont déjà souligné la section et le sous-comité dans leurs commentaires à propos de projets de loi antérieurs, le projet de loi « ne prévoit aucune mesure de sensibilisation aux agressions sexuelles pour les juges provinciaux et territoriaux, alors que ce sont eux qui sont appelés à examiner le plus de dossiers d’agressions sexuelles ».
L’ABC s’inquiète également de la protection de l’indépendance de la magistrature. « Il est troublant de voir le Parlement tenter de soumettre un des trois grands pouvoirs de l’État, qui ne lui est pas subordonné, à une formation particulière qu’il juge nécessaire », dit le mémoire, qui ajoute que le Conseil canadien de la magistrature et l'Institut national de la magistrature dispensent déjà une formation de sensibilisation aux agressions sexuelles. « Ces institutions dirigées par des juges conçoivent des formations en droit pénal à l’intention des juges fédéraux; formations axées sur les procès portant sur des agressions sexuelles, y compris une formation sur le contexte social. Nous exhortons les juges provinciaux et territoriaux à se procurer une formation adéquate. »
Selon l’ABC, le projet de loi C-3, à l’instar de ses prédécesseurs, vise à corriger « une lacune inexistante dans l’appareil fédéral » sans aborder les possibles problèmes au sein de la magistrature provinciale et territoriale, où siègent les juges qui tranchent presque toutes les affaires d’agressions sexuelles.