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Rendre justice en ligne

Le Tribunal de règlement des différends civils de la Colombie-Britannique : un modèle… ou une leçon?

Online justice
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Lors de sa réunion de septembre, le Groupe de travail de l’ABC sur la COVID-19 a découvert les limites de la technologie alors qu’une vingtaine de tout nouveaux experts dans l’utilisation du logiciel Zoom (d’ailleurs très instruits) tentaient en vain, depuis toutes les régions du pays, de se connecter à l’audio afin de pouvoir participer à la réunion.

Après avoir échangé des messages, être sortis puis rentrés dans la réunion, avoir discuté frénétiquement avec le personnel de soutien des TI et regardé le sinistre cercle bleu qui accompagnait le message « connecting to computer audio » pendant 15 minutes, le problème a été réglé et la réunion a eu lieu comme prévu.

Comme par coïncidence, la conférencière invitée de septembre était la présidente de l’ABC-C.-B., Jennifer Brun, qui parlait du Tribunal de règlement des différends civils de cette province et des enseignements que nous pouvons en tirer alors que nous dépendons de plus en plus sur la technologie pour fournir l’accès à la justice.

Pour ceux qui ne le savent pas, la Colombie-Britannique a promulgué une loi en 2012 pour établir le Tribunal de règlement des différends civils – le premier tribunal en ligne du pays en matière de règlement des différends civils –, afin de créer une option abordable et sans interruption pour régler certains différends juridiques. Il a commencé par entendre des litiges en matière de copropriété en 2016 et des litiges relevant des petites créances pour des montants inférieurs à 5000 $ en 2017. De récentes modifications ont ajouté trois nouveaux domaines de compétence : les litiges portant sur les véhicules à moteur portant sur la responsabilité et les préjudices à concurrence de 50 000 $, les décisions portant sur les blessures mineures et le droit aux indemnités en cas d’accident, ainsi que les différends sans limitation de valeur connexes à la Societies Act et à la Cooperative Associations Act.

Le tribunal fonctionne intégralement en ligne. Il n’a aucun bureau physique et les participants ne se rencontrent jamais, même par téléphone ou vidéoconférence (sauf quelques exceptions). Un processus guidé permet aux participants de suivre les étapes allant de la négociation préalable au dépôt à la négociation, en passant par le dépôt du litige. Un tiers est nommé pour faciliter le processus uniquement si la première étape ne débouche pas sur un règlement. Une audience a lieu, les éléments de preuve et plaidoiries étant présentés par écrit, seulement si les parties ne peuvent s’entendre par l’entremise du tiers. Les décisions du Tribunal de règlement des différends civils sont sans appel. La Cour suprême de la Colombie-Britannique peut effectuer un contrôle judiciaire des décisions du Tribunal de règlement des différends civils, mais respectera le fait que le tribunal tranche en tant que spécialiste en la matière.

Dans un énoncé de position en date de 2018 (uniquement en anglais), l’ABC-C.-B. a déclaré appuyer le recours à des discussions facilitées par un tiers et à la médiation pour régler les différends, l’utilisation de la technologie pour accroître l’accès à la justice hors des heures normales des tribunaux, et l’utilisation par le Tribunal de règlement des différends civils s’efforce d’un langage simple, ce qui le rend plus accessible.

L’ABC surveille la situation et fait des suggestions pour améliorer le Tribunal de règlement des différends civils depuis le début, a dit Me Brun. La Division nourrit trois inquiétudes principales :

  • les restrictions de la représentation juridique,
  • des préoccupations quant à l’accessibilité,
  • le manque d’indépendance par rapport au gouvernement.

Le Tribunal de règlement des différends civils a été établi en l’absence d’apports de la magistrature ou du barreau, dit Me Brun. Les professionnels du droit auraient pu fournir d’importantes perspectives.

Alors que les personnes qui cherchent à régler un litige en ayant recours au Tribunal de règlement des différends civils peuvent se faire assister, la législation qui établit le tribunal exclut expressément les juristes qui ne disposent pas d’une autorisation spéciale du Tribunal de règlement des différends civils. Une exception a été faite pour autoriser les juristes à représenter les personnes impliquées dans les litiges au sujet d’un véhicule à moteur puisque l’assureur dépendant du gouvernement a un avocat.

 C’est dans le but de réduire les coûts que les juristes sont ostensiblement exclus. Cependant, cela peut se traduire par le fait que les gens ont « accès au règlement, sans accès à la justice », dit Me Brun. « Pour un grand nombre de personnes, le règlement suffit, mais en ce qui concerne des enjeux complexes dont les conséquences sont plus importantes, la justice peut avoir une plus grande valeur. » La Division a demandé que la restriction imposée à la participation des juristes soit levée pour tous les dossiers.

Les préoccupations quant à l’accessibilité découlent du fait que l’utilisation des plateformes en lignes n’est pas ouverte à tous et que la maîtrise du langage  peut être une « variable importante » lorsque la négociation, la facilitation et les audiences ont lieu par écrit, dit Me Brun. Il n’est pas toujours suffisant d’avoir quelqu’un pour aider. Les demandeurs qui n’ont pas accès à un ordinateur ou à l’Internet peuvent se rendre dans l’un des 60 bureaux de Service C.-B. où quelqu’un pourra les aider, mais cette personne ne sera pas forcément la mieux placée pour le faire.

Le manque d’indépendance découle du fait qu’il n’y a pas de sécurité des mandats : les membres du tribunal sont engagés, rémunérés et mis à pied par le gouvernement même qui les a nommés et qui peut être une partie à certains litiges. Ce problème pourrait être réglé en transférant le Tribunal de règlement des différends civils au pouvoir judiciaire, ce qui éliminerait le conflit.

Maître Brun a énuméré d’autres inquiétudes, dont les suivantes :

  • le manque d’examen au fond des décisions du Tribunal de règlement des différends civils, et le respect de ses décisions alors même que, selon l’avis de la Division, il ne s’agit pas d’un « tribunal spécialisé » puisqu’il se prononce sur un vaste éventail de questions,
  • l’élargissement de la compétence du Tribunal de règlement des différends civils,
  • le fait que les témoignages ne sont pas donnés sous serment et ne sont pas remis en question : il n’y a pas de contre-interrogatoire rigoureux et le membre du tribunal lit les plaidoiries et les témoignages pour parvenir à sa décision,
  • les différends complexes comportant des demandes reconventionnelles ne sont pas faciles à incorporer et il n’existe aucun moyen facile de transférer ces dossiers à un tribunal judiciaire,
  • le principe des audiences publiques : ni le public, ni les médias n’ont accès aux « audiences » du Tribunal de règlement des différends civils.