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Vastes connaissances et solides assises

L’honorable juge Malcolm Rowe conseille aux étudiants et étudiantes de ne pas se limiter à la pratique traditionnelle du droit

Justice Malcolm Rowe
Andrew Balfour Photography/Collection de la CSC

Bien avant de porter la toge rouge garnie de fourrure de la Cour suprême du Canada, le juge Malcolm Rowe avait un habit noir et blanc plus dans le style pingouin.

« On était les pingouins du centre de la salle », dit-il au sujet de sa tenue de greffier adjoint à l’Assemblée législative de Terre-Neuve-et-Labrador, où il a été conseiller en procédure parlementaire du président de l’Assemblée et avait un bureau au milieu du parquet.

« Mais on avait les meilleures places à l’Assemblée. »

C’était son premier emploi à sa sortie de la faculté de droit. Lui qui s’était toujours intéressé au fonctionnement du gouvernement, il y a acquis une expérience concrète de ses rouages.

Puis, il s’est joint au Service étranger, passant le plus clair de son temps à New York et à La Havane, occupant des postes non juridiques.

Ce n’est qu’au bout de cinq ans loin des tribunaux qu’il s’est tourné vers la pratique du droit et s’est fait engager par le cabinet qui s’appelle aujourd’hui Gowling. Moins d’un an plus tard, cependant, il est revenu aux affaires étrangères. Devenu conseiller sur les frontières maritimes, il a participé à des négociations concernant la surpêche dans les Grands Bancs.

Pendant quelques années, il a combiné la pratique traditionnelle du droit et le travail de conseiller du gouvernement. Chemin faisant, il est devenu greffier du conseil exécutif et secrétaire de cabinet au gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador.

Il a gravi les échelons jusqu’à devenir associé chez Gowling, mais s’est ensuite vu offrir de prendre la tête de la fonction publique dans sa province natale. Ce n’était pas un poste de juriste et le salaire était moindre.

« Je suis parti un peu à l’aveuglette, relate-t-il, mais je savais qu’une pareille offre n’arrive qu’une fois. »

Au moment de sa nomination à la division des procès de la Cour suprême de Terre-Neuve-et-Labrador en 1999, il avait – selon ses estimations – passé quelque 40 pour cent de sa carrière à des postes de non-juriste.

« La qualification de juriste ouvre des portes sur d’autres avenues », dit-il.

« Je crois avoir fait des choses intéressantes en cours de route. J’étais disposé à saisir les occasions. »

Durant une rencontre avec des étudiants et étudiante en droit lors d’une visite aux bureaux de l’Association du Barreau canadien le printemps dernier, il a insisté sur l’importance de cette façon de faire.

Oui, il faut avoir un plan, travailler dur à la faculté et faire flèche de tout bois pour bien se préparer à la pratique professionnelle, mais on doit toujours rester ouvert aux possibilités.

« Parfois, dit-il, telle ou telle situation nous donne l’occasion d’aller au-delà de la pratique du droit, et je vous conseille l’ouverture à ces possibilités. »

Promu à la Cour d’appel en 2001, l’honorable juge Rowe est devenu juge à la Cour suprême du Canada en 2016. Il y a apporté une expérience de l’exécutif, du législatif et du judiciaire, en plus de son bagage international. S’il est vrai que son expérience non juridique ne l’aide pas nécessairement dans les affaires de droit pénal, il a dit aux étudiants que certains gros dossiers de droit public présentent des questions pour lesquelles cette expérience devient un atout.

Quant à savoir si l’une de ses expériences à la faculté ou sur le marché du travail l’aurait particulièrement avantagé pour la pratique du droit, il estime que non. Pour lui, la clé a plutôt résidé dans l’acquisition de connaissances étendues et d’une base solide.

« L’idée générale, c’est de bien se préparer dans divers domaines : droit contractuel, criminel, constitutionnel, administratif… »

« Vous aurez alors une base sur laquelle ériger le reste. Si vous vous spécialisez trop tôt et de façon trop pointue, vous risquez d’hypothéquer votre capacité d’adaptation et de voir des occasions vous échapper. »

En cette époque où la profession juridique, l’économie et la société changent rapidement, la clé, selon lui, c’est une base solide et une bonne capacité d’adaptation.

Cela dit, malgré le changement, certaines choses demeurent. Quoi donc? Le syndrome de l’imposteur.

L’honorable juge Rowe se souvient : il lui a fallu près de deux ans pour commencer à se sentir à l’aise dans la peau d’un juriste et ne plus craindre de nuire aux intérêts du client en se présentant comme un avocat. Pour y arriver, il a travaillé fort et avec diligence, mais a aussi demandé conseil à des juristes d’expérience.

« L’une des grandes difficultés pour beaucoup de jeunes juristes aujourd’hui, selon moi, c’est qu’il n’y a plus ce mentorat; c’était la porte d’entrée traditionnelle à la profession », poursuit-il.

« Un juriste aguerri vous prenait sous son aile; vous appreniez par son exemple, il vous expliquait comment et pourquoi faire telle ou telle chose. »

Même sans mentor ou associé avec qui travailler directement, ça reste une bonne idée d’avoir quelqu’un à qui demander conseil en cas de dilemme.

« Mais même avec un mentor, admet-il, chaque fois que j’ai changé de poste et de travail, le syndrome de l’imposteur est revenu au galop. »

« Plus vous gagnez en expérience et changez de travail souvent, plus vous sentirez que vous pouvez vous adapter à un gros changement, car vous en aurez vu d’autres. Je n’ai qu’à me concentrer et à trouver quelqu’un avec plus d’expérience pour me conseiller. »

Comme dans tout parcours professionnel, l’honorable juge Rowe a connu son lot de mauvaises surprises et de revers. Son attitude est de voir les choses en face et de corriger le tir.

« N’allez pas croire que tout ira toujours comme sur des roulettes. L’adversité sera de la partie. Le tout est de savoir ce que vous ferez devant elle. La solution est d’évaluer les choses aussi objectivement que possible », explique-t-il.

« Cela peut signifier quitter un emploi bien payé, ou encore vous mettre en situation désavantageuse temporairement parce que vous avez besoin de repartir à zéro. »

L’argent n’a jamais été sa principale motivation. Ce qui l’intéresse, c’est un travail intéressant qui change les choses et se fait aux côtés de gens honnêtes, passionnés et respectueux de l’éthique, auprès de qui il a beaucoup appris.

« Si vous voyez une possibilité de ce genre, où vous pouvez évoluer dans une direction différente, où vous travaillez à quelque chose qui en vaut la peine avec des gens que vous respectez, selon moi, cela ressemble à une excellente possibilité », estime-t-il.

Pour lui, travailler avec l’honorable Beverley McLachlin, ex-juge en chef de la Cour suprême, a été un sommet dans sa carrière.

« Elle était tout simplement dans une classe à part », se souvient-il.

« Elle a été une juriste légendaire, une femme d’une immense sagesse, une personne d’une grande intégrité. Elle est de cette catégorie spéciale de personnes dont la rencontre, où que ce soit dans votre vie, est une chance. Et vous êtes doublement chanceux si vous avez l’occasion de travailler avec elle. »