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Encore bien des choses à apprendre

Une étudiante en droit et une avocate plaident pour davantage de sensibilisation, d’investissements et de coopération en vue de rendre les études en droit accessibles aux personnes neurodivergentes

Rachel Lewis
Rachel Lewis

Même si les facultés de droit ont fait de grands pas en matière d’inclusion ces dernières années, leurs programmes demeurent en grande partie inaccessibles aux étudiantes et étudiants neurodivergents. Certes, il n’existe pas de panacée, mais une analyse approfondie des problèmes existants permet de dégager quelques pistes de solution.

Éviter les suppositions et le capacitisme

Dans les facultés de droit, quand vient le temps d’enseigner à des personnes neurodivergentes, il faut garder en tête ce grand principe : « Si vous n’êtes pas capable d’expliquer un concept en termes simples, c’est que vous ne le connaissez pas assez bien. » L’essentiel du travail de l’enseignant consiste à rejoindre les étudiants là où ils sont, en expliquant les concepts dans des termes qu’ils peuvent comprendre et en déterminant les apprentissages dont ils ont besoin.

Il est vrai que les personnes neurodivergentes apprennent différemment, mais cela n’a aucun lien avec leur capacité d’apprendre et d’effectuer des travaux ou des examens. Or, les gens et les professeurs vont d’ordinaire présumer, dès qu’ils entendent le mot « in-capacité », que la personne ne sera pas capable de faire les travaux demandés.

Il n’y a pas de panacée

On parle de « pancapacitisme » lorsqu’un système applique une solution universelle pour assister les personnes présentant des différences physiques ou intellectuelles. Par exemple, une faculté de droit qui traite toutes les personnes neurodivergentes de la même manière, en se bornant à leur fournir les présentations PowerPoint avant le début des cours et du temps supplémentaire pour les examens et les travaux, malgré la diversité des diagnostics et des recommandations médicales. Il faudrait bien entendu procéder différemment pour s’adapter à la situation de chacun.

Or, quand des étudiants et étudiantes font valoir leur cause, trop souvent reçoivent-ils en réponse des questions au lieu d’une offre de soutien. Les personnes neurodivergentes signalent souvent qu’on les traite comme s’ils essayaient de profiter du système ou d’obtenir un avantage sur leurs pairs quand ils plaident pour l’accessibilité de l’éducation et des mesures d’adaptation.

Par exemple, un professeur peut être réticent à l’idée d’enregistrer ses cours, non seulement par peur d’émettre des propos qui risquent d’être mal interprétés par la suite, mais aussi parce qu’il craint que des étudiants ne se donnent pas la peine de venir en classe. Pourquoi ne pas plutôt voir cela comme un moyen de véritablement aider les étudiants? La vie nous réserve parfois des surprises – que ce soit une maladie ou une situation personnelle –, et de ce point de vue, les enregistrements donneraient la possibilité à tous les étudiants de réussir. Le soutien académique devrait reposer sur une approche humaine et de compréhension. Pourquoi ne pas voir chez les étudiants qui demandent l’accessibilité le désir de recevoir l’éducation pour laquelle ils paient, et ce, aux côtés de leurs pairs, sur un pied d’égalité avec eux?

Professeurs de droit : améliorer le programme d’études pour les personnes neurodivergentes

Les professeurs de droit ont la tâche difficile de créer un programme d’études complet et cohérent qui répond aux besoins variés de leurs étudiants. Certes, le manque de temps et les autres priorités peuvent faire obstacle, et l’équilibre entre le travail au bureau, la recherche et l’enseignement est parfois fragile. Néanmoins, il existe des moyens d’assurer aux personnes neurodivergentes un accès adéquat à l’éducation offerte par les facultés de droit.

Pour offrir une éducation complète, il faut d’abord favoriser un dialogue ouvert avec les personnes neurodivergentes, de manière à pouvoir explorer des stratégies d’apprentissage qui à la fois répondront aux besoins de ces étudiants et donneront au corps professoral les moyens de mieux enseigner. Les personnes neurodivergentes ont souvent des forces uniques qui peuvent enrichir le programme d’études. Par exemple, les autistes peuvent montrer une grande minutie et une concentration soutenue; les personnes dyslexiques possèdent souvent de grandes aptitudes visuelles et une bonne capacité à résoudre les problèmes; les étudiants atteints de dyspraxie ont tendance à faire preuve d’innovation et à afficher une conscience sociale; et les personnes vivant avec un TDAH sont souvent créatives et passionnées. Les professeurs de droit peuvent s’appuyer sur cette diversité pour monter un programme d’études qui favorise l’innovation en droit et instaurer un environnement accueillant où les étudiants exploitent leurs compétences uniques pour mieux comprendre les principes juridiques.

Pour mieux épauler l’ensemble des étudiants en droit, les professeurs devraient diversifier les activités en classe en allant au-delà des présentations magistrales. Les exercices, les discussions et les séances de préparation à des tests ciblés sont autant de moyens de stimuler la participation. Un bon équilibre entre présentations magistrales et apprentissage pratique peut aussi aider les étudiants, surtout ceux qui sont neurodivergents, à saisir les concepts juridiques et à voir comment ils sont appliqués dans la vie réelle. Par exemple, dans un cours de droit de la famille, les 10 à 20 premières minutes pourraient porter sur le principe juridique de pension alimentaire compensatoire ou non compensatoire du conjoint et comprendre l’étude de trois affaires – deux précédant la modification de la Loi sur le divorce et l’autre suivant cette modification, si possible. Il y aurait ensuite une discussion de 20 minutes sur les facteurs que doit étudier le tribunal pour rendre sa décision dans ce type d’affaires. Puis, s’il reste du temps, les étudiants pourraient remplir une section d’un formulaire sur la pension alimentaire en se fondant sur ces principes, à la lumière d’une courte séquence des faits.

Améliorer les entrevues pour diversifier le processus d’embauche

Lorsqu’ils font passer des entrevues à des personnes neurodivergentes, les cabinets de droit doivent procéder de manière réfléchie, car le processus laisse souvent des préjugés inconscients s’insinuer dans les décisions d’embauche. Résultat : c’est toujours le même genre de personnes qui reçoivent des offres. L’image stéréotypée de l’avocat – son apparence, sa manière de s’exprimer et de penser – favorise une attitude de fermeture qui limite la diversité dans la profession.

Un problème que partagent tous les étudiants (neurodivergents ou non), c’est que certains employeurs et recruteurs hésitent à investir dans la formation de stagiaires en droit qui n’ont pas eu l’occasion durant leurs études d’acquérir de l’expérience dans le cadre de stages (d’été ou autres). Pourtant, c’est un investissement dans l’avenir : si vous les formez dès maintenant, ces étudiants pourront devenir des avocats exceptionnels qui, un jour, vous remercieront pour votre encadrement et cette possibilité qui les ont aidés à construire leur carrière.

Quand vous passez un candidat neurodivergent en entrevue, ne vous limitez pas à évaluer la facilité avec laquelle la personne pourra s’intégrer dans votre organisation – cela va de soi. Concentrez-vous plutôt sur son potentiel unique et ses diverses compétences. Même si la personne bégaie ou ne vous regarde pas directement durant une entrevue sur Zoom ou en personne, elle peut tout de même avoir des compétences précieuses, comme savoir rédiger des documents juridiques précis, faire preuve de concision dans ses écrits, négocier des ententes complexes avec les clients et d’autres avocats et mémoriser une vaste jurisprudence.

Il faut aussi comprendre qu’un étudiant neurodivergent pourrait décider de ne pas dévoiler ses différences en entrevue ou au cabinet, craignant les préjugés quant à sa capacité à travailler rapidement et à respecter les échéances. Pourtant, ces préjugés n’ont pas lieu d’être : si une personne a réussi l’examen d’admission aux études en droit, fréquenté la faculté de droit et obtenu les notes qu’elle a – qu’elles soient exceptionnelles ou moyennes –, c’est la preuve qu’elle est capable de s’adapter et de réussir.

Il est important de suivre une approche de recrutement équitable et inclusive, notamment à l’égard des étudiants en droit et avocats neurodivergents, car la personne que vous auriez autrement écartée pourrait en fait être celle qui réussira à créer des liens avec les clients comme personne d’autre.

Les étudiants en droit neurodivergents apprennent la matière, réfléchissent aux questions (même si elles sont fournies à l’avance) et saisissent les principes juridiques et la jurisprudence. Tout ce qu’ils demandent, c’est que vous fassiez preuve d’ouverture à l’embauche. Les cabinets qui maintiennent des attentes désuètes ne devront pas s’étonner de voir la profession juridique rester aussi homogène qu’avant.

Mettre les facultés de droit, les centres responsables de l’accessibilité et les barreaux sur la même longueur d’onde

Les facultés de droit et les centres responsables de l’accessibilité se livrent actuellement à une guerre intestine en ce qui concerne le meilleur moyen de répondre aux besoins des personnes neurodivergentes. Les centres responsables de l’accessibilité fournissent souvent d’excellentes mesures d’adaptation aux étudiants de premier cycle, mais il n’en va pas de même pour les facultés de droit. Les facultés de droit sont plutôt connues pour leur façon d’occulter les besoins des personnes neurodivergentes en mettant de l’avant des politiques de laissez-faire, comme des conceptions d’apprentissage universelles et des mesures d’adaptation généralisées pour tous les étudiants. Il en résulte une forme de capacitisme où les personnes neurodivergentes sont censées s’adapter à la norme universelle. Cette situation leur fait vivre d’énormes difficultés affectives et psychologiques.

Les facultés de droit et les centres responsables de l’accessibilité au Canada doivent se mettre sur la même longueur d’onde en ce qui a trait à l’intérêt supérieur des personnes neurodivergentes. Pour ce faire, ils doivent s’associer pour donner des ateliers où les professeurs de droit apprendront comment enseigner aux personnes neurodivergentes et s’adapter à leurs besoins, par exemple en leur accordant pour les examens une période équitable établie par et avec l’étudiant. Par exemple, un étudiant qui doit faire un examen de 48 heures à distance devrait se faire accorder plus de temps pour l’épreuve, pour autant que son conseiller en accessibilité y consente, plutôt que le professeur de droit. Avant que de vieux préjugés ne refassent surface devant cette idée, nous vous invitons à voir cette recommandation non pas comme une tentative d’exploiter le système, mais plutôt comme un moyen de respecter le droit à l’éducation des étudiants.

Les facultés de droit devraient aussi accorder aux services d’accessibilité l’autonomie nécessaire pour créer des parcours à charge réduite protégés des préjugés liés aux « études à temps partiel » et des autres restrictions réglementaires. Les services d’accessibilité ont aussi le devoir d’engager des conseillers qui s’occupent spécifiquement des programmes professionnels menant à un grade. Ces conseillers jouent un rôle essentiel dans un système universitaire qui ne réussit pas encore à offrir l’accessibilité et des mesures d’adaptation adéquates. Le nombre de demandes en attente des étudiants de premier cycle et des cycles supérieurs s’en trouvera réduit.

Par ailleurs, les barreaux devraient revoir leur terminologie et leurs codes d’éthique en ce qui concerne les technologies et logiciels d’adaptation, surtout pour les stagiaires en droit. Il faudrait notamment clarifier la distinction entre une utilisation éthique d’un logiciel de transcription pour la prise de notes et l’enregistrement non autorisé d’interactions avec des clients. Ces précisions aideront les personnes neurodivergentes aux capacités diverses – notamment celles qui sont atteintes du syndrome du canal carpien, d’arthrose et de tendinites – en diminuant la stigmatisation associée à l’usage de ces outils et en favorisant la transparence concernant leurs besoins. De plus, la normalisation du recours à des logiciels de transcription fiables et confidentiels peut apporter des gains quant à la fidélité des transcriptions des interactions avec les clients, ce qui profitera tant aux cabinets de droit qu’aux autres organisations.

On croit trop souvent qu’il est difficile de rendre les études en droit accessibles aux personnes neurodivergentes. Pourtant, les recommandations présentées ici pourraient faire des facultés de droit des établissements plus équitables, qui contribueront à ce que la profession juridique devienne plus représentative de la population du Canada et mieux en mesure de répondre à ses besoins.

Cette version de l’article a paru à l’origine dans le magazine JUSTE de l’Association du Barreau de l’Ontario. Elle est reproduite avec la permission des auteures.