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Le système de stages est cousu de harcèlement et de discrimination

Au-delà des renseignements empiriques : un sondage révèle qu’un répondant sur trois a fait face au harcèlement et à la discrimination pendant son stage.

Boss Yelling

Un sondage mené par les barreaux de trois provinces l’an dernier révèle que presque un tiers des stagiaires et des juristes en début de carrière en Alberta, en Saskatchewan et au Manitoba ont déclaré avoir vécu une forme de discrimination et de harcèlement dans le cadre de leur recrutement ou de leur stage en droit. 

Ces résultats sont décourageants, dit Adam J.C. Norget, avocat auprès de la ville d’Edmonton. « Je regrette de devoir le dire, mais cela ne m’a pas surpris. »

Me Norget, qui préside actuellement la Section des jeunes juristes de l’ABC, dit que les questions auxquelles font face les stagiaires préoccupent son comité depuis maintenant plusieurs années.

« Nous avions reçu beaucoup de renseignements empiriques qui pointaient vers l’existence de problèmes omniprésents dans les systèmes de stage et de recrutement, sans égard à la région », dit-il. « Nous avons été découragés de constater que presque tous les présidents provinciaux avaient signalé une forme ou une autre de preuve empirique de ces problèmes dans leur propre région. »

Cori Ghitter, directrice générale adjointe et directrice, Professionnalisme et politiques, Barreau de l’Alberta, a qualifié les résultats du sondage de « préoccupants ».

« Cela ne m’a pas vraiment surprise, car nous disposions de renseignements empiriques avant de réaliser le sondage, qui indiquaient l’existence de certains de ces problèmes », dit-elle. « L’une des raisons pour lesquelles ce sondage est si important pour nous, c’est justement parce que nous disposions de ces renseignements empiriques, et que nous voulions mieux les comprendre et avoir une idée de l’ampleur du problème. Il nous importait vraiment de transformer des récits empiriques ponctuels en données concrètes pour les comprendre et tenter d’y remédier. »

La discrimination et le harcèlement généralisés 

En mai et juin 2019, les barreaux de l’Alberta, de la Saskatchewan et du Manitoba ont réalisé deux sondages. L’un demandait aux stagiaires et aux juristes en début de carrière qui avaient effectué leur stage au cours des cinq dernières années de parler de leur formation et de leur mentorat ainsi que de tout harcèlement ou discrimination qu’ils pouvaient avoir vécu. Il leur était en outre demandé à quel point ils se sentent prêts ou prêtes à exercer le droit. Un deuxième sondage a posé des questions similaires aux directeurs de stage, recruteurs et mentors.

Les sondages ont révélé (résultats disponibles uniquement en anglais) que 32 % des étudiantes et étudiants et des juristes en début de carrière signalent avoir fait l’objet de discrimination et de harcèlement pendant leur recrutement ou leur stage. Certains ont indiqué qu’on leur avait posé des questions au sujet de leur orientation sexuelle, de leur situation de famille et de leurs projets parentaux. D’autres répondants ont dit que les avocates recevaient des tâches moins difficiles à accomplir pendant leur stage, y compris du travail de nature administrative et des travaux non facturables. Les répondants ont également indiqué qu’un nombre inférieur de postes étaient offerts aux étudiantes et étudiants portant un nom étranger, à ceux et celles dont l’âge était plus avancé et à ceux et celles ayant étudié à l’étranger.

En tout, 736 stagiaires et juristes en début de carrière ont répondu au sondage, y compris 549 en Alberta (soit un taux de réponse de 23 %), 104 en Saskatchewan et 83 au Manitoba.

Un problème d’envergure nationale

Ces résultats suivent ceux d’un sondage similaire réalisé en Ontario l’année d’avant, qui avait révélé que 21 % des stagiaires avaient fait face à du harcèlement et à de la discrimination.

Au début de 2019, la Section des jeunes juristes de l’ABC avait envoyé des lettres à tous les barreaux canadiens leur demandant d’interroger les stagiaires et juristes en début de carrière au sujet de leurs expériences.

« Je pense que ce sont nos efforts qui ont, en partie, suscité la réalisation de ce sondage », dit Me Norget.

« Je suis heureux de constater les progrès quant à l’examen officiel de ce problème et à la prise de mesures pour tenter d’y remédier », dit-il. « J’aimerais que d’autres régions fassent les mêmes efforts, car le problème n’est très certainement pas limité aux provinces des Prairies et à l’Ontario. »

Preston I.A.D. Parsons, avocat dans le cabinet Overholt Law à Vancouver et ancien président de la Section des jeunes juristes, dit qu’il souhaite qu’un sondage à l’échelle nationale soit réalisé au sujet des stages.

« Si la conversation sur la meilleure manière de former les étudiantes et les étudiants doit s’étendre d’un bout à l’autre du pays, il serait utile de disposer d’autant de données que possible pour concevoir des programmes plus adaptés », dit-il.

Me Norget souligne que les stagiaires sont particulièrement vulnérables dans leur emploi. Contrairement à la plupart des autres employés, les stagiaires ne jouissent d’aucune protection légale en vertu de la Loi sur les normes d'emploi ou du Code des relations de travail.

« Le stage n’est pas une option facultative. Les stagiaires sont essentiellement à la merci des cabinets et ne jouissent d’aucune protection légale. Il importe que la question soit traitée en raison de ce déséquilibre des forces en présence », dit Me Norget.

La formation est la clé

Selon Me Ghitter, le barreau prend déjà des mesures pour régler le problème.

Depuis que le Barreau de l’Alberta a reçu les résultats du sondage en septembre 2019, il a publié une politique-cadre sur le milieu de travail respectueux et a offert trois séances d’information. Il a conçu un webinaire pour expliquer la politique et les modalités de sa mise en œuvre par les cabinets. La politique et le webinaire sont disponibles, en anglais, sur le site Web du Barreau.

Le Barreau a en outre constitué deux comités de conseillers qui commenceront leurs travaux en février 2020. Le premier est axé sur la compétence des juristes et l’autre sur l’équité, la diversité et l’inclusion.

Les deux comités de conseillers collaboreront avec les comités consultatifs. Me Ghitter dit que le Barreau a reçu les noms de 80 juristes qui souhaitaient siéger aux comités consultatifs. 

« Je suis vraiment heureux de constater ce degré d’engagement des juristes de façon générale », dit-elle. « Les intérêts sont extrêmement diversifiés. Par conséquent, ces comités comportent une bonne représentation des jeunes juristes, et reflètent bien la diversité ethnique, de genre et raciale. C’est vraiment important pour s’assurer que ces voix sont constamment entendues dans les conversations que nous avons. »

Me Norget et Me Parsons sont d’accord sur le fait que la formation est une étape essentielle de l’apport d’une solution aux problèmes.

« Je suis étonné par le nombre de juristes auxquels je parle qui ne savent pas grand-chose au sujet du contenu du Code des droits de la personne », dit Me Parsons. « Je comprends bien que si vous êtes spécialisé en droit des sûretés, vous ne comparaissez pas devant le Tribunal des droits de la personne. Cependant, lorsque vous êtes l’un des associés d’un cabinet, à mon avis, c’est la même chose que la capacité de lire des états financiers : ce sont des renseignements dont vous avez besoin pour gérer une entreprise correctement. »

Il est fondamental que les juristes réalisent que la profession juridique est aux prises avec la discrimination et le harcèlement et qu’ils s’engagent envers la formation sur ces sujets, dit Me Parsons.

« D’aucuns imaginent que parce que nous exerçons le droit, nous sommes au-dessus du recours à la discrimination et au harcèlement. Il est facile de pratiquer la politique de l’autruche, mais je pense que c’est naïf », dit-il.

 

Sur ce même sujet, écoutez aussi l'épisode récent de notre balado Juriste branché, dans lequel Me Kang Lee nous parle de la réalité des stages en droit.