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Savoir rétablir sa réputation

Quand le passé revient vous hanter, c’est votre réaction qui refera ou défera votre réputation.

four stars up, one star down

Vous ne savez jamais comment vos folies de jeunesse peuvent ressurgir et vous causer de vilaines surprises des années plus tard.

Que ce soient vos fréquentations de l’époque, quelque chose que vous avez dit ou fait, voire votre déguisement à une fête costumée, cela peut refaire surface sans crier gare et ternir ou ruiner votre réputation professionnelle si durement bâtie.

Parlez-en à Justin Trudeau!

En septembre, en pleine campagne électorale, le chef libéral s’est retrouvé dans le pétrin après que TIME Magazine eut publié des photos de lui avec le visage maquillé de noir lors d’une fête costumée sur le thème des Mille et Une Nuits. Les photos datent de 2001, époque où M. Trudeau enseignait dans une école vancouvéroise. Dans les jours suivants, plusieurs images du même genre sont sorties des boules à mites.

Montées en épingle par les médias nationaux, ces révélations ont fait la une partout. Trudeau s’est empressé de s’excuser : lors d’une conférence de presse tenue d’urgence à bord de son avion de campagne, le soir même où les photos sont devenues virales, il a multiplié les « Je ne sais pas à quoi j’ai pensé! ».

« J’assume la responsabilité de ma conduite. Je n’aurais jamais dû agir de la sorte, s’est-il excusé. Ça ne me semblait pas raciste à l’époque, mais aujourd’hui, je reconnais que c’était un geste raciste et j’en suis sincèrement désolé. »

Il s’est excusé de nouveau le lendemain en soulignant qu’il n’est plus le même homme qu’il ne l’était dans ces années-là.

Sincérité avant tout!

Trudeau a fait ce qu’il pouvait de mieux dans les circonstances. Selon Todd Burke, associé chez Gowlings WLG au bureau d’Ottawa spécialisé en gestion de crise, la pire chose à faire, c’est jouer à l’autruche et continuer comme si de rien n’était. Si vous vivez de votre réputation, soyez prêt à répondre de votre conduite passée.

« Quand vous assumez sincèrement la responsabilité de vos actes, je crois que les gens sont indulgents, explique-t-il. Nul n’est parfait. L’erreur est humaine. Qui n’a jamais fait une bêtise? »

Don Newman, longtemps journaliste à Radio-Canada, est aujourd’hui avocat principal à Navigator, société de gestion de crise. Il abonde dans le même sens : rien de pire que l’inaction.

« Vous devez prendre les devants et essayer d’infléchir l’opinion publique. Réappropriez-vous le récit et présentez votre propre version des faits pour que ce soit elle, le sujet du débat. »

De plus, il estime important d’avoir un cercle d’amis et de pairs qui vous connaissent et peuvent témoigner de votre moralité.

Dans le cas de Justin Trudeau, assumer ses faits et gestes semble avoir allégé les conséquences : après quelques jours d’excuses, la fièvre médiatique s’est rapidement calmée.

S’il existe des actions et des comportements qui étaient tout aussi inacceptables qu’aujourd’hui il y a 10 ou 20 ans, M. Newman trouve qu’il est souvent ridicule de juger la bourde de naguère à l’aune des valeurs actuelles.

« C’est peut-être injuste, mais c’est la réalité, commente M. Burke. Et c’est à ce genre de choses qu’on a affaire en gestion de crise. »

M. Trudeau peut parler à la presse quand il le veut; il peut s’excuser devant tout le monde, et le public y prêtera l’oreille. Or, un avocat placé en pareille situation dispose rarement d’une si bonne tribune pour communiquer son message. Il est alors plus difficile de rétablir la situation, mais ce n’est pas impossible.

À l’avocat qui se retrouve dans l’embarras, M. Burke conseille d’établir un plan de communication. Si la conduite reprochée risque de nuire à sa réputation et à ses relations avec la clientèle, l’avocat doit prendre le téléphone, appeler les clients pour s’excuser et avoir une conversation franche à propos de ce qui circule dans les médias ou dans le milieu juridique.

Il peut ici constituer un atout de s’être bâti une certaine crédibilité dans un domaine donné, par exemple par son travail bénévole ou sa défense de groupes et individus opprimés.

« Quand vous nagez dans la tourmente, vos bonnes actions posées en d’autres lieux peuvent devenir une planche de salut, explique M. Burke. Dans ce cas, les gens peuvent vous voir sous un meilleur jour et vous pardonner plus facilement. »

Mais, ajoute-t-il, pour les êtres incorrigibles qui se pensent au-dessus de tout reproche malgré les critiques objectives qui fusent de toutes parts, leur réputation restera impossible à vraiment rétablir.

Les médias sociaux, un océan de perils

Dans un monde où l’on exhibe chaque repas, pensée ou rencontre à la vue de tous dans les médias sociaux, l’infinité de données et d’images qui fourmillent dans les réseaux nous annonce que les scandales à la Trudeau vont devenir de plus en plus courants.

« Nous accueillons les médias sociaux dans nos vies, mais la règle d’or vaut toujours : voudrait-on voir cela à la une de La Presse, aujourd’hui ou dans 25 ans? », résume M. Burke.

« Je ne pense pas que les médias sociaux aient beaucoup changé l’art de bien se conduire. Oui, on voit partout ce que tout le monde fait, mais les règles du savoir-vivre et du savoir-publier sont censées obéir aux mêmes principes. »

Voilà un sage conseil, d’autant plus que tout reste sur Internet – du moins, au Canada.

« Il est presque impossible d’effacer quoi que ce soit des médias sociaux », constate le professeur Maxwell Cameron, qui dirige le Summer Institute for Future Legislators (institut d’été pour les législateurs de demain) de l’Université de la Colombie-Britannique.

« À mon avis, c’est un gros problème. On agit souvent cavalièrement, à la hâte. On peut publier quelque chose sans réfléchir… et le regretter pendant des années. Il faut s’arrêter et bien penser à la manière dont sa publication sera perçue hors contexte. »

Pour bien des gens, c’est là que le bât blesse.

« On dit, on fait quelque chose quand on est très jeune, encore immature et naïf à propos de telle ou telle question de l’heure, explique M. Cameron. Et puis, cinq ou dix ans plus tard, dans un tout autre contexte, on décide de se lancer en politique ou d’exercer une profession qui donne une certaine visibilité, et vlan, les propos qu’on a tenus naguère reviennent nous hanter… »

Il y a là matière à éduquer les gens. Dans une société où même les jeunes enfants passent beaucoup de temps sur les médias sociaux, M. Cameron estime que l’école primaire n’est pas trop tôt pour commencer cette éducation.

« Il faut développer les bonnes habitudes chez les gens : qu’ils soient bien conscients de l’image qu’ils souhaitent projeter, de la manière dont ils veulent être perçus. »

Un exemple bien connu : Kyle Kashuv. Ce survivant de la fusillade de Parkland a vu annuler son offre d’admission par l’Université Harvard plus tôt cette année, après la divulgation de propos racistes qu’il avait tenus sur les médias sociaux.

À quelque chose malheur est bon

D’un autre côté, dit M. Burke, se faire mettre sur la sellette de la sorte n’est pas toujours complètement mauvais. C’est très dur sur le coup, mais votre réaction peut venir prouver votre persévérance et votre courage devant l’adversité. Outre le changement de perspective qu’elle amène, cette expérience peut changer le cours d’une vie – du travail que fait la personne aux organisations caritatives qu’elle choisit de soutenir.

« Il faut voir le bon côté. Votre vie pourrait s’en porter mieux. Peut-être y trouverez-vous une nouvelle vocation », conclut-il.