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Renforcer la confiance dans la justice


La nouvelle présidente de l’ABC, Lynne Vicars, s’est engagée à favoriser une culture de sensibilisation pour s’assurer que le soutien du public à l’égard des institutions juridiques demeure fort.

Présidente de l’ABC, Lynne Vicars
Présidente de l’ABC, Lynne Vicars

ABC National : Quels sont les défis les plus importants que doit relever la profession juridique en ce moment?

Lynne Vicars : Pour moi, les plus grands défis sont l’évolution de la pratique du droit à mesure que nous nous adaptons aux nouvelles technologies et la confiance dans nos institutions juridiques. Au Canada, comme partout dans le monde, le cynisme politique est en hausse, alors que l’indépendance de la magistrature est mise à l’épreuve et est menacée, parfois par des élus eux-mêmes.

La désinformation est omniprésente de nos jours. Bien que l’IA soit un outil fabuleux que les juristes peuvent utiliser pour améliorer leur pratique juridique et pour travailler de façon plus efficace au service de leurs clients, elle peut également contribuer à la diffusion de désinformation et être utilisée à des fins néfastes. L’ABC prévoit d’affecter des ressources supplémentaires dans ces domaines afin de veiller à ce que ses membres soient bien préparés à aborder ces questions au cours de la prochaine année.

ABC : Êtes-vous inquiète de la tournure que prennent les choses ou voyez-vous des possibilités pour la profession de relever les défis auxquels elle est confrontée?

LV : Je ne suis pas inquiète, mais plutôt enthousiaste à bien des égards parce que l’éducation du public est la clé. L’ABC et ses membres peuvent offrir cette éducation, et ils le feront. Les juristes, les juges et les éducateurs juridiques ont tous un rôle essentiel à jouer pour contribuer au renforcement de la confiance dans nos institutions juridiques. Ils sont formés pour être analytiques et pour découvrir la vérité en exposant les faits. L’ABC est particulièrement bien placée pour aider ses membres à relever certains de ces défis en leur fournissant les outils, les renseignements et les ressources dont ils ont besoin pour éduquer le public sur ces questions. C’est un domaine dans lequel nous excellons et cela permet à nos membres d’apporter des contributions à la mise en place de solutions.

Selon moi, l’IA représente une occasion formidable. Il nous faut simplement devancer cette technologie pour nous assurer que nos membres peuvent tirer profit des occasions qui s’offrent à eux et qu’ils ont accès à des moyens d’atténuer les risques. Il fut une époque où nous savions tous que nous ne pouvions pas croire tout ce que nous lisions. Plusieurs d’entre nous ont oublié ce vieil adage, et maintenant, avec l’IA, vous ne pouvez pas non plus croire tout ce que vous voyez. Jadis, vous regardiez une photo ou une vidéo et vous pouviez avoir la conviction raisonnable qu’elle était authentique et repérer assez facilement les cas où elle était fausse. Nous ne vivons plus dans ce monde. Nous devons donc veiller à ce que nos juristes saisissent les menaces de mésinformation, de désinformation et de malinformation, sachent comment les repérer et mettent en œuvre des mesures appropriées pour contrer ces menaces. Il est également essentiel que les juristes comprennent le risque d’hallucinations et le type de biais qui peut être inhérent à l’IA.

ABC : Vous avez abordé la façon dont l’environnement actuel alimente la méfiance envers les institutions publiques et déforme la perception du système juridique. Pouvez-vous nous expliquer les raisons pour lesquelles il est important d’avoir des institutions juridiques solides et les façons dont elles sont reliées à des objectifs sociaux plus larges?

LV : La confiance du public dans nos institutions juridiques est un principe fondamental sur lequel se fonde notre système juridique. Il ne peut pas survivre sans elle. Le pouvoir du système de justice est tributaire de la confiance et de la coopération du public qu’il dessert. Il est donc crucial que nous éduquions le public sur l’importance de l’indépendance de la magistrature et sur la façon dont elle interagit avec la primauté du droit.

Bien qu’il puisse être difficile de susciter l’enthousiasme du public envers ces concepts, si nous voulons continuer à vivre dans une société démocratique dynamique et qui fonctionne bien, ce sont des éléments essentiels.

ABC : Plus tôt cette année, le juge en chef de la Cour suprême Richard Wagner a dénoncé des élus qui minent la confiance dans le système de justice en réagissant aux décisions sans les lire et en critiquant des décisions selon le juge qui les rend. Que dites-vous aux gens qui font cela?

LV : Il est tout à fait inapproprié pour les politiciens de critiquer la décision d’un juge en fonction de qui il est ou de la personne qui l’a nommé. C’est non seulement un comportement qui va à l’encontre de l’identité canadienne, mais c’est dangereux. Les dirigeants qui le font contribuent à l’érosion de la confiance du public dans la justice. Il est également irresponsable de critiquer une décision judiciaire que vous n’avez pas lue et d’avoir ensuite la prétention de pouvoir communiquer au public la signification de cette décision. Cela contribue à la désinformation dont nous avons parlé plus tôt. Il est formidable que le juge en chef ait pris la parole, mais les juges ne peuvent souvent pas se protéger. Ils ne sont pas en mesure de s’exprimer ou de se défendre. Les juges font partie de nos membres, mais, plus important encore, la confiance du public dans la magistrature et dans les décisions judiciaires est un élément essentiel d’une société démocratique qui fonctionne bien. Il est donc important que l’ABC se prononce lorsqu’elle constate que des juges font l’objet de critiques injustes ou que leurs décisions sont décrites de façon erronée.

ABC : Au-delà de ce dont nous avons discuté, quelles sont vos principales priorités en tant que présidente pour l’année à venir?

LV : Le thème de cette année est la confiance dans la justice. De façon délibérée, je ne dis pas « rétablir » la confiance dans la justice, car je crois que, en général, les gens se fient à notre système de justice. Le but est de faire en sorte que le public comprenne les raisons pour lesquelles il est important de renforcer la confiance dans nos institutions.

Cela est particulièrement important pour les jeunes, surtout pour la génération Z, dont certains sont des juristes et d’autres étudient le droit, car les médias sociaux les influencent grandement. Ainsi, ils risquent d’être induits en erreur plus souvent par la désinformation et de se forger des opinions selon lesquelles le Canada ne respecte pas pleinement les valeurs démocratiques. C’est pourquoi un autre de mes objectifs cette année est de comprendre les points de vue de la nouvelle génération de juristes. Je veux vraiment entendre ce que chacune des générations qui viennent après la mienne a à dire sur ces sujets. Je veux m’assurer que nous offrons à tous les membres, peu importe leur âge ou l’étape où ils en sont dans leur carrière, le soutien et les outils dont ils ont besoin pour transmettre le message à leurs clients.

ABC : Selon vous, qu’est-ce qui fera de l’année à venir une réussite? Sur quels éléments vous fonderez-vous?

LV : Avons-nous fait avancer l’éducation du public sur l’importance de nos institutions judiciaires et avons-nous accru la confiance dans la justice? Il est difficile de mesurer l’obtention ou non d’un succès total, mais la mesure dans laquelle nous faisons avancer les choses sera le facteur sur lequel je me fonderai.

Une autre mesure est la façon dont nous nous sommes engagés auprès des jeunes juristes. Pas seulement en calculant le nombre de nos membres qui sont de jeunes juristes ou qui étudient le droit, mais aussi en examinant la question de savoir s’ils ont une expérience significative avec l’ABC et s’ils profitent de tous les avantages de leur adhésion.

À compter de cette année, nous sommes ravis d’avoir un poste permanent pour un jeune juriste au sein de notre CA et nous tirerons parti de ses points de vue pour accroître l’engagement de la nouvelle génération de juristes.

ABC : Y a-t-il un élément de votre rôle de vice-présidente que vous espérez développer en tant que présidente?

LV : Il est primordial que nous travaillions en collaboration avec nos divisions provinciales et territoriales et avec l’Association canadienne des conseillers et conseillères juridiques d’entreprises, le volet des juristes d’entreprise de notre association. Pour plusieurs de nos membres, nos divisions et l’ACCJE sont le visage de l’ABC. Compte tenu des obstacles qui se sont dressés sur notre chemin, nous devons nous assurer de travailler ensemble et pas les uns contre les autres. Je pense que nous avons progressé à cet égard ces derniers temps, mais c’est quelque chose que je suis résolument déterminée à améliorer cette année. Je veux préparer le terrain pour assurer un leadership pancanadien qui travaille réellement en étroite collaboration, ce qui comprend tous les volets de notre association, afin de proposer aux membres d’un océan à l’autre du pays les meilleurs services et expériences que nous pouvons offrir.

J’ai également bien hâte de poursuivre ma collaboration avec les membres du personnel du bureau national, alors que nous souhaitons la bienvenue à notre nouveau chef de la direction, Steve Levitt.

ABC : Vous adhérez à l’idée qu’il y a toujours quelque chose de nouveau à apprendre dans le droit et dans la vie. Qu’espérez-vous apprendre au cours de la prochaine année?

LV : J’espère améliorer mon français. J’ai essayé d’apprendre le français toute ma vie. Je l’ai étudié à l’école et, au cours des trois dernières années, tous les jours pendant au moins une heure sur l’application Duolingo. Cependant, c’est très difficile quand on est entouré d’anglophones et qu’on n’a pas la chance de pratiquer. Donc, cet été, j’ai passé deux semaines à Québec avec un hôte qui ne parlait que français avec moi, et je suivais des cours d’immersion en français tous les jours. Puisque je suis très sérieuse au sujet de mon engagement envers nos membres francophones, c’était ma façon de mettre les bouchées doubles par rapport à cet engagement et de vivre une immersion linguistique.

ABC : Qu’y a-t-il quelque chose que les gens pourraient être surpris de savoir à votre sujet?

LV : Je n’ai pas l’habitude de partager cela publiquement, mais je suis devenue orpheline à quinze ans quand ma mère est décédée d’un cancer. J’avais trois frères aînés, mais j’ai été pas mal laissée à moi-même à cet âge. J’ai vécu avec une autre fille de mon âge jusqu’à la fin de l’école secondaire et nous sommes amies depuis toujours.

C’est quelque chose qui est assez personnel, mais je le dis parce que je ne viens pas du milieu habituel d’une personne qui devient avocate, juge suppléante ou présidente de l’ABC. Je viens d’un milieu où j’aurais pu facilement prendre un mauvais chemin. Sans le soutien de mes professeurs, de mes frères et de mes amis, j’aurais pu avoir une vie très différente. Je pense qu’il est important pour les personnes qui n’ont pas deux parents qui sont des avocats ou des médecins, ou qui ne se considèrent pas comme un avocat ou un juge, d’entendre cela et de savoir qu’il est possible de partir de n’importe où. Ne laissez pas les circonstances vous entourant vous définir. Voyez grand et travaillez fort, car vous pouvez vraiment devenir ce que vous aspirez à être!

Cet entretien a été modifié et condensé pour publication.