Conversation avec Johanne Bray
La chef de la direction de l’ABC s’entretient avec le magazine ABC National pour discuter de l’avenir de l’Association en tant que promotrice de la profession juridique, de la réforme du droit et de l’accès à la justice.

ABC National : Vous êtes chef de la direction de l’Association du Barreau canadien depuis un peu plus d’un an maintenant. Qu’est-ce qui vous a le plus surprise?
Johanne Bray : Ce qui m’a le plus surprise, c’est la portée de l’ABC, une organisation vieille de 127 ans, tant au pays qu’ailleurs dans le monde. Nous sommes présents partout au Canada. Nous sommes présents aussi à l’étranger. L’ABC promeut, soutient et défend la primauté du droit dans plusieurs parties du monde, comme en Afrique de l’Est. Nous sommes reconnus à l’échelon fédéral, d’un océan à l’autre, et à l’échelle internationale comme un ardent défenseur de la profession juridique.
Ce qui m’a également frappée, c’est l’implication de nos membres, en dépit du contexte pandémique et post-pandémique. On n’a qu’à penser à la Section sur l’orientation et l’identité sexuelles, à la Section du droit de l’immigration ou à la Section du droit de la concurrence, par exemple. Je suis toujours ébahie par le dynamisme de nos bénévoles. On y compte des juristes chevronnés autant que des étudiants. Cette organisation offre bien plus que de la formation continue. Les sections forment l’épine dorsale de l’ABC. Rappelez-vous le travail bénévole que nous avons fait pour les Ukrainiens et les Afghans venant au Canada. Nos membres sont des professionnels occupés, mais ils trouvent le temps de redonner à la collectivité. C’est une source d’inspiration pour moi. Je suis également reconnaissante que nos parties prenantes soient demeurées fidèles aux valeurs unificatrices de l’ABC : l’égalité, l’accès à la justice et la primauté du droit. Elles sont restées avec nous pendant la pandémie.
N : Quelles avenues se présentent à l’ABC pour qu’elle reste pertinente pour ses membres dans le contexte post-pandémique?
JB : L’un de nos plus grands défis est l’intensité de la concurrence pour des services comme les nôtres. Nous ne pouvons rien tenir pour acquis. Nous devons mettre de l’avant notre proposition de valeur de façon stratégique et minutieuse. Je veux m’assurer que tous nos programmes de formation sont pertinents pour les membres. Ce qui était pertinent il y a 30 ans ne l’est plus aujourd’hui. Nous devons parler davantage aux membres de santé mentale, de diversité et d’inclusion. Pour ce qui est du réseautage, nous devons donner la priorité aux rencontres en personne et trouver le bon équilibre entre les événements virtuels et hybrides. Une autre priorité est de faire la preuve de la valeur continue de l’ABC. Nous faisons cela depuis longtemps. Nous avons appris à nous adapter aux changements culturels, technologiques, économiques et gouvernementaux.
N : La profession juridique est de plus en plus diversifiée. Comment l’ABC doit-elle s’y prendre pour répondre aux besoins d’un groupe de membres aussi éclectique?
JB : Notre éclectisme est notre force. C’est ce qui fait de l’ABC ce qu’elle est. C’est ce qui l’empêche de stagner. Mais nous devons aussi faire beaucoup mieux. L’un de nos objectifs stratégiques pour les cinq prochaines années est de diversifier davantage notre base de membres. Nous devons être encore plus inclusifs et intensifier nos échanges avec les juristes racialisés, les juristes autochtones et les juristes qui s’identifient comme faisant partie de la communauté 2SLGBTQ+. Nous avons récemment publié les résultats d’une étude sur le bien-être et la santé mentale dans la profession juridique, que nous avions commandée à la Fédération des ordres professionnels de juristes et à l’Université de Sherbrooke. Ils ont montré que les personnes appartenant aux groupes sous-représentés étaient beaucoup plus touchées par les enjeux de santé mentale. Nous examinons les recommandations de l’étude et cherchons activement des moyens de mieux soutenir nos membres. Les cabinets cherchent par ailleurs des moyens d’ajuster le rythme de travail. Ils savent qu’ils doivent être attentifs à la santé mentale de leur personnel. L’ABC doit être au centre de cet effort afin d’aider les cabinets – petits et grands – et les autres organisations juridiques à changer. Les jeunes recrues sont en train de trouver leur voix et signalent aux cabinets les changements qu’ils attendent d’eux.
N : Comment voyez-vous l’ABC se positionner en matière de représentation? C’est un travail que nous effectuons depuis des années. Allons-nous poursuivre ces efforts, ou y a-t-il de nouvelles approches que nous devons examiner?
JB : Pour être honnête, je m’inquiète de la perception selon laquelle l’ABC s’est retirée de la scène nationale pendant un certain temps. En raison de la pandémie, et en raison d’autres circonstances aussi, nous avons permis à d’autres d’occuper l’espace de la représentation et de la réforme du droit. Mais je suis ici pour vous dire que nous sommes de retour! Nous sommes en train de retrouver le degré d’influence que nous avions autrefois à l’échelle nationale, en particulier auprès des gouvernements. Nous sommes sollicités pour donner notre avis sur les projets de loi qui préoccupent nos membres. On nous contacte à nouveau, et nous devons garder une longueur d’avance sur ces questions. Pourquoi? Parce que personne ne le fait mieux que nous! Nous devons dialoguer avec la Commission du droit du Canada, qui est en train d’être relancée. Je souhaiterais également que l’ABC siège davantage aux tables fédérales, provinciales et territoriales. Mais pour cela, nous devons rester à l’affût, être plus collaboratifs en tant qu’organisation et être plus en phase avec les réflexions menées par les instances gouvernementales. Nous devons mieux anticiper ce qu’ils s’apprêtent à proposer et être prêts à y répondre en tant que conseillers de confiance.
N : Dans votre rôle à l’ABC, vous apportez l’avantage d’avoir une bonne idée du fonctionnement de l’administration publique, de l’élaboration des politiques et de la gouvernance. Que doivent savoir et comprendre nos membres pour accroître leur influence auprès des élus?
JB : De nos jours, les gouvernements sont saisis d’un large éventail de questions. Des défis surgissent de toutes parts : inflation, pénurie de main-d’œuvre, changement climatique, etc. Les gouvernements sont assaillis et s’activent toutes les directions. À l’ABC, nous devons mieux comprendre cette réalité. Nous devons comprendre les pressions dont ils font l’objet, et partager nos préoccupations tout en proposant des solutions. N’oublions pas que les juristes sont par nature des spécialistes en résolution de problèmes. Nous devons proposer et élaborer pour eux des solutions utiles. Et garder à l’esprit que les pouvoirs publics ne sont pas constitués que de juristes. Nous devons les aider à élaborer leurs politiques, leur montrer où se trouvent les risques dans ce qu’ils entreprennent, et les aider à atténuer certains de ces risques. C’est notre rôle! Nous devons nous efforcer de préserver la solidité de nos institutions démocratiques et de la primauté du droit.
N : Comment l’ABC devrait-elle se positionner par rapport aux différents intervenants de l’administration publique et du système judiciaire dans la recherche de solutions pour améliorer l’accès à la justice?
JB : L’ABC doit siéger aux tables fédérales, provinciales et territoriales. Nous possédons une mine de connaissances sur ce que le système de justice a traversé, sur sa situation actuelle et sur la direction qu’il devrait emprunter. L’ABC doit prendre davantage l’initiative autour de la table. Nous avons beaucoup à dire sur bon nombre des défis actuels – qu’il s’agisse de la réforme du système de mise en liberté sous caution, de l’accès à la justice ou des droits de la personne – avec lesquels de nombreuses régions du pays et du monde sont aux prises. J’espère que nous pourrons obtenir une place à ces tables. C’est mon objectif : m’assurer que l’ABC continue d’être la voix de la profession juridique!