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Christine Duhaime : Droit et technologie financière

Christine Duhaime a fondé le Digital Finance Institute, un groupe de réflexion sur la technologie financière, le droit et les politiques, et elle est une avocate canadienne de premier plan en matière de lutte aux crimes financiers et au blanchiment d’argent.

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 Yves Faguy, rédacteur principal d’ABC National, s’est entretenu avec elle au sujet des enjeux émergents dans les domaines du droit, des technologies financières et des monnaies numériques.

 

ABC National:  Quel est l’aspect le plus intéressant des technologies financières et du droit à l’heure actuelle, à votre avis?

Christine Duhaime:  D’une part, il y a le blockchain (la chaîne de blocs), qui est ce système vraiment intéressant de registre public où des transactions ne passent pas par l’entremise d’un intermédiaire – ou d’une institution financière, ou d’une banque centrale – mais où vous pouvez suivre la trace de la transaction en ligne. Donc vous pouvez littéralement la voir, savoir qui sont les parties, et couvrir du même coup l’aspect anti-blanchiment d’argent. Alors éventuellement, vous n’auriez pas vraiment besoin du CANAFE (l’unité du renseignement financier du gouvernement fédéral), parce que si nous nous dirigeons vers une monnaie numérique et le blockchain, chaque transaction faite par chaque personne sera en ligne.

N:  Comment les services financiers et l’industrie juridique changeront-ils en conséquence?

CD:  L’intelligence artificielle va changer beaucoup de choses. Je pense à Bay Street, avec ses tours pleines d’avocats et de personnes chargées de la conformité. Avec un système bancaire qui est mobile, et l’intelligence artificielle qui joue un rôle énorme à l’égard de nos transactions financières faites sur le blockchain, nous allons avoir besoin de spécialistes des technologies, pas de gens de la conformité ou d’avocats.

N:  La profession juridique est-elle prête pour cela?

CD: Je ne vois pas les barreaux avoir les discussions qu’ils auraient dû avoir il y a deux ans sur la manière dont ça pourrait affecter les avocats. Par exemple, comment protégeons-nous la pratique du droit? Comment protégeons-nous le public?

N: Est-ce que les firmes d’avocats manquent des ressources nécessaires pour investir dans la technologie?

CD:  En fait, les firmes d’avocats ne veulent pas vraiment investir dans les technologies, alors les firmes comptables le font. C’est ça le problème. Soit que les firmes juridiques décident qu’elles veulent devenir les fournisseurs dans le domaine des technologies du droit, ou alors elles se feront manger tout rond par quelqu’un d’autre. 

N:  Quand le blockchain et les contrats intelligents transformeront-ils la pratique du droit?

CD:  Il y a tellement d’engouement voulant que les contrats intelligents et le blockchain vont changer la pratique du droit – et c’est vrai. Mais ça ne pourra pas être fait sans une forme d’apport juridique. Par exemple, nous n’avons pas changé nos lois qui requièrent des actes notariés. Bientôt, les avocats vont rencontrer les spécialistes des technologies, et les firmes de risque devront réaliser qu’elles financent ces choses-là, et parler aux avocats et aux barreaux pour savoir ce dont la profession juridique a besoin et la manière dont les deux peuvent être intégrés.

N: Que dites-vous à vos clients actuellement?

CD:  J’ai un certain nombre de clients parmi les entreprises de technologies financières qui, pour être honnête avec vous, regardent le droit et croient souvent que parce qu’elles sont nouvelles, il ne s’applique pas à elles. Elles pensent que c’est correct de tout simplement innover. Ma préoccupation actuellement est de m’assurer que ces entreprises de technologies financières comprennent que d’opérer dans un vide juridique n’existe pratiquement pas.

N: Quels sont les pays qui adoptent la bonne approche en matière de réglementation?

CD:  Le Royaume-Uni et Singapour. Ils ont créé des carrés de sable réglementés, ce qui signifie que les petites entreprises de technologie financière peuvent commencer et créer les technologies dont elles ont besoin sans avoir à se soucier du droit. Vous pouvez innover en étant à l’abri de la surveillance réglementaire, des permis et des sommes d’argent importantes qui sont nécessaires pour s’y conformer. Vous pouvez jouer avec votre technologie financière et la faire croître à un certain niveau de volume financier, ou jusqu’à ce que vous ayez un certain nombre de clients. L’Australie introduit maintenant la même chose, et les États-Unis y pensent également. Mais il n’y a aucune discussion à ce sujet au Canada, quelle qu’elle soit, malheureusement.