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La profession à la défense de l’état de droit

Portrait du programme du nouveau Bâtonnier du Québec Marcel-Olivier Nadeau

Marcel-Olivier Nadeau
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Si l’ombre des États-Unis a pesé lourd sur les dernières élections canadiennes, ce n’est pas le seul scrutin à avoir subi l’influence de ce qui se passe au sud de la frontière. Au Barreau du Québec, l’avocat Marcel-Olivier Nadeau, récemment élu par acclamation à titre de Bâtonnier de l’ordre, pèse ses mots : « On ne peut rien prendre pour acquis. »

Contexte oblige, l’entrevue avec Me Nadeau porte dès son ouverture sur le contexte américain et son impact sur l’état de droit canadien. Au moment d’écrire ces lignes, le président américain Donald Trump venait de dire sur les ondes de NBC que ses « brillants avocats » suivraient « ce que la Cour suprême a dit » tout en répétant « je ne sais pas » à savoir s’il devait respecter la Constitution américaine.

Pour le bâtonnier élu, qui entrera en poste au mois de juin et succédera à Me Catherine Claveau, ces attaques répétées contre l’état de droit au sud de la frontière sont à prendre au sérieux.

« C'est fondamental de dénoncer toute attaque envers l'état de droit. C'est fondamental de dénoncer toute attaque envers les institutions démocratiques. Je pense que c'est le rôle de différents acteurs sociaux, mais c'est le rôle des barreaux de le faire. D'ailleurs, on le fait avec la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada », soutient Me Nadeau.

Cette organisation pancanadienne a en effet publié une déclaration en mars dernier réitérant l’importance de l’indépendance de la profession et l’indépendance judiciaire au Canada. Pour le bâtonnier Nadeau, il faut dénoncer l’intimidation « envers les grands cabinets américains par l’administration Trump », faisant référence aux décrets présidentiels qui visaient des cabinets ayant représenté des opposants politiques du président, ou encore comptant dans leurs rangs des professionnels ayant participé à des enquêtes le visant.

« Il n'y a aucune garantie non plus du fait que le fascisme ne pourrait pas remonter tant en Amérique du Nord qu'en Europe, on l'a vu. Je pense qu'il faut être prudent. Il faut prendre des actions préventives. Il faut valoriser notre système démocratique. Il faut valoriser l'État de droit. Il faut valoriser l'importance des institutions démocratiques », tonne Me Nadeau.

Accéder au poste de Bâtonnier du Québec impose d’habitude une plateforme portant sur les enjeux locaux d’accès à la justice, de collaboration avec les institutions judiciaires, bref, de protection du public. Cette année, on y ajoutera des mesures pour valoriser l’État de droit, en réponse directe au tumulte américain.

Pour Me Nadeau, cela passe par « une campagne de valorisation permanente » de l’état de droit par le Barreau du Québec. Pour lui, il ne faut pas attendre que se produise une attaque contre l’état de droit, mais plutôt qu’on communique de manière constante sur son importance, ainsi que sur la « fragilité » des institutions.

Le bâtonnier est convaincu qu’il faut par ailleurs maintenir le cap sur les initiatives en matière d’équité, de diversité et d’inclusion. « On a fait de beaux progrès, donc je pense qu’il faut éviter de reculer. On ne peut pas non plus prendre pour acquis que les différents élus vont nécessairement prendre les meilleures décisions, donc il faut jouer notre rôle d’acteur social », somme-t-il.

Au cœur de la proportionnalité

L’une des premières propositions du bâtonnier Nadeau en matière d’accès à la justice est d’ordre macro-économique. Il faudrait viser des mesures pour que les honoraires extrajudiciaires d’une cause civile ne dépassent pas 10 % de la valeur du litige.

« Ce n’est certainement pas une proposition de coercition », indique-t-il d’emblée. L’idée est de « viser une statistique », notamment en revoyant la manière dont son menés les procédures civiles.

Dans un dossier publié par le Globe and Mail en septembre 2024, la juge en chef de la Cour supérieure du Québec Marie-Anne Paquette décrit le système de justice civile de la province comme « insoutenable ». En entrevue au journaliste Sean Fine, elle dira que les citoyens « méritent un système de justice civile efficace et abordable, ce qui est essentiel à une société démocratique guidée par la règle de droit ». (Notre traduction)

Même son de cloche chez Marcel-Olivier Nadeau. Il voit l’amélioration de l’accès à la justice civile comme « un défi générationnel ». « C’est de se ramener vers des délais qui jouent beaucoup plus entre 12 et 18 mois, de se ramener vers des pourcentages d’honoraires extrajudiciaires qui tournent beaucoup plus entre 10 et 15 % de la valeur du litige », avance-t-il.

Il cite un exemple américain exposé dans le même dossier du Globe and Mail. Dans le district est de Virginie, selon le Globe, le temps médian de traitement d’un dossier est de 11,2 mois entre l’introduction de la procédure et le procès. Un juge gestionnaire est nommé dès le début des procédures et garde serrés les rennes de la procédure.

Pour Me Nadeau, il s’agit là d’un exemple à suivre. Malgré les changements apportés au code dans la dernière décennie, « on est encore dans un processus où les procureurs, ensemble, choisissent très largement quelles seront les procédures préalables ».

« Il y a un exercice d’assainissement de la preuve et de la procédure civile dans les dossiers de quelques centaines de milliers de dollars qui est nécessaire. J’en ai discuté avec les juges en chef des tribunaux judiciaires. On s’entend tous sur ça, donc je pense que c’est faisable », plaide-t-il.

Le bâtonnier élu souhaite ainsi lancer une « grande discussion » sur la question des honoraires des avocats qui soit réalisée en parallèle des réflexions sur la procédure civile. « Si on diminue les délais, si on simplifie les procédures, si, dès le début du dossier, il y a de la gestion hâtive qui fait en sorte que les procédures sont fixées et que la date du procès est écrite dans la roche, puis que ça ne changera pas, on amène beaucoup plus de prévisibilité. Pour l’avocat ou l’avocate, homme ou femme d’affaires, ça devient beaucoup moins risqué et plus logique de songer à des forfaits », conclut-il.

Rester « proactif » pour les communautés autochtones

Marcel-Olivier Nadeau souhaite aussi que le Barreau poursuive son rôle auprès des communautés autochtones du Québec, qui vivent des enjeux qui leur sont propres en matière de justice. Deux comités permanents sont toujours actifs au sein de l’ordre, où siègent des acteurs renseignés sur ce qui se passe sur le terrain.

« Dès qu’on nous signale quelque chose qui ne fonctionne pas, ça devient la priorité presque numéro un d’appeler les acteurs concernés », indique Me Nadeau. « On en fait un enjeu de vigie presque au quotidien. »

La discussion porte d’abord sur les enjeux de justice criminelle. « Mais je souhaite aussi savoir ce qu’il se passe en matière civile et familiale, parce que les commentaires que j’entends, c’est que ça n’existe pas ou presque. »

« On ne peut pas conserver des angles morts éternellement. Je veux qu’on s’éclaire sur la justice civile et familiale dans le Nord. »

Il appuie ainsi une justice par et pour les peuples autochtones, tel que le Barreau le préconise depuis quelques années. « On est prêts à appuyer toutes les démarches qui seront entreprises. »

« Chaque communauté autochtone qui manifeste son désir d’aller un peu plus vers l’autogestion en matière de justice, ils auront l’appui du Barreau, ça c’est certain », conclut Me Nadeau.