La Cour suprême clarifie les règles relatives à la détermination de la peine pour les jeunes
Des juristes sont d’avis que certaines décisions ont changé le paysage et font en sorte qu’il sera plus difficile d’imposer une peine applicable aux adultes aux jeunes

La Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents prévoit un critère de détermination de la peine en deux volets. Premièrement, les juges chargés de la détermination de la peine doivent être convaincus que l’accusé a la culpabilité morale moins élevée d’un jeune et qu’il ne possédait pas la sophistication et le jugement rationnel d’un adulte au moment du crime. Une fois que cela est établi, ils doivent être convaincus qu’une peine est suffisante pour obliger l’adolescent à répondre de ses actes et que la peine précise prévue par la loi est insuffisante.
Dans une décision à 7 contre 2, le tribunal suprême a statué que les juges qui déterminent la peine doivent prouver hors de tout doute raisonnable que l’accusé a l’âge développemental d’un adulte, malgré l’établissement de son âge chronologique au premier volet de ce critère. Toutefois, il n’est pas nécessaire que cette même norme s’applique pour déterminer si la peine est insuffisante.
« Prouver qu’un adolescent a l’âge développemental d’un adulte peut bien sûr être plus compliqué que de prouver son âge chronologique, mais il ne s’agit pas moins d’un examen factuel qui se prête tout aussi bien à une preuve hors de tout doute raisonnable », a écrit le juge Nicholas Kasirer au nom de la majorité.
La majorité a également souligné que la gravité de l’infraction ne doit pas être un facteur dans l’établissement de l’âge développemental. Cela ne devrait être pris en considération que lors de la détermination de la durée de la peine.
« La gravité objective de l’infraction, par exemple, bien que pertinente à la deuxième étape de l’analyse prévue à l’al. 72(1)b) LSJPA, n’a pas de lien logique avec la question de savoir si un adolescent possède l’aptitude à exercer le jugement moral d’un adulte au moment de l’infraction », a écrit le juge Kasirer.
« Par conséquent, elle n’est pas pertinente pour réfuter la présomption prévue à l’al. 72(1)a). Cependant, les facteurs qui se concentrent véritablement sur l’âge développemental de l’adolescent contrevenant et sur son aptitude à exercer un jugement moral, tels que sa santé mentale et ses antécédents, doivent être pris en compte lorsqu’ils font partie du dossier. »
I.M. avait 17 ans et cinq mois quand lui et un groupe d’adultes ont planifié et effectué un vol qualifié à un autre jeune de 17 ans dans l’intention de lui voler une arme à feu. La victime a été poignardée et est morte. Après l’attaque, I.M. s’en est vanté auprès d’un élève et lui a montré les vêtements ensanglantés avant de fuir le pays.
La Cour suprême a déclaré que le juge qui prononçait la peine n’avait pas prouvé hors de tout doute raisonnable que I.M. avait l’âge développemental d’un adulte, et a conclu que sa santé mentale et son impulsivité n’avaient pas été prises en compte.
Sa peine pour adultes a été annulée et, à la place, la peine maximale de dix ans d’emprisonnement pour adolescents – dont seuls six peuvent être passés dans un établissement – a été imposée.
Dans le cas de S.B., lui et deux autres jeunes ont planifié et exécuté le meurtre d’un jeune de 16 ans. Après le meurtre, ils ont dissimulé les faits et ont exprimé le désir de tuer un troisième coaccusé qui avait été témoin de la mort, ainsi que sa mère et sa sœur.
La Cour a confirmé à l’unanimité une peine pour adultes, mais les motifs ont été divisés à 7 contre 2, les juges Côté et Rowe offrant des motifs concordants.
Cori Singer, avocate chez Addario Law Group LLP à Toronto, est l’une des juristes de l’Association canadienne des libertés civiles (ACLC) qui est intervenue dans ces affaires. Elle dit que ces causes changent le paysage en matière de détermination de la peine pour les jeunes.
« La décision affirme que les jeunes ont un droit constitutionnel d’être traités différemment des adultes lors de la détermination de la peine, et que le gouvernement a un lourd fardeau au moment de prouver qu’une personne de moins de 18 ans doit recevoir une peine applicable aux adultes. »
L’ACLC soutient que les tribunaux vont trop loin en facilitant la réfutation par le gouvernement de la présomption selon laquelle les jeunes n’ont pas la culpabilité morale d’un adulte. Cela oblige effectivement les jeunes à prouver qu’ils devraient être recevoir une peine adaptée à leur âge.
« Le résultat est que, trop souvent, les mineurs étaient traités comme des adultes et recevaient des peines applicables aux adultes au lieu de peines pour mineurs », explique Me Singer.
L’ancienne norme dite « satisfaisante » était inférieure à la norme pénale « hors de tout doute raisonnable » et à la norme civile de la prépondérance des probabilités. La norme pénale s’applique dorénavant.
L’ACLC a concentré ses observations sur la présomption dans le premier volet du critère de détermination de la peine, insistant sur le fait qu’il ne s’agissait pas seulement d’un critère prévu dans une loi, mais d’un principe de justice fondamentale protégé par la Constitution.
« Lorsque la Cour parle de l’importance d’utiliser cette norme [pénale], elle utilise vraiment le cadre de protection des droits garantis par la Charte et lit la loi à la lumière de l’impératif constitutionnel », dit Me Singer.
Vibert Jack, directeur des litiges à la BC Civil Liberties Association, qui est également intervenue dans cette affaire, affirme que les cours de première instance ont exagéré la gravité de l’infraction dans les deux cas d’une manière qui a vraiment diminué l’importance de la présomption.
« Les jeunes ont une capacité diminuée de raisonnement moral, dit-il. Nous savons tous qu’ils sont plus impulsifs; ils ne comprennent pas les conséquences de leurs gestes. Pour ces raisons, il est de la plus haute importance que nous valorisions leur potentiel de réadaptation. C’est important pour tout le monde, mais surtout pour les jeunes. »
Me Jack croit que la gravité de l’infraction n’est pas pertinente par rapport à la capacité de raisonnement moral, car un jeune qui commet l’infraction la plus grave qui soit a encore le potentiel de changer, d’améliorer son raisonnement moral. Cela doit être reconnu lors de la détermination de la peine.
« La Cour suprême du Canada a convenu avec nous que la gravité de l’infraction ne devrait pas être prise en compte dans le critère visant à réfuter la présomption, et que toute preuve utilisée pour réfuter la présomption doit en fait porter précisément sur la capacité de culpabilité morale. »
Il ajoute que la décision empêche la présomption de devenir une appréciation discrétionnaire par un juge. Il maintient aussi ce qu’elle devrait être – une garantie juridique constitutionnelle pour les jeunes – et indique clairement qu’il est impératif, en vertu de la Charte et du droit international, que la détention des jeunes ne soit utilisée qu’en dernier recours.
Jody Berkes, du cabinet Berkes Law de Toronto, qui est aussi membre titre particulier de la Section de justice pénale de l’ABC, dit que les avocats de la défense recevront de l’aide au moyen d’outils, comme les rapports Morris, les rapports Gladue ou d’autres preuves psychologiques, au moment de déterminer la culpabilité morale.
« Le tribunal dit que, souvent, un psychiatre peut témoigner pour faire la lumière sur ces circonstances personnelles et sur la façon dont elles affectent la maturité du jeune. »
Mary Birdsell, directrice générale de Justice for Children and Youth, qui est également intervenue dans la décision, espère que la clarté apportée par la cour aidera les juges de première instance à faire preuve de plus de cohérence.
« Nous sommes conscients que la compréhension des réalités sociales et développementales complexes des jeunes est un défi, et que l’évaluation des réalités développementales des jeunes est un exercice complexe qui nécessite de l’éducation et peut requérir l’aide de spécialistes, a-t-elle dit dans un courriel. Si nous voulons condamner les jeunes et les tenir responsables dans le système judiciaire pénal de façons significatives qui serviront à la réadaptation, nous devons relever ces défis. »
Me Berkes dit qu’être avocat, c’est être capable de compartimenter des analyses. Bien que la Cour affirme que les juristes doivent s’engager dans le premier volet, ils doivent s’assurer que les facteurs du deuxième volet ne déteignent pas sur cette première étape.
« Intellectuellement, ce n’est pas une tâche facile, dit-il. Il y a une tendance en tant qu’êtres humains à permettre qu’une multitude de facteurs influent sur notre prise de décision. »
La Cour suprême du Canada prévient les juges que ces critères doivent rester séparés et distincts. Elle met également en garde les avocats de la Couronne par rapport au fait que, lors de la présentation d’éléments de preuve, il ne faut pas mettre dans le même panier des éléments de preuve de la première étape qui sont traités adéquatement au deuxième volet du critère.
« Les décisions des juges sont bien meilleures lorsque les juristes qui comparaissent devant eux citent le bon critère, fournissent les bonnes preuves et leur donnent les outils dont ils ont besoin pour rendre leur décision », dit Me Berkes.