Et si le genre était juste humain
Florence Ashley, humaniste et activiste pour les droits des personnes transgenres et non-binaires.
Depuis 1999, le Prix du héros ou de l’héroïne de la section sur l’orientation et l’identité sexuelles de l’Association du barreau canadien, récompense les membres des communautés LGBTB qui ont fait progresser la cause de l'égalité par leurs gestes, par leur contribution professionnelle, ou en montrant un exemple inspirant pour les autres membres. Le dernier « B » de l’acronyme, moins connu, réfère aux personnes bispirituelles, un concept autochtone de fluidité des genres.
Récipiendaire de ce prix en 2019, Florence Ashley s’identifie comme « activiste transféminine non-binaire ». Ille* s’efforce, par ses publications dans des revues respectées et ses interventions dans le débat public, de faire bouger les choses en faveur des personnes transgenres et non-binaires, qui peinent à trouver leur place dans un système encore très attaché aux concepts traditionnels de masculinité et de féminité.
« Tous les problèmes ne sont pas réglés par l’interdiction de discrimination. »
« Mettons qu’il y a beaucoup de sphères d’amélioration », constate en entrevue téléphonique l’activiste de 26 ans, en évoquant la discrimination en emploi et dans l’accès au logement, par exemple, qui perdurent dans l’impunité car « dans un système inégalitaire, les personnes issues des groupes marginalisés sont trop pauvres pour utiliser le système judiciaire ». Ille aborde du même souffle les « soins de transition excessivement chers, la santé mentale non-couverte », alors que les personnes trans sont plus affectées par la dépression et l’anxiété que le reste de la population, souvent à force d’être mégenrées.
En termes de mobilité et d’égalité économique, les règles en place au Québec exigent la citoyenneté pour qu’une personne migrante trans puisse modifier son nom et son sexe sur son certificat de naissance. Un délai d’environ 7 ans. Sept ans à présenter des documents officiels qui détonnent avec son identité publique, faisant tiquer douaniers, employeurs, locateurs… « Pourquoi est-ce qu’on a ça sur nos certificats de naissance ? », interroge Florence en référence à la mention de sexe. Ces deux cases M ou F, obligatoires et mutuellement exclusives, marginalisent les personnes non-binaires car elles « normalise[nt] que le sexe, c’est ça». Une poursuite est d’ailleurs actuellement en cours pour forcer le gouvernement du Québec à inclure « Autre » ou « X » dans ses formulaires à la rubrique du sexe, comme l’a fait Passeport Canada en 2017.
Comme intervention notable dans le domaine de l’éducation, Florence a notamment signé l’article « Qui est-ille ? Le respect langagier des élèves non-binaires, à la frontière du droit ». Ille y expose les barrières particulières subies par les personnes non-binaires en milieu scolaire, et développe l’idée que pour garantir leur réelle intégration, on ne peut pas « se concentrer sur ne pas discriminer ». Ça prend des politiques robustes, qui articulent « les façons de les mettre en œuvre », et sont assorties d’une « éducation à l’inclusion, idéalement intégrée au curriculum ».
De l’activisme à l’académisme
Dans sa maîtrise en droit à l’université McGill, Florence Ashley s’intéresse aux différentes formes et portées des lois qui interdisent les thérapies réparatrices, aussi appelées « théories de conversion », envers les personnes trans. On assiste à une recrudescence des théories réparatrices en médecine, surtout chez les patients enfants. Il s’agit selon ille « d’un phénomène de masse », dont les causes sont difficiles à cerner. La montée du conservatisme ambiant et les médias sociaux y contribuent toutefois en créant « de plus en plus d’intérêt et de support pour des personnes qui, il y a cinq ans, disparaissaient un peu de la sphère publique ». Le débat est houleux et les risques de vindicte toujours présents. Par exemple, « le fait que le projet de loi 77 (coupant le financement public aux thérapies réparatrices pour adultes et prohibant celles pour les enfants) soit passé en Ontario a créé un peu de backlash ».
Parmi ses projets à venir, outre la fin de sa thèse et ses prochaines publications, Florence mettra ses multiples talents à l’oeuvre l’an prochain comme auxiliaire de la juge Sheilah L. Martin de la Cour suprême du Canada. C’est la première personne ouvertement trans à occuper cette fonction importante, qui appuie la recherche des décisions qui modèlent le droit au pays. Ensuite, qui sait ? Un doctorat, sûrement !
Petit guide de l’allié compétent
Pour la prolifique autrice, chaque personne peut contribuer à plus de justice envers les personnes trans. À commencer par intervenir « si quelqu’un fait des commentaires transphobes autour de la table, à Noël, en classe. » Mais surtout « il faut amplifier la voix des personnes trans, leur faire une place… ne pas prendre cette place ». En cette époque de communications multiplateformes, on peut ainsi « partager ce qu’elles disent » et leur « accorder de la visibilité dans le choix des invités pour une conférence ». À cet effet, les organisateurs d’évènements doivent réaliser que « les personnes trans ne sont pas interchangeables » et « respecter leurs domaines d’expertise ».
Il faut aussi entretenir le dialogue avec les personnes dont le vécu est différent du nôtre, quitte à se tromper, dire la mauvaise chose et se le faire reprocher. « On est dans une société qui met beaucoup trop d’accent sur le résultat ».
Pourtant, ce n’est pas tant le résultat que l’honnêteté dans le cheminement qui compte. « Ce qui fait que je te place dans la catégorie « je t’aime pas», c’est pas que tu dis ou tu fais des affaires problématiques, c’est de devenir défensif [quand je te le fais remarquer] », affirme l’humaniste convaincux. Quelqu’un qui souhaite être un allié doit donc simplement rester honnête intellectuellement et tâcher de s’améliorer. « Moi ça m’est arrivé plusieurs fois que passer de « meh » à « monté dans mon estime » avec une personne après avoir vu le travail émotionnel et d’autocritique qu’elle avait fait suite à un commentaire. » Quand on lui fait remarquer la plus-value de cette attitude dans un domaine comme le droit de la santé, étroitement lié au vécu personnel, ille observe sagement: « c’est peut-être pour ça que j’aime m’entourer de personnes […] qui ont une sensibilité à cet aspect-là de l’expérience humaine. »
* Cet article est rédigé en français neutre. Contrairement au français dit « inclusif », calqué sur la binarité masculin /féminin (ex. il/elle), le français neutre fait appel à d’audacieux mots-valises pour créer une réelle neutralité grammaticale.