La liberté de parole sur les campus
Les facs de droit, la liberté d'expression, et la Charte canadienne
D’après l’arrêt SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd. rendu en 1986 par la Cour suprême, on laisse entendre que la Charte s’applique non seulement aux décisions administratives des universités, mais également aux cours et aux activités intellectuelles des étudiants et des professeurs – particulièrement lorsque s’entremêlent politiques éducatives et mandats gouvernementaux.
Les liens de plus en plus étroits entre les gouvernements et les établissements postsecondaires rapprochent aussi ces derniers de la Constitution. Or, en l’absence de lois claires ou de décisions définitives, les politiques d’établissement sont les seules lignes directrices en la matière dont dispose le milieu universitaire.
Par exemple, des tribunaux de l’Alberta ont débouté des universités réclamant la réglementation des groupes étudiants antiavortement. Toutefois, des tribunaux ontariens et en Colombie-Britannique ont jugé que les images antiavortement pouvaient être soumises à des restrictions puisqu’elles ne sont ni des politiques, ni des programmes gouvernementaux. L’absence de consensus sur les mesures appropriées entraîne donc son lot de problèmes.
Plus tôt cette année, Michael Persinger, enseignant à l’Université Laurentienne depuis 1971, a dû cesser de donner un cours d’introduction à la psychologie pour avoir demandé à ses étudiants de lui permettre d’utiliser un langage vulgaire. En 2016, son langage grossier a été jugé inacceptable
en classe.
Dans Pridgen c. University of Calgary, la Cour du banc de la Reine de l’Alberta a jugé inconstitutionnelles et déraisonnables les mesures disciplinaires imposées par l’université à des étudiants qui avaient critiqué publiquement un professeur sur Facebook. Cela dit, la Cour a reconnu le besoin d’amortir certaines dispositions de la Charte afin de protéger le bien-être du personnel et des étudiants et d’assurer un environnement d’apprentissage positif.
Vu la jurisprudence, la Cour a également déterminé que « la Charte des droits et libertés peut s’appliquer à une entité privée si celle-ci met en œuvre une politique ou un programme gouvernemental déterminé ».
La valeur de l’enseignement supérieur tient à ce que les universités peuvent nous inculquer : la pensée critique. Elles demeurent en effet le meilleur endroit pour apprendre à remettre en question les opinions préconçues, à réagir à de nouvelles idées et à analyser des arguments.
Pour que les établissements postsecondaires puissent accomplir cette mission, nous devons protéger les libertés de conscience et d’opinion.
Dans son livre Learn or Die, Edward Hess, professeur de stratégie, affirme qu’un environnement psychologiquement sain est nécessaire à l’apprentissage de la pensée critique et à l’acquisition d’aptitudes de résolution de problèmes. La primauté d’une hiérarchie et la peur d’être puni comptent parmi les plus importants obstacles à l’apprentissage – tout comme la restriction de la liberté universitaire.
Les professeurs qui s’appuient sur la Charte pour encourager les débats doivent connaître et respecter ses valeurs, et les limites imposées aux discours dans les universités doivent s’appliquer aux propos contraires à celles-ci. En effet, les débats universitaires doivent soutenir les objectifs de la Charte, notamment la création d’une société plus inclusive. La protection de la liberté d’expression à l’université ne peut se faire au détriment d’autres droits et libertés fondamentaux.
Les propos controversés doivent avoir une portée pédagogique. La présentation d’idées contraires aux valeurs de la Charte doit servir à illustrer les arguments contre ces idées. Sinon, sous prétexte de défendre la liberté universitaire, nous risquons d’encourager l’intolérance et la discrimination, voire la haine.
Quand j’étudiais en droit à l’Université Western, j’ai vu le discours de l’esprit critique dégénérer par moment: certains associaient homosexualité et bestialité, et un professeur s’est demandé s’il serait souhaitable de déporter une partie de la population en raison de leur religion.
M. Persinger affirmait utiliser des jurons et des sous-entendus pour développer la pensée critique chez ses étudiants. Mais lorsqu’il présente des approches ou des opinions controversées, l’enseignant doit maintenir un environnement d’apprentissage sain et inclusif, chose qu’exige la Charte elle-même.
La Charte occupe aujourd’hui un rôle plus important que jamais dans l’enseignement. Pour faire preuve de la réserve nécessaire et protéger l’autonomie des universités, la révision judiciaire de leurs décisions doit être guidée par une norme de décision raisonnable.
Dans l’intérêt de l’inclusivité, nous devons exclure des débats les idées trop opposées à nos objectifs de société. La Charte elle-même nous indique ces limites ainsi que leur raison d’être.
La vulgarité sera peut-être protégée, mais l’homophobie et la xénophobie ne doivent absolument pas l’être. N’en déplaise aux professeurs, certains groupes Facebook le seront peut-être aussi.