Passer au contenu

Droit de la famille

Les règles d’immigration : un risque latent de dette pour les personnes parrainant des membres de leur famille.

Woman looking out into ocean

Les avocats en droit de la famille savent à quel point une rupture familiale peut s’avérer oné­reuse et complexe. Ils peuvent cependant ne pas savoir que les enjeux sont encore plus importants pour leurs clients immigrants qui ont entrepris de parrainer des membres de leur famille.

Les accords de parrainage sont des contrats exécutoires, et les provinces entament de plus en plus fréquemment des poursuites pour recouvrer les coûts de l’assistance sociale engagés par les membres de la famille lorsque les répondants manquent à leurs obligations contractuelles en raison d’une rupture familiale ou pour tout autre motif. La dette peut s’élever à des centaines de milliers de dollars.

« Je dirais qu’il y a 10 ans, cela n’était pas le cas en Ontario. Aujourd’hui, c’est chose courante », déclare Lorne Waldman, avocat de Toronto spécialisé en droit de l’immigration. « Il s’agit d’un changement radical depuis 10 ans en Ontario. »

Il a vu des répondants ayant accumulé plus de 100 000 $ de dettes au cours de la période de 10 ans de parrainage précédemment requise. « Et maintenant, ce sera sur 20 ans; avec la possibilité de se retrouver avec une dette de 200 000 $ dans certains de ces cas. »

« Un de mes clients est venu me voir et m’a dit : “ma belle-famille est partie, je ne voulais pas qu’ils s’en aillent, j’étais prêt à les aider, mais ils se sont brouillés avec mon épouse et sont partis. Maintenant, ils sont à la charge de l’assistance sociale”. » 

Les répondants doivent s’engager à fournir la nourriture, l’hébergement et à satisfaire à d’autres exigences pendant 20 ans en ce qui concerne les parents et les grands-parents ainsi que les membres de leur famille à leur charge. Avant 2013, la période était de 10 ans. Pour les conjoints, elle est maintenant de trois ans.

L’accord de parrainage constitue « au fond, un engagement, pris sur 20 ans, aux termes duquel les parents ou les personnes à charge […] — quatre ou cinq personnes sont parfois parrainées — n’auront recours à aucune forme de services sociaux, faute de quoi, il vous incombe de régler cette dette », déclare Me Waldman, qualifiant cette situation de « responsabilité latente ».

Selon un résumé de l'étude d'impact de la réglementation publié dans la Gazette du Canada en mai 2013, l’âge moyen du groupe formé par les parents et grands-parents (P & G.-P.) est de 65 ans. Ils sont donc plus susceptibles de constituer un fardeau pour le système de soins de santé, tout en risquant de contribuer moindrement à l’assiette fiscale.

« Les conjoints sont généralement plus jeunes et, par conséquent, ne risquent pas d’être un fardeau majeur pour le système social », dit Me Waldman. « Concernant les parents, c’est l’inverse […] on s’attend à ce qu’ils puissent devenir un fardeau ».

Les données révèlent aussi que les P & G.-P. ont de plus en plus recours à l’assistance sociale, « passant d’environ 3 % pendant la durée d’un accord de parrainage à près de 20 % immé­diatement après sa fin », suggérant qu’une fois que le répondant n’est plus responsable d’elles, les personnes parrainées s’en remettent à l’assistance sociale pour leur revenu.

Le manquement à un accord de parrainage peut revêtir diverses formes : un conjoint victime de mauvais traitements rompt le mariage avant la fin de la période de parrainage et a recours à l’assistance sociale; un époux parraine les parents de sa femme et une rupture du mariage survient avant la fin de la pé­riode de parrainage; un répondant perd son emploi et se trouve, malgré lui, dans l’incapacité d’offrir un soutien.

Me Waldman, qui a fait un exposé à l’Institut de l’ABO en février sur les pièges tendus aux juristes au carrefour du droit de la famille et du droit de l’immigration déclare : « Alors que je préparais cet exposé, j’ai tout à coup réalisé que maints juristes ne connaissaient pas l’existence de ce potentiel pour une énorme dette ».

Selon l’interprétation de l’accord de parrainage faite par la Cour suprême dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Mavi, les provinces peuvent reporter le paiement de la dette, mais ne disposent d’aucun pouvoir discrétionnaire pour y renoncer; dette qui s’accumule même si le répondant ne le sait pas.

S’exprimant au nom de la Cour, le juge Ian Binnie a indiqué qu’alors « qu’un certain nombre d’entre eux ne se sont vu réclamer le paiement de la somme due qu’une fois celle-ci devenue assez importante […] l’obligation alimentaire du répondant emporte nécessairement celle de se tenir au courant des faits et gestes de la personne parrainée ». La province a bien une « obli­gation de faire preuve d’équité procédurale envers un répondant lorsqu’il[ils] recouvre[nt] une créance de parrainage », ce qui inclut le fait d’informer le répondant à sa dernière adresse connue, a-t-il ajouté.

Selon Me Waldman, tout spécialiste en droit de la famille devrait poser des questions sur le parrainage et l’immigration lorsqu’il discute de la rupture familiale avec ses clients.

« C’est une possible dette dans chaque cas de divorce impliquant des immigrants », déclare Me Waldman, « car il est maintenant clair, en droit, que la dette peut être recouvrée ». Les juristes peuvent d’ores et déjà se considérer comme prévenus que c’est un domaine où leurs décisions pourraient revenir les hanter.

Si le client a un problème lié à son statut d’immigrant ou un engagement de parrainage en cours, « vous seriez probablement bien avisé de consulter un spécialiste en immigration pour voir quelles seront ses incidences sur les négociations ou sur les droits de votre client », ajoute-t-il.