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L’incursion étrangère dans le droit canadien de la propriété intellectuelle n’est pas une catastrophe

La société australienne IPH Ltd. contrôle désormais plus du tiers du marché canadien des brevets, et d’aucuns y voient une occasion à saisir

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iStock/tommy

Une société australienne cotée en bourse contrôle à présent le tiers des agences de brevets et de marques de commerce au Canada, mais beaucoup de juristes du droit de la propriété intellectuelle ne considèrent pas que c’est une mauvaise chose.

Ce serait plutôt une occasion à saisir.

Le mois dernier, avec l’annonce de son achat pour 82,5 millions de dollars du cabinet spécialisé en propriété intellectuelle (PI) Bereskin & Parr, la société IPH Limited est devenue la plus importante société de PI au Canada, sous ses bannières « ROBIC » au Québec et « Smart & Biggar » ailleurs au pays.

L’an dernier, ses sociétés ont déposé 33 % des demandes de brevet au Canada. Certes, certains juristes spéculent sur les problèmes de concurrence, mais d’autres lorgnent le potentiel de croissance et de profits.

« C’est certainement une période de changement, et je crois qu’il y a des débouchés pour les petits cabinets comme le nôtre », se réjouit Andrew Currier, cofondateur et chef de la direction de PCK Intellectual Property.

L’actuel marché canadien de la PI se répartit grosso modo en trois niveaux : les sociétés membres d’IPH, les sociétés tous services comme Gowling WLG, Norton Rose Fulbright et Borden Ladner Gervais, et la constellation de cabinets spécialisés comme celui de Me Currier, qui d’après lui sont à même d’offrir un service plus personnalisé et de privilégier la création de ressources et de stratégies de PI pour les entreprises canadiennes.

Avec la disparition de marques établies comme Ridout & Maybee et à présent Bereskin & Parr, Me Currier voit aussi l’occasion pour les jeunes cabinets comme le sien, qui compte une vingtaine de juristes et d’agents de brevets et de marques de commerce, de mieux se faire connaître et de devenir le dessus du panier.

C’est exactement ce qu’a pensé Elizabeth Dipchand en entendant dire qu’IPH était sur le point d’absorber une autre société canadienne. Son cabinet de sept juristes, Dipchand LLP, cherchait à élargir sa pratique en droit des brevets. Quand IPH pénétrait le marché et que les talents dans ces sociétés s’établissaient dans le nouveau système ou préféraient s’en éloigner, elle savait qu’il y aurait des avenues de croissance à la faveur d’acquisitions stratégiques.

Son ami de longue date, Louis-Pierre Gravelle, était à Bereskin & Parr, et dès le début, il n’était pas friand du modèle d’IPH, qu’il juge trop général et peu intéressant pour les juristes ayant la fibre entrepreneuriale. Selon Me Dipchand, l’arrivée de Me Gravelle dans son équipe a été « une excellente occasion » et c’était « plein de bon sens » pour son cabinet en croissance.

Me Gravelle a en effet saisi l’occasion de faire le saut chez Dipchand et de participer directement au renforcement de la pratique du cabinet en droit des brevets.

« Ce qui me stimule vraiment, dit-il, c’est de pouvoir nouer des liens et de réellement comprendre les besoins d’affaires du client et de le conseiller sur la meilleure façon de réaliser son objectif tout en mettant à contribution des éléments extrêmement précieux de propriété intellectuelle. »

À court terme, Me Gravelle se dit prêt à embaucher de nouveaux juristes, professionnels en droit des brevets, auxiliaires juridiques et autres employés de soutien pour vraiment bâtir la pratique de Dipchand en droit des brevets.

D’autres n’ont pas non plus joint les rangs d’IPH après les acquisitions : Gunars Gaikis, à présent chez Norton Rose Fulbright, Ryan Evans, qui s’est joint à Aird & Berlis, et Dino Clarizio qui, avec ses collègues Jason Markwell et Rebecca Crane, a démarré un nouveau cabinet, Markwell Clarizio, qui se spécialise exclusivement en contentieux de PI.

Du changement naît des possibilités, dit Me Clarizio. Les conflits inhérents aux grands cabinets comme ceux membres d’IPH et le fait que les clients – surtout aux États-Unis – préfèrent faire affaire avec des cabinets « indépendants » ouvrent une avenue de croissance aux cabinets spécialisés en PI comme le sien.

Même si le rythme des litiges de PI au Canada « est au ralenti » actuellement, il espère « que nous avons touché le fond du baril et que les choses vont s’améliorer ».

IPH, cotée en bourse à l’Australian Securities Exchange, n’est pas propriétaire des cabinets juridiques comme tels, mais a acquis les agences de brevets de plusieurs : Smart & Biggar, Ridout & Maybee, et à présent Bereskin, qui a fusionné sous la bannière de Smart & Biggar, et ROBIC au Québec. En tant que propriétaire de ces agences, IPH possède un intérêt dans leurs pratiques du droit l’obligeant à respecter la réglementation canadienne sur la propriété des cabinets juridiques.

Les droits de propriété étant ainsi structurés, il peut aussi y avoir des perspectives de carrière avec amélioration salariale. Me Currier estime qu’en ce qui concerne l’accès au statut d’associé et l’équilibre vie-travail, les petits cabinets comme le sien peuvent faire mieux que les cabinets tous services, où la route est longue pour devenir associé, tout comme dans les sociétés membres d’IPH, qui sont cotées en bourse.

« Je crois que cela nous aidera à attirer les talents. Paradoxalement, même si nous sommes un petit joueur, nous ne versons pas de dividendes à des actionnaires passifs. Nous sommes seuls propriétaires de l’entreprise. »

Andrew Blattman, Ph. D., président-directeur général d’IPH, dit que sa société a atteint « une limite naturelle » dans ce marché.

« À présent que nous avons une forte présence au Canada, notre priorité sera d’améliorer le rendement de nos récentes acquisitions et d’optimiser le rapport qualité-prix pour nos clients et le rendement pour nos actionnaires », dit-il.

IPH compte plus de 1 600 employés là où elle est présente : Australie, Canada, Chine, Hong Kong (région administrative spéciale), Indonésie, Malaisie, Nouvelle-Zélande, Philippines, Singapour et Thaïlande.

Réaliser des économies après le rachat est l’un des objectifs d’IPH dans les « marchés secondaires » qu’elle cible, comme le Canada – grosso modo, là où le travail en droit de la PI arrivant de l’étranger est plus important que celui sur le marché national. Dans le rapport annuel d’IPH, paru juste avant l’acquisition de Bereskin & Parr, M. Blattman dit que ses trois acquisitions canadiennes ont « renforcé l’effet de réseau d’IPH » grâce à l’aiguillage de plus de 500 clients entre ses succursales canadiennes et de l’Asie de l’Est depuis l’acquisition de Smart & Biggar en 2022.

« Ils vont immanquablement envisager d’autres acquisitions à l’étranger pour soutenir la croissance de leurs revenus plutôt que de tâcher d’attirer et de conserver une part accrue des talents et clients canadiens », prédit Me Gravelle.

Même si les sociétés membres d’IPH ont la part du lion sur le marché canadien des brevets et des marques de commerce, et que beaucoup aiment son environnement balisé et prévisible, il existe selon lui une foule de possibilités pour les juristes canadiens du droit de la PI souhaitant bâtir différentes pratiques dans d’autres types de cabinets.