Protection des enfants autochtones : C-92 comme bougie d’allumage?
Avec l’adoption de C-92, […] On sort un peu du carcan que la common law imposait jusqu’à maintenant
La décision était attendue de pied ferme par les communautés autochtones de partout au Canada. En février dernier, la Cour suprême tranchait : la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis était jugée conforme aux dispositions de la constitution canadienne concernant le partage des compétences. Le gouvernement du Québec plaidait que la loi C-92 empiétait sur ses prérogatives en matière de protection de l’enfance.
Cette loi, perçue par le gouvernement fédéral comme l’un des jalons de la réconciliation, reconnaît aux communautés autochtones leur autonomie quant aux services à l’enfance. Elle « établit des normes nationales et assure aux peuples autochtones un contrôle effectif sur le bien-être de leurs enfants », peut-on lire dans l’arrêt de la plus haute cour du pays. Une loi « innovante » selon la Cour suprême, en ce qu’elle appelle les corps dirigeants autochtones et le gouvernement canadien à travailler « de concert pour remédier aux torts du passé », le tout, dans un dialogue de « nation à nation ».
Pour l’avocate Chloé Beaudet-Centomo, qui s’est penchée sur la comparaison entre les régimes de droit canadien et sud-africain en matière de reconnaissances des droits des autochtones, cette décision est un « énorme pas pour la réconciliation au Canada ».
Elle note d’emblée que le préambule de C-92 reconnaît « les torts historiques qui ont été faits par le Canada aux enfants autochtones ». Que cette reconnaissance soit faite par le biais d’une loi ordinaire du Parlement, remarque la Cour suprême, « évite aussi les aléas de la négociation constitutionnelle, les lenteurs des règlements par traités et les inévitables conflits associés aux règlements par les tribunaux ».
Avec l’adoption de C-92, le gouvernement canadien met en place des pratiques qui vont « beaucoup plus ressembler à ce que l’Afrique du Sud met de l’avant depuis l’apartheid. […] On sort un peu du carcan que la common law imposait jusqu’à maintenant », analyse Me Beaudet-Centomo.
« [On va leur dire] : Bon, donnons les clés de cette autonomie gouvernementale aux populations autochtones et permettons-leur de mettre en œuvre ce qu’ils considèrent important pour le partage de leur culture et de leurs traditions », poursuit l’avocate.
Elle relève de plus les différences notables entre le traitement des droits des peuples autochtones au Canada et en Afrique du Sud. Si le droit canadien a créé « un type de droit distinct » à même la common law, l’Afrique du Sud a plutôt opté pour la « reconnaissance directe du droit coutumier et la création d’institutions où les acteurs représentant ces traditions coutumières peuvent être les décideurs des litiges qui concernent ce type de droit. »
Me Beaudet-Centomo écrit : « Les droits ancestraux, qualifiés de sui generis par la Cour suprême, sont l’œuvre du système judiciaire canadien, fondés sur une adaptation "à la sauce autochtone" de la common law "traditionnelle", notamment en ce qui concerne la preuve, mais qui ne déroge pas fondamentalement de l’ethnocentrisme juridique de notre système. »
Or, il en va autrement du processus qui a mené l’Afrique du Sud à reconnaître les droits ancestraux aux peuples autochtones sur son territoire, qui composent environ 1 % de la population du pays. « Le gouvernement sud-africain a plutôt tenté de reconnaitre un système partiellement distinct qui permet aux communautés autochtones du pays de se gouverner selon leur propre droit coutumier », écrit la juriste.
D’où l’importance, pour elle, de la récente décision de la Cour suprême concernant C-92. Un arrêt qui pourrait faire des petits, avance-t-elle.
ABC National relatait, il y a plus d’un an, les efforts des communautés Anishinaabeg du Manitoba pour se doter d’un système de justice chargé de traiter les infractions sommaires commises sur leur territoire.
« Nous travaillons actuellement à écrire notre propre constitution et toutes nos lois, qu’il s’agisse d’éducation, de santé ou de protection de la jeunesse. Nous espérons avoir notre propre gouvernement dans les prochaines années », indiquait alors en entrevue Chantell Barker, responsable de la mise en œuvre du nouveau système de justice.
« C-92 est vraiment, pour le gouvernement fédéral, un premier pas dans sa réponse à la Commission Vérité et Réconciliation, sa réponse à la promesse de la Déclaration des Nations-Unies sur les droits des peuples autochtones. […] Pour moi, c’est vraiment l’annonce d’un premier pas vers l’implantation de ces grandes idées dans davantage de lois », prédit Me Beaudet-Centomo.
Pour elle, c’est une preuve de ce que « le législatif peut faire sans être nécessairement poussé par le [pouvoir] judiciaire, parce qu’on sait que beaucoup des avancements des droits des autochtones au Canada ont été reconnus par la voie judiciaire. »
Quelques 50 communautés seraient actuellement en train de se préparer à rapatrier les pouvoirs en matière de protection de l’enfance, dont neuf au Québec comme le rapportait Radio-Canada en février.
« Il y a environ 7 % des enfants au Canada qui sont autochtones. Cinquante-quatre pourcent des enfants qui sont placés en famille d’accueil privées sont autochtones. […] C’est choquant », conclut Chloé Beaudet-Centomo.