Le nouveau traité de l’ONU contribuera-t-il à protéger la haute mer?
Tout dépendra de son application, mais les 193 pays signataires semblent prendre la protection de la biodiversité au sérieux.
Susanna Fuller était à New York à titre d’observatrice pour l’organisme High Seas Alliance et se rappelle avec enthousiasme le moment où Rena Lee, ambassadrice de Singapour pour les océans et le droit de la mer, a annoncé que les délégués étaient finalement parvenus à un accord pour la protection de la haute mer.
« Ce n’est pas souvent que le monde s’unit pour faire quelque chose de bon pour la planète », déclare Mme Fuller, vice-présidente, Exploitation et projets, à Océans Nord. « Être dans cette pièce ce jour-là valait toutes les années de travail qui y avaient été consacrées. »
Car il a fallu des années, en effet. Depuis 2004, Mme Fuller assistait à presque toutes les réunions et conférences des groupes de travail informels de la Conférence intergouvernementale sur la biodiversité marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale. Aujourd’hui, après un marathon de négociations qui sont finalement « arrivées à bon port » (communiqué de presse en anglais seulement) tard dans la soirée du 4 mars, le monde dispose d’un nouvel instrument juridique axé sur la conservation de la haute mer : le Traité sur la haute mer des Nations Unies. Ses dispositions visent à protéger une zone supérieure à la moitié de la surface de la planète et aux deux tiers des océans.
Selon ses partisans, ce traité pourrait changer la donne pour la biodiversité des océans.
Il offre un cadre juridique pour créer des aires marines protégées au-delà des limites des juridictions nationales. Un nouvel organisme chargé de ce cadre, la Conférence des Parties (COP), établira ces aires protégées avec la contribution des États membres.
« C’est une chose qu’on ne pouvait pas faire auparavant. On ne pouvait mettre en place que des mesures sectorielles », déclare Mme Fuller, qui précise que le traité concorde avec l’objectif du Cadre mondial de la biodiversité de Kunming à Montréal de protéger 30 % des zones terrestres, des eaux intérieures et des zones côtières et marines d’ici 2030.
« C’est donc un énorme gain. Je ne vois pas comment on aurait pu atteindre nos objectifs sans protéger des aires en haute mer. »
Le traité établit également un cadre pour évaluer l’impact sur la biodiversité marine de certaines activités menées en haute mer, comme la géo-ingénierie, l’aquaculture et l’exploitation minière.
Il prévoit, enfin, l’obligation pour les États développés de partager leurs connaissances et leurs technologies avec les États en développement, ainsi que le partage de la jouissance des ressources génétiques marines.
Le traité s’appuie sur l’héritage de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM), adoptée en 1982. Étant donné les développements considérables qu’ont connus la science, la technologie et le droit international de l’environnement depuis cette date, le Traité sur la haute mer comble d’importantes lacunes en matière de gouvernance, explique Cameron Jefferies, professeur agrégé de droit à l’Université de l’Alberta. Ce traité fait également progresser le droit des océans comme seule peut le faire la conclusion d’un nouveau traité.
Les thèmes de l’utilisation durable, de la répartition équitable et de la gestion par zone reçoivent une considération qui n’était pas possible sous le régime actuel, affirme le professeur. La CNUDM a conceptualisé la haute mer en termes de ressources, accordant une certaine liberté dans l’utilisation des ressources biologiques de la mer, tandis que l’Autorité internationale des fonds marins se concentre sur les ressources non biologiques. En somme, ce sont des instruments axés sur l’exploitation.
« La haute mer n’a tout simplement pas été conceptualisée en fonction de sa biodiversité et de sa diversité génétique, déclare M. Jefferies. C’est la lacune que le nouveau traité vient remplir. C’est un progrès impressionnant. »
À bien des égards, ce traité transpose à l’environnement océanique les solutions que la Convention sur la diversité biologique apportait au contexte terrestre, ajoute-t-il.
« Ce traité accorde véritablement la priorité à la conservation », déclare Stephanie Hewson, avocate pour le programme maritime de l’organisation West Coast Environmental Law. « Est-il parfait? Non. Mais la plupart des textes juridiques sont imparfaits. »
Quelle est la prochaine étape? Des juristes vont passer au crible le texte du traité, qui sera ensuite traduit dans les six langues officielles de l’ONU, afin que les différentes parties puissent l’adopter. Il sera alors ouvert à la ratification. De leur côté, les pays signataires devront examiner leurs lois pour s’assurer qu’elles concordent avec le traité – un processus qui peut prendre jusqu’à dix-huit mois.
Comme le traité couvre des zones situées au-delà des limites de la juridiction nationale, Me Hewson ne prévoit pas de problème important au Canada.
« Je pense que le cadre juridique du Canada est déjà en accord avec le traité », dit-elle.
Pour finir, le traité sera déposé devant le Parlement et ratifié par un décret. Soixante pays doivent le ratifier pour qu’il entre en vigueur.
« Nous espérons que le Canada sera l’un des premiers pays à le ratifier […] et qu’il procédera rapidement, car nous sommes l’un des rares pays à être bordé par trois océans », dit Mme Fuller.
Elle souhaite également que le gouvernement agisse rapidement pour délimiter les aires protégées. Cela accélérerait la mise en place de protections similaires à celles prévues pour les eaux canadiennes par la Loi sur les océans et la Loi sur l’évaluation d’impact. « Le Canada devrait vraiment être en première ligne à défendre ce projet. »
L’organisme High Seas Alliance espère que les membres de l’ONU présents à l’Assemblée générale de septembre s’engageront à le ratifier avant la Conférence des Nations Unies sur les océans de 2025 et qu’ils le feront entrer en vigueur, souligne Mme Fuller.
Cela dit, les traités ratifiés doivent ensuite être appliqués. Ce qui n’est pas simple en haute mer, un espace ouvert souvent comparé au Far West. De nombreux instruments régissent déjà les activités marines et maritimes, comme la CNUDM, l’Autorité internationale des fonds marins (exploitation minière), l’Organisation maritime internationale (transport maritime et navigation) et l’Accord des Nations Unies sur les stocks de poissons (ressources biologiques). Le problème n’est pas tant un manque de gouvernance qu’un manque d’application.
« Plus on s’éloigne du rivage et plus il devient difficile de surveiller les activités et de faire respecter les règles qui ont été adoptées », explique le professeur Jefferies.
En matière de contrôle des mers, la voie privilégiée est de laisser les États régir leurs ressortissants et les navires immatriculés battant leur pavillon. Quand des aires sont désignées comme protégées et que des activités y sont interdites, on compte sur les États pour surveiller la conformité avec sérieux et constance, grâce à la télédétection, aux satellites ou aux patrouilles. Les États peuvent notamment mettre les navires fautifs sur une liste noire.
Le contrôle est devenu assez bon dans certaines parties de la haute mer, comme l’Atlantique Nord, affirme Mme Fuller. Ce sont surtout les pays développés qui y pêchent, et la majorité des navires sont suivis grâce au système d’identification automatique. Elle cite l’exemple de Global Fishing Watch, une organisation qui utilise des satellites pour suivre l’activité océanique et a un impact réel.
Quand les navires ne sont pas réglementés et battent le pavillon d’un autre État ou ne font pas partie du système d’identification automatique, c’est une autre paire de manches.
Mme Fuller concède que le Traité sur la haute mer n’empêchera pas complètement la pêche illégale. Mais dans les zones qui relèveront des organismes régionaux de gestion des pêches, formés par les États qui auront ratifié le traité, « on saura qu’on s’attend à ce que les choses s’améliorent ».
L’avocate ne se fait pas d’illusions sur le travail qu’il reste à abattre, mais au moins, maintenant, ce travail devient possible. Défiant la géopolitique, 193 pays se sont réunis et se sont mis d’accord sur le texte que nous avons aujourd’hui.
« Le multilatéralisme est compliqué de nos jours, rappelle-t-elle. Et donc ce traité, comme l’avait fait avant lui le cadre mondial de la biodiversité adopté à Montréal, prouve que les pays prennent au sérieux la protection de la biodiversité. »
« Ce projet aurait pu s’effondrer à de nombreux moments, et ce n’est pas arrivé. Est-ce un espoir? Je ne sais pas. Mais c’est certainement une affirmation de l’importance de nos océans et de notre devoir de faire mieux. »