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Justice retardée pour des demandeurs d’asile

La décision de la CSC concernant l’Entente sur les tiers pays sûrs soulève des préoccupations quant à l’accès à la justice pour les demandeurs d’asile.

Asylum seekers

La récente décision de la Cour suprême du Canada de faire respecter l’Entente sur les tiers pays sûrs a semé le doute quant à la possibilité de fournir des recours utiles aux demandeurs d’asile renvoyés aux États-Unis.

« Cela devient une question d’accès à la justice », déclare Mario Bellissimo, avocat en immigration de Toronto, en réaction à la décision de la semaine dernière selon laquelle l’Entente sur les tiers pays sûrs entre le Canada et les États-Unis ne viole pas les droits des demandeurs d’asile énoncés à l’article 7. Il craint la possibilité que l’affaire traîne encore pendant des années, car elle a été renvoyée à la Cour fédérale pour analyse d’une revendication concernant les droits à l’égalité fondée sur l’article 15.

L’évolution du litige s’avère effectivement tortueuse, et de plus en plus détachée de la réalité sur le terrain. En 2020, la Cour fédérale s’est prononcée en faveur de groupes de défense des droits, à savoir le Conseil canadien pour les réfugiés, Amnistie internationale et le Conseil canadien des églises. Elle a déterminé que l’application de l’Entente sur les tiers pays sûrs porte atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité des personnes en vertu de l’article 7 de la Charte, du fait des pratiques de détention sévères observées aux États-Unis. Toutefois, le tribunal n’a pas abordé l’autre revendication fondée sur l’article 15, qui mettait en évidence l’insuffisance de la protection offerte aux femmes craignant la persécution fondée sur le sexe, y compris la violence domestique ou sexuelle, dans le système de revendication du statut de réfugié des États-Unis.

L’Entente sur les tiers pays sûrs, en vigueur depuis 2004, énumère les facteurs que le gouvernement doit prendre en considération pour désigner un pays comme étant sûr pour des réfugiés. Il impose également un processus d’examen pour veiller au respect continu de ces conditions.

Puis, en 2021, la Cour d’appel fédérale a infirmé cette décision lorsqu’elle a accueilli l’appel du gouvernement canadien, principalement sous le prétexte que les demandeurs d’asile avaient ciblé à tort le règlement désignant les États-Unis comme un pays sûr plutôt que la conduite administrative du gouvernement relativement au maintien de cette désignation.

En fin de compte, la Cour suprême a convenu qu’une analyse de l’article 159.3 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés porte sur des questions entourant l’article 7, mais elle a aussi conclu que l’Entente sur les tiers pays sûrs contient des soupapes de sécurité selon lesquelles « les demandeurs d’asile peuvent être à l’abri d’un renvoi ». Il est possible, a reconnu la Cour, que les décideurs administratifs n’appliquent pas toujours ces mesures de sécurité de façon appropriée. Toutefois, elle a conclu que les demandeurs peuvent toujours solliciter une réparation fondée sur la Charte sur une base individuelle.

Notant les préoccupations soulevées par des intervenants au sujet d’un modèle perçu où des tribunaux ignorent les revendications de l’article 15 dans des contestations reposant sur de multiples droits protégés par la Charte, le juge Nicholas Kasirer a confirmé que « les demandes fondées sur l’article 15 ne sont pas des questions secondaires devant être tranchées une fois toutes les autres questions examinées » et qu’il n’y a pas une « hiérarchie des droits dans laquelle l’article 15 occupe un rang inférieur ».

« Ce serait bien d’obtenir une décision sur l’article 15, affirme Me Bellissimo au sujet de l’affaire qui revient à la Cour fédérale, mais, pour ce faire, il faudra encore monter dans l’échelle des litiges, ce qui ne constitue pas une solution pratique pour les demandeurs dont la vie est en jeu. »

Le juge Kasirer reconnaît ce raisonnement aussi bien que ses motifs. « Je ne reprocherais pas à la juge de la Cour fédérale d’avoir fait preuve de retenue judiciaire et de ne pas avoir statué sur le recours fondé sur l’article 15 », écrit-il, reconnaissant une certaine valeur au fait d’éviter « toute déclaration inutile sur un point de droit constitutionnel ». Quand bien même, cette retenue doit être mise « en balance avec d’autres facteurs, comme la possibilité d’interjeter appel et l’équité envers les parties ».

Plus étrange encore, l’Entente sur les tiers pays sûrs contenait initialement une brèche qui permettait aux réfugiés de faire des demandes d’asile à des points d’entrée non officiels. En mars 2023, un accord conclu entre le Canada et les États-Unis a prolongé l’entente tout le long de la frontière. La décision de la Cour suprême sur l’Entente sur les tiers pays sûrs vient donc à un moment où la réalité sur le terrain est très différente que lorsque l’affaire a été lancée en 2017, croit Me Bellissimo. « Lorsque la question parvient au grand public, je doute que ce soit bien vu », dit-il en évoquant la façon dont la cause a une incidence sur les perceptions à l’égard de l’accord.

Malgré tout, Me Bellissimo s’assure de mettre l’accent sur certains aspects positifs de la décision du plus haut tribunal. L’un des plus importants est la reconnaissance qu’il ne devrait pas y avoir une classification hiérarchique des droits. « C’est une immense avancée », croit-il.

Deuxièmement, reconnaissant que les décideurs administratifs peuvent ne pas toujours appliquer correctement les garanties nécessaires, il suggère un changement potentiel dans la perspective de la Cour concernant l’efficacité des mesures préventives pour les demandeurs d’asile.

Enfin, il y a des exceptions à l’application de l’Entente sur les tiers pays sûrs. Par exemple, si un membre de la famille du demandeur du statut de réfugié est au Canada ou si le demandeur est un enfant de moins de 18 ans sans ses parents ou son tuteur légal. Maintenant que le tribunal a affirmé l’importance des droits à l’égalité comme les autres droits de la Charte, Me Bellissimo exprime son espoir que le gouvernement envisage d’élargir l’exemption pour inclure les personnes qui craignent la persécution fondée sur le genre.

Cependant, cela prendra probablement du temps et se transformera alors en une question politique impliquant des discussions délicates avec l’administration américaine, déclare-t-il. « Ces exemptions peuvent être négociées pendant des années et des années ».