Sortir de l’impasse démocratique
Les assemblées de citoyennes sont de plus en plus utilisées pour l'élaboration de politiques, mais il faut être réaliste quant à leur potentiel.
Voilà où en est l’activité politique partisane dans le monde développé en 2023 : soupçonner que ce que nous faisons ne fonctionne pas constitue pratiquement la seule chose sur laquelle s’entendent les gens.
À une ère où des menaces, comme les changements climatiques et l’IA effrénée, testent les limites de la capacité d’une personne moyenne à se projeter dans l’avenir, les régimes politiques représentatifs sont déviés par des guerres culturelles et des bagarres ad hominem. De plus, quiconque passe l’après-midi devant les loufoqueries du Parlement sait que ce problème ne concerne pas que les États-Unis. En effet, il est impossible de rejeter la responsabilité de l’état de la période des questions sur Make America Great Again (MAGA).
Que devrions-nous faire alors que les problèmes auxquels nous sommes confrontés semblent submerger les systèmes démocratiques destinés à s’en occuper? Le Canada a été adopté de manièreun adopteur précoce ledu modèle de l’assemblée citoyenne; réunir des personnes ordinaires choisies [plus ou moins] au hasard dans une salle avec des spécialistes et les charger de trouver des réponses politiques à d’importantes questions.
Lancée en 2020, la Commission canadienne sur l’expression démocratique a eu recours à des assemblées citoyennes pour ébaucher des recommandations concernant la lutte contre la désinformation, l’abus et l’exploitation en ligne. Elle a publié son rapport final vers la fin de l’année dernière. En avril, les membres de l’Assemblée législative du Yukon ont voté pour l’organisation d’une assemblée citoyenne afin d’étudier la réforme électorale.
Ces efforts faisaient suite à des tentatives effectuées en Ontario et en Colombie-Britannique d’utiliser de telles assemblées pour suggérer des solutions de rechange au système majoritaire uninominal à un tour (SMU), mieux connu sous le nom de « scrutin majoritaire ». Les gouvernements provinciaux ont choisi de soumettre ces propositions de réforme à des scrutins référendaires, menant par deux fois à un échec.
Les personnes qui défendent les assemblées citoyennes voient les expériences de la Colombie-Britannique et de l’Ontario comme des mises en garde. En effet, elles disent que des assemblées de ce type peuvent uniquement accomplir leur travail si elles sont mises en place de bonne foi par des gouvernements prêts à suivre leurs recommandations.
« Elles peuvent constituer des échecs lorsqu’elles sont perçues comme des ajouts, des éléments à ignorer si les résultats ne conviennent pas au gouvernement, a déclaré Catherine McKenna, ancienne ministre fédérale de l’Environnement. Elles ne peuvent supplanter le travail du Parlement, mais il devrait y avoir une façon de les intégrer au processus. »
Pour fonctionner, les assemblées citoyennes doivent être bien isolées des gouvernements et de leurs intérêts en place. Les personnes membres sont choisies par tirage au sort (sélection au hasard), généralement selon des lignes directrices pour assurer l’équilibre des genres ou des régions. Les processus de tirage au sort pour les assemblées sur la réforme électorale de la Colombie-Britannique et de l’Ontario contrôlaient la géographie, en assurant la sélection d’un certain nombre de membres de chaque circonscription.
Dans un article paru en 2012, Michael Pal, de la faculté de droit de l’Université d’Ottawa, a affirmé que, pour les assemblées de la Colombie-Britannique et de l’Ontario, le tirage au sort filtré selon la géographie a mené à la sélection de membres ayant le sentiment de représenter leur région. Cette perception, a-t-il dit, a dissuadé ces personnes d’envisager des options de réforme électorale qui élimineraient les circonscriptions.
Jonathan Rose, chef du département d’études politiques de l’Université Queen’s et ancien directeur des programmes d’éducation de l’Assemblée citoyenne sur la réforme électorale de l’Ontario, a déclaré avoir observé cette dynamique lors des délibérations de l’organisation.
« Au début, des personnes membres originaires du nord de l’Ontario ont mentionné vouloir une sorte de caucus du nord, a-t-il expliqué.
J’ai déployé beaucoup d’efforts pour les convaincre qu’elles n’étaient pas là pour défendre les intérêts des gens d’une région, d’un genre ou d’un statut socio-économique précis, et qu’elles devaient penser comme des jurées. Comme la géographie est, de toute façon, intégrée aux systèmes électoraux, son introduction dans le processus des assemblées citoyennes peut constituer un problème. »
Le référendum qui a suivi les assemblées de l’Ontario et de la Colombie-Britannique a fourni aux gouvernements provinciaux un moyen supplémentaire de faire pencher la balance. Les deux gouvernements ont imposé des seuils de majorité qualifiée de 60 % pour l’approbation.
Lors du référendum de la Colombie-Britannique de 2005, la réforme a été appuyée à environ 58 %; sans la majorité qualifiée, la proposition de réforme aurait été acceptée. (Lors du second référendum de la Colombie-Britannique, qui a eu lieu en 2009, et du référendum de l’Ontario de 2007, la réforme a été appuyée à 39 % et à 37 %, respectivement.)
« Le seuil de majorité qualifiée de 60 % du référendum de la Colombie-Britannique a joué un rôle déterminant : il était presque impossible à atteindre, a indiqué Réal Lavergne, un défenseur de la réforme électorale d’Ottawa. Et cette recommandation se serait vraiment révélée historique. »
« Les assemblées sur la réforme électorale n’ont pas nécessairement échouées », a expliqué Peter MacLeod, co-fondateur et directeur de MASS LBP, une entreprise menant des assemblées citoyennes.
« Lors du référendum de la Colombie-Britannique (en 2005), l’appui obtenu a atteint 57,7 %. À quelle fréquence des gouvernements sont-ils élus au pays avec 57,7 % d’appui? »
Les critiques accusent également les gouvernements de la Colombie-Britannique et de l’Ontario d’avoir soumis les propositions de réforme des assemblées aux électrices et aux électeurs sans fournir les explications appropriées. « Lors du premier référendum de la Colombie-Britannique, a écrit Me Pal, il n’y avait aucun financement gouvernemental pour les campagnes du “oui” et du “non”, et il y avait peu de soutien pour rendre publiques les délibérations de l’assemblée, mis à part un envoi postal de ses propositions à chaque ménage six mois avant la date du vote. »
« Aucun effort n’a été déployé pour expliquer le processus et les conclusions auxquelles il a mené aux électrices et aux électeurs du référendum, ce qui a nui à l’ensemble de l’initiative, a précisé M. Rose. Certaines personnes diraient qu’elles (les assemblées sur la réforme électorale) étaient vouées à l’échec. »
M. Lavergne a également mentionné que les gouvernements devraient aussi éviter d’attribuer aux assemblées citoyennes des mandats trop élargis ou mal définis. En réponse aux protestations des gilets jaunes qui ont paralysé la France en 2018, le président Emmanuel Macron a mis en œuvre une convention citoyenne pour le climat (CCC). Certaines des recommandations de la CCC ont été intégrées à la législation (comme l’interdiction relative aux vols intérieurs), mais des centaines d’autres n’ont jamais été adoptées.
« Les assemblées citoyennes ont tendance à être audacieuses. Pourquoi ne le seraient-elles pas? Leurs membres n’ont aucune carrière politique à protéger, a précisé M. Lavergne. »
« Il importe toutefois que leurs recommandations soient réalistes et pratiques. Cela peut se concrétiser à travers un mandat plus précis et des discussions avec les partis politiques pour cerner les possibilités. De plus, il serait utile que les assemblées citoyennes définissent certaines mesures à court terme pouvant être adoptées immédiatement. »
Cependant, malgré la multitude de façons dont les efforts de ces assemblées peuvent être annulés par la politique, les personnes qui les défendent disent qu’elles peuvent résoudre les impasses politiques et mener à des compromis que les dirigeantes et les dirigeants élus ont du mal à trouver. En 2017, une assemblée citoyenne en Irlande a recommandé de mettre un terme à l’interdiction constitutionnelle de l’avortement. Cette recommandation est maintenant loi.
« L’opinion publique peut changer plus rapidement que les idéologies des partis. Ces derniers ont tendance à être des ateliers fermés; pour se présenter comme candidate ou candidat, il faut adhérer à leurs convictions et politiques, a souligné M. MacLeod. Les assemblées citoyennes permettent aux gouvernements de découvrir comment l’opinion publique change dans un espace sûr où ils peuvent s’ouvrir à de nouvelles idées. Ces assemblées autorisent les gouvernements à apporter des changements qui seraient autrement perçus comme inquiétants. »
Pour les politiciennes et les politiciens devant résoudre des questions complexes, les votes sont utiles jusqu’à un certain point. Ils permettent de connaître l’opinion actuelle et individuelle des membres de la population, sans interaction avec leurs pairs (ou avec les autorités ou la science). Les assemblées citoyennes peuvent indiquer aux dirigeantes et dirigeants politiques vers quelle direction penchera l’opinion publique dans les bonnes circonstances.
Les membres des assemblées argumentent ensemble, se heurtent à la recherche, interrogent les spécialistes et luttent pour arriver à un consensus. Dans le cadre de ce processus, il est nécessaire d’abandonner des idées préconçues et des dogmes (ce qui peut susciter une grande réticence chez les politiciennes et les politiciens en fonction).
« Les gens évoluent en devenant membres de ces assemblées, a ajouté M. Rose. Cela dissipe la négativité et leur permet de comprendre les compromis constants nécessaires en politique. De plus, ces personnes génèrent des dividendes démocratiques, car il s’agit d’une expérience tellement extraordinaire que bon nombre d’entre elles en incitent d’autres à participer. »
Les assemblées citoyennes peuvent aussi avoir un effet civilisateur sur le monde politique. Il est beaucoup plus ardu pour les dirigeantes et les dirigeants de diaboliser les idées des autres lorsqu’elles proviennent d’une personne âgée retraitée de Port Alberni.
« Et, lorsque des politiciennes et des politiciens se trouvent manifestement dans un conflit d’intérêts (comme pour les réformes électorales), les assemblées citoyennes peuvent réfuter les excuses des dirigeantes et dirigeants avant que ces personnes y aient recours, a expliqué M. Lavergne.
Après être revenu sur son processus de réforme électorale [le premier ministre Justin] Trudeau a affirmé qu’il n’y avait aucun consensus pour aller de l’avant. Si une assemblée citoyenne avait émis des recommandations, il n’aurait pas été en mesure de déclarer cela. »