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Le futur de l’autonomie gouvernementale autochtone

Le futur de l’autonomie gouvernementale autochtone

SCC with Indigenous drum in background

Ce mois-ci, les experts se réuniront à Ottawa pour une conférence de l’ABC qui traitera de la situation de l’autonomie gouvernementale autochtone au Canada. Ils auront beaucoup de pain sur la planche, des mécanismes de négociation des traités aux rouages fiscaux de l’autonomie gouvernementale.

On leur demandera également de faire le point sur les progrès de l’autonomie gouvernementale jusqu’à présent et la situation dans laquelle elle pourra se retrouver dans cinq à dix ans.

Sur ce point, la conférence ne pouvait pas mieux tomber, vu que les praticiens du droit autochtone affirment que l’avenir immédiat de l’autonomie gouvernementale au Canada dépendra en grande partie de ce que la Cour suprême fera du projet de loi C-92 cette année.

Le projet de loi C-92 (la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis) représente un tournant dans l’approche d’Ottawa en matière d’autonomie gouvernementale. Au lieu de longues négociations tripartites avec les provinces et les communautés autochtones, le projet de loi C-92 va droit au but en affirmant le droit inhérent des peuples autochtones à l’autonomie gouvernementale et en déclarant que ce droit s’étend aux services à l’enfance et à la famille (SEF). La Loi fixe des normes minimales en matière de prestation des SEF, normes qui mettent l’accent à la fois sur l’intérêt de l’enfant et sur la « continuité culturelle ».

Ce projet tranche aussi le nœud gordien de la compétence en donnant aux lois relatives aux SFF des communautés autochtones force de loi, à titre de loi fédérale, tant qu’elles concluent des accords de coordination avec les gouvernements fédéral et provinciaux (ou tentent de le faire pendant une période d’un an). Plus de 20 communautés autochtones ont cherché à conclure des accords de coordination depuis l’entrée en vigueur du projet de loi C-92. Six communautés autochtones ont adopté leurs propres lois sur les SFF, dont une au Québec.

C’est le Québec qui a déposé le recours constitutionnel qui a porté le projet de loi C-92 devant la Cour suprême. « Selon le Québec, la reconnaissance du droit à l’autonomie gouvernementale doit découler d’une modification de la constitution, d’une convention tripartite négociée ou d’une décision de justice reconnaissant ce droit au cas par cas », explique Katie Tucker, avocate en droit autochtone chez Pape Salter Teillet LLP.

« Le Québec conteste donc la stratégie du gouvernement fédéral consistant à reconnaître et à affirmer par voie législative le droit inhérent de tous les peuples autochtones à l’autonomie gouvernementale.

« En effet le gouvernement fédéral dit que “Non, le droit à l’autonomie gouvernementale est inhérent et est déjà protégé par l’article 35… nous l’adoptons avec cette Loi.” Cette reconnaissance législative reflète une certaine impatience à l’égard de la vieille façon de faire les choses et une réponse tardive aux appels à l’action pour résoudre la crise de la protection de la jeunesse autochtone dans ce pays. »

Il y a un an, la Cour d’appel du Québec a statué que le projet de loi C-92 relevait de la compétence fédérale et que le droit des peuples autochtones à l’autonomie gouvernementale en matière de SFF était protégé par l’article 35 de la Loi constitutionnelle. Elle a également conclu qu’Ottawa ne pouvait pas étendre le pouvoir de la loi fédérale pour couvrir les lois sur les SFF relatives aux peuples autochtones et, qu’en effet, ces lois ne prévaudraient pas automatiquement sur les dispositions provinciales incompatibles.

« J’agis en faveur des partis autochtones et j’ai trouvé les arguments du Québec très rétrogrades », dit Nicholas Dodd de Dionne Schulze à Montréal.

« C’est pourquoi j’ai ressenti une certaine satisfaction réservée à l’égard de la décision de la Cour d’appel, qui – à la suite de la déclaration du Québec qui demandait que la Cour juge la loi inconstitutionnelle, mais qui ne voulait pas qu’elle se prononce sur l’existence du droit inhérent à l’autonomie gouvernementale - est allée de l’avant et a déclaré que le droit à l’autonomie gouvernementale existe et qu’il est inhérent. »

Cette affaire place le projet d’autonomie gouvernementale à la croisée des chemins. Si la CSC adopte tous les aspects du projet de loi C-92 cette année - affirmant le droit inhérent, étendant la protection de la loi fédérale - alors d’autres lois affirmant le droit inhérent dans d’autres domaines politiques pourraient suivre. Si la Cour s’écarte de ce que représente le projet de loi C-92, la capacité du gouvernement fédéral à poursuivre ce que l’universitaire Naiomi Metallic appelle une approche de « réconciliation législative » des droits existant au sens de l’article 35 sera mise en péril.

« Nous disposons de trois mécanismes pour mettre en place des accords d’autonomie gouvernementale dans ce pays : le litige, les mesures législatives et la négociation », explique Me Metallic de la faculté de droit Schulich de l’Université Dalhousie. « C’est tout. Les négociations ont lieu, mais elles sont lentes comme de la mélasse. Les litiges se sont révélés extrêmement inefficaces. Le projet de loi C-92 représente alors la troisième et dernière voie. »

Selon la professeure Metallic, les mesures de réconciliation par voie législative comme le projet de loi C-92 diffèrent des lois de « dévolution » - lois qui, comme la Loi sur les Indiens, accordent des pouvoirs à d’autres ordres de gouvernement - en ce sens qu’elles traitent d’un droit préexistant qui n’est pas un don du gouvernement.

« L’étendue de la compétence déléguée et toutes ses limites découlent de la décision du gouvernement transférant la compétence, sans que les groupes autochtones ne puissent exercer de recours », a-t-elle écrit dans un article récent.

« En revanche, les contraintes apportées à la compétence inhérente, en tant que droit constitutionnel protégé, doivent être justifiées par le gouvernement, sous peine d’être jugées inconstitutionnelles. »

Me Dodd prédit que la CSC « reculera » et que, tout en préservant les effets du projet de loi C-92, elle réinterprétera la loi comme tirant son autorité du gouvernement fédéral, et non du droit inhérent à l’autonomie gouvernementale.

« Les chances que la CSC rejette immédiatement et complètement la Loi sont extrêmement faibles, déclare-t-il. Mais je pense qu’elle l’interprétera d’une manière qui ne plaira pas aux groupes autochtones. Je peux imaginer la Cour conclure que si la loi est constitutionnelle, elle devrait être considérée comme une autorité déléguée, dévolue, et non comme un droit inhérent. »

Me Metallic admet que la CSC pourrait choisir de lire le projet de loi C-92 comme une loi de dévolution. « La Cour pourrait dire que le droit n’est pas inhérent, dit-elle. Ceci susciterait de l’indignation et d’autres procès. Il ne s’agit pas d’un droit auquel les peuples autochtones de ce pays ont renoncé. »

La cour pourrait également s’abstenir de se prononcer sur la question du droit inhérent, ajoute-t-elle. « Dans l’affaire Pamajewon, la CSC a déclaré qu’elle n’allait pas dire oui ou non au droit inhérent à l’autonomie gouvernementale prévu à l’article 35, dit-elle. Mais les tribunaux inférieurs l’ont envisagé. La CSC a essayé d’éviter la question, mais en vain. Elle pourrait cependant l’éluder à nouveau, en refusant simplement de répondre par oui ou par non. »

« Mais à ce stade de notre histoire, ajoute-t-elle, la Cour ne devrait-elle pas trouver le courage de faire cette déclaration? Le Congrès américain a adopté plus de 40 lois “tenant compte des droits inhérents des tribus américaines” depuis la fin des années 1960 », rappelle-t-elle.

« Le ciel ne nous tombera pas sur la tête simplement parce que l’autonomie est un droit inhérent. »

La CSC n’agit pas dans un vide, affirme Me Tucker. La protection de l’enfance autochtone est en crise. Les enfants autochtones représentent moins de 8 % de la population totale du Canada, mais plus de 53 % des enfants placés en famille d’accueil.

Le droit à l’autonomie gouvernementale a déjà été affirmé dans des traités et des accords, des rapports de commissions, des politiques fédérales, des lois provinciales, des lois internationales contraignantes et des décisions de tribunaux inférieurs. Ottawa a élaboré le projet de loi C-92 en collaboration avec les peuples autochtones, ce que la Cour suprême devrait garder à l’esprit, selon Me Tucker.

« Le Canada est aux prises avec le douloureux héritage des pensionnats et les effets catastrophiques des politiques assimilationnistes sanctionnées par l’État, déclare-t-elle. À la lumière de cette histoire en particulier, le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale sur leurs enfants et leurs familles devrait être l’autorité juridictionnelle autochtone la moins litigieuse. »