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Diffusion en continu : une seule redevance

La Cour suprême du Canada s’est prononcée : les auteurs ne peuvent pas toucher une redevance à part pour des œuvres diffusées en continu ou téléchargées en ligne.

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La Cour suprême du Canada, dans une décision unanime, a jugé que la Commission du droit d’auteur du Canada avait erré en concluant que deux redevances devaient être versées pour les diffusions en continu d’œuvres musicales, lesquelles ne sont assujetties lorsqu’elles sont hors ligne qu’à une seule redevance. Toutefois, cette unanimité n’a pas survécu à la question de la norme de contrôle s’appliquant à ce type d’affaires : dans des motifs concordants, deux juges ont critiqué la majorité pour son invention d’une nouvelle catégorie de contrôle selon la norme de la décision correcte seulement trois ans après l’arrêt Vavilov.

La Commission du droit d’auteur avait interprété le paragraphe 2.4 (1.1) de la Loi sur le droit d’auteur dans le sens où il obligeait les utilisateurs à payer une redevance lorsque l’œuvre est mise à la disposition du public et une seconde redevance lorsqu’elle est téléchargée ou diffusée en continu. Elle estimait que cette interprétation était la seule qui honorait les obligations du Canada aux termes de l’article 8 du Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur de 1996.

Ce traité oblige les pays signataires à accorder aux auteurs le droit exclusif de contrôler la mise à la disposition du public de leurs œuvres. La Cour d’appel fédérale a rejeté cette interprétation, et la Cour suprême du Canada s’est prononcée dans le même sens.

S’exprimant pour la majorité, le juge Malcolm Rowe s’est dit en désaccord avec l’interprétation de la Commission, estimant plutôt que la Loi n’existe pas exclusivement au profit des auteurs. Son objectif général est de mettre en équilibre les droits des auteurs et ceux des utilisateurs. Le juge Rowe s’est également opposé à l’interprétation de l’article 8.

« L’interprétation de la Commission, écrit-il, s’écarte du principe de la neutralité technologique. Elle exige que les utilisateurs versent des redevances additionnelles pour accéder à des œuvres en ligne. Exiger que les utilisateurs paient des redevances additionnelles en fonction du mode de circulation de l’œuvre viole le principe de la neutralité technologique et rompt l’équilibre entre les droits des utilisateurs et ceux des auteurs qui sous‑tend la Loi sur le droit dauteur depuis des décennies, faisant nettement pencher la balance en faveur des auteurs. »

Daniel Glover, associé chez McCarthy Tétrault à Toronto, qui a défendu Music Canada en cour, estime que cette décision a de quoi plaire à de nombreuses parties prenantes.

« Pour les titulaires de droits, explique Me Glover, la décision confirme que tous les droits de mise à la disposition du public sont uniquement protégés en ligne. Pour les utilisateurs, elle donne une légitimité à certains jugements antérieurs visant à empêcher ce qui peut s’appeler la double facturation. Dans cette affaire, la Cour a reconnu l’importance de garantir de solides droits de mise à exécution et la possibilité de les appliquer contre des utilisations non autorisées d’œuvres protégées par un droit d’auteur, et du côté de la Commission du droit d’auteur, cela aide à mieux voir qui peut revendiquer ce droit. »

Me Glover poursuit en disant que partir de la décision de la Commission pour arriver à l’arrêt de la Cour suprême fut une longue odyssée. L’une et l’autre sont arrivées à peu près à la même conclusion, mais avec une différence de catégorisation.

« Même si les droits qui protègent un téléchargement et une diffusion en continu sont différents, on arrive à la même conclusion : en cas de diffusion en ligne sans l’autorisation requise, la Loi prévoit un recours pour les titulaires de droits d’auteur, explique Me Glover. La décision de la Cour d’appel fédérale laissait un flou; l’arrêt de la Cour suprême rend les choses parfaitement claires. »

Me Glover fait remarquer qu’un titulaire de droits peut perdre le contrôle de son œuvre de bien des façons sur Internet, du simple fait que l’œuvre est rendue disponible. La loi sur le droit d’auteur était peu adéquate sur ce point.

« Comment faire appliquer ce droit de mise en disponibilité en droit canadien? Telle était la question à trancher par la Commission du droit d’auteur, la Cour d’appel fédérale et la Cour suprême, rappelle Me Glover. La Commission a dit qu’il fallait passer par le droit de communication : dès qu’une œuvre est publiée en ligne pour la consommation, qu’il s’agisse de diffusion en continu, de téléchargement ou de quoi que ce soit d’autre, cela s’inscrit dans le droit de communication aux termes de la loi sur le droit d’auteur. »

La Cour d’appel fédérale n’était pas d’accord avec ce raisonnement, et le dossier s’est retrouvé à la Cour suprême.

« En gros, explique Me Glover, cette décision signifie qu’une œuvre mise en ligne pour la diffusion en continu est encadrée par le droit de communication, et que la publication par téléchargement est régie par deux autres droits : le droit de reproduction et le droit d’autorisation. L’ensemble de ces droits semble constituer un cadre exhaustif de tout acte de mise à la disposition du public. »

Même si ce n’est pas l’interprétation de la Commission du droit d’auteur, poursuit-il, le Canada en est arrivé à garantir, désormais, toutes les protections du droit d’auteur que le Traité de l’OMPI lui réclamait.

Quant à la norme de contrôle, une question ouverte est posée dans l’arrêt Vavilov en lien avec une décision antérieure, l’arrêt Rogers, où il est déclaré que les décisions de la Commission du droit d’auteur fondées sur une interprétation de la Loi sur le droit d’auteur devraient faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte. Le raisonnement découlait de l’impossibilité de déterminer à qui, de la Commission ou d’un tribunal, une violation devait être confiée, explique Me Glover.

« Vavilov ne portait pas sur cette question, mais dans cet arrêt, la majorité des juges ont déclaré la décision Rogers juste, qu’il s’agissait d’une nouvelle catégorie de contrôle selon la norme de la décision correcte d’après Vavilov et qu’ils confirmaient le bien-fondé de la conclusion de la Cour dans Rogers. »

Dans les motifs concordants, rédigés par la juge Andromache Karakatsanis, et auxquels la juge Sheilah Martin a concouru, il est écrit que la majorité dans Vavilov a choisi de ne pas reconnaître la compétence concurrente des tribunaux de première instance.

« En créant une nouvelle catégorie de questions appelant la norme de la décision correcte seulement trois ans après la mise en œuvre d’un cadre d’analyse exhaustif par les juges majoritaires de la Cour, mon collègue compromet la certitude et la prévisibilité promises dans Vavilov », écrit la juge Karakatsanis. « À mon avis, une application fidèle du cadre d’analyse établi dans Vavilov ne peut mener qu’à une seule conclusion : la norme de contrôle en l’espèce est celle de la décision raisonnable. Même d’après cette norme, la décision de la Commission du droit d’auteur du Canada ne peut être maintenue. »

Paul Daly, titulaire de la Chaire de recherche en droit administratif et en gouvernance à l’Université d’Ottawa, estime qu’il s’agissait d’un cas rare pour la Cour suprême, de reprendre la même question aussi tôt après Vavilov. « La Cour d’appel fédérale a présenté une analyse convaincante du caractère abusif de la décision de la Commission du droit d’auteur, estime-t-il. La norme de contrôle applicable à l’égard de la Commission est une question pointue, mais l’intégrer au cadre établi dans Vavilov ne se fait pas aisément. À présent, la Cour suprême a réintégré l’analyse contextuelle de la norme de contrôle, évacuée dans Vavilov. »

D’après Me Daly, les tribunaux d’instance inférieure appliquent le cadre Vavilov à la lettre et évacuent les facteurs contextuels depuis 2019. Il demeure que les avocats et les juges vont probablement y voir une invitation à se fier davantage au contexte pour étendre le domaine d’application du contrôle selon la norme de la décision correcte, domaine que l’arrêt Vavilov avait enfermé dans un cadre strict.

« Les parties ont convenu que la norme de contrôle reposait sur la décision correcte, et aucune n’a soutenu l’idée d’un contrôle selon le caractère raisonnable, souligne M. Daly. La Cour suprême aurait peut-être pu faire appel à un intervenant désintéressé pour régler ce point. »

« J’ai bien peur que la Cour, en se prononçant sur ce dossier, risque d’avoir causé des problèmes inutiles quant à la norme de contrôle, malgré le vaillant travail du juge Rowe, qui s’est efforcé de restreindre son analyse au domaine de la propriété intellectuelle, conclut-il. »