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Premiers pas d’une grande réforme

Une lente évolution des consensus en droit de la famille.

First steps

Le droit de la famille québécois aura droit à une réforme importante dans les prochains mois. Le projet de loi 2 vient tout juste d’être déposé par le ministre de la Justice du Québec Simon Jolin-Barrette, première de deux étapes d’une révision multifacette des lois qui sont au cœur des droits des personnes.

Il y avait longtemps que l’Assemblée nationale ne s’était pas penchée sur le droit familial. Plusieurs acteurs de la société civile, des juristes et des experts, tapaient du pied depuis plusieurs années pour voir le gouvernement se pencher sur la question. Les dernières modifications remontent au début des années 2000, lorsque fut établie l’union civile, qui sera accessible aussi aux conjoints de même sexe, et le changement aux règles de filiation pour encadrer la procréation assistée.

En 2013, c’est l’affaire Eric c. Lola qui fait débat. Un conjoint de fait subit-il une atteinte à son droit à l’égalité par rapport à un conjoint marié? Au Québec, le régime de l’union civile ou du mariage produit des effets différents que celui des conjoints de fait, surtout sur le plan de la pension alimentaire.

En filigrane de l’évolution du droit de la famille, on perçoit celle de la société. Cette affaire débattue jusqu’en Cour suprême provoquera de nombreuses remises en question quant aux règles du droit familial. Un comité consultatif sera nommé en 2013 pour proposer des voies de passage. Un rapport qui, à sa sortie, sera largement ignoré.

Or, le Québec fut pourtant à l’avant-garde au début des années 80 en établissant une réforme majeure du droit familial, notamment en matière de droits des enfants. « On était l’un des premiers États au monde à intégrer le principe décisionnel de l’intérêt de l’enfant dans le Code civil. On était vraiment en avance, avant même la Convention des droits de l’enfant qui a été ratifiée en 1991 par le Canada, » avance le professeur Alain Roy, qui a travaillé comme conseiller pour la réforme annoncée par Québec récemment. Pour des raisons évidentes, celui-ci se garde une réserve pour commenter le projet de loi 2, ce qui ne l’empêche pas de discuter de l’histoire du droit familial au Québec.

La réforme des années 80 faisait table rase pour bonne partie des principes qui avaient gouverné la filiation et la conjugalité jusque-là. Dorénavant, la filiation des enfants serait établie à l’égard de leurs parents, peu importe le statut conjugal de ceux-ci. « Avant, il y avait un article dans le Code civil du Bas-Canada qui interdisait aux conjoints de fait de faire des donations, notamment pour la portion alimentaire qui était considérée comme contraire à l’ordre public, (…) ce qui mettait un méchant frein à la contractualisation de leurs rapports, » explique professeur Roy.

La première étape de l’actuelle réforme vise à actualiser les règles de filiation, notamment pour aménager les contrats de mère porteuse. Ceux-ci sont actuellement considérés comme nuls de nullité absolue au Québec, ce qui place celles et ceux qui souhaitent recourir à la pratique dans une position juridique délicate.

Ce type de contrat est pourtant monnaie courante dans d’autres provinces canadiennes. Cela provoquait souvent la migration de couples québécois ailleurs au Canada pour bénéficier d’un tel régime législatif. Par la réforme proposée, le gouvernement souhaite donc garder les parents d’intention en territoire québécois. Dorénavant, il serait permis pour des parents de conclure un contrat avec une mère porteuse, et de la compenser monétairement pour certains aspects de la grossesse. Elle pourra renoncer en tout temps à la convention pendant la gestation, ce qui découle, selon le ministre de la Justice, de l’autonomie décisionnelle de la femme. Une mesure qui ne sera pas possible pour les parents d’intention.

« C’est fascinant en droit de la famille de voir comment les mentalités évoluent à la vitesse grand V pour les mères porteuses. Quand j’enseignais au début de ma carrière en 1999, et que je parlais des mères porteuses à mes étudiants (et du fait qu’un tel contrat était nul de nullité absolue), (…) personne ne remettait ça en question. Tout le monde était horrifié par le phénomène des mères porteuses, » raconte Alain Roy. Sa perception aujourd’hui est plutôt que personne ne comprend pourquoi cet article se retrouve encore dans le Code civil du Québec.

Une ombre se profile cependant au tableau de cette révision législative. Les personnes trans dénoncent le fait qu’il faudra de nouveau subir une intervention chirurgicale aux organes génitaux pour modifier la mention de sexe aux documents du Registre de l’État civil. Cette obligation avait été abolie en 2015. Le ministre de la Justice a dit avoir entendu ces critiques et assure vouloir trouver une solution pour satisfaire la communauté LGBT. Les consultations sur le projet de loi 2 auront lieu prochainement.

Selon le gouvernement caquiste, cette réforme n’est qu’une première étape. Il souhaite s’attaquer au domaine conjugal dans les prochaines années, notamment pour répondre aux appels des experts pour clarifier le droit des conjoints de fait. Les principes de l’arrêt Éric c. Lola ne seraient donc pas définitifs.

Pour Alain Roy, le droit est toujours à la traîne de l’évolution des consensus sociaux. Il est évident que le législateur jauge minutieusement l’opinion publique avant d’entreprendre de telles réformes. Et que parfois, un gouvernement ne voudra même pas s’y risquer, comme ça a été le cas du gouvernement précédent qui a mis de côté le rapport Roy.

Il aura ainsi fallu quarante ans pour assister à une réforme de la même envergure que celle des années 80.