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Qui va payer la pandémie?

Tôt ou tard, l’augmentation des impôts sera de nouveau à l’ordre du jour. Les gouvernements seraient bien avisés de préparer leurs citoyens à cette éventualité.

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La pandémie est un rappel qu’il faut faire des sacrifices pour le bien commun. Au cours des quelques derniers mois, il a été demandé à tout un chacun de faire son devoir, que ce soit en restant à la maison, pour les uns, ou en poursuivant leurs activités, pour les autres. Viendra un temps où on leur demandera d’ouvrir leur porte-monnaie un peu plus large pour ce qui s’annonce comme une longue reprise.

Des changements fiscaux se profilent à l’horizon et les riches, qui s’en tirent remarquablement bien depuis le début de la pandémie, pourraient être la cible de mesures particulières. En attendant, les leaders feraient bien de préparer le public, pour qu’il accepte une hausse des impôts, en appelant à son patriotisme, à son sens de l’unité et de l’équité.

« Il est temps de dire à toute la population de se serrer les coudes pour pouvoir survivre », dit Katharina Gangl, psychologue ayant des compétences dans le domaine fiscal qui exerce à l’Institute for Advanced Studies de Vienne. « L’État devrait considérer les citoyens comme des partenaires. » Elle conseille aux gouvernements de collaborer directement avec les riches et de concevoir des campagnes publicitaires qui présentent le paiement de taxes et d’impôts comme une manière d’aider à lutter contre la pandémie. « Il faut que cela soit très nuancé et bien planifié. »

Naturellement, les nouvelles politiques et hausses fiscales ne sont probablement pas pour demain, du moins au Canada. À court terme, la poursuite des emprunts est considérée comme la chose à faire, particulièrement alors que les taux d’intérêt demeurent exceptionnellement faibles, ce qui pourrait se prolonger pendant un bon moment.

« Dans le contexte actuel, le gouvernement fédéral semble plus prêt à financer les améliorations actuelles au moyen du déficit et à laisser aux générations futures le soin de composer avec les risques liés à une dette plus grande », a déclaré Kevin Page, le tout premier directeur parlementaire du budget du Canada. « Le besoin de revenus supplémentaires pourrait être une question centrale de l’après-COVID-19 », a-t-il écrit dans un courriel.

On ne manque pas d’idées : apporter des modifications de nature fiscale, par exemple, l’impôt sur les gains en capital ou les impôts fonciers, les taxes sur la mort, les objets de luxe ou la richesse. On s’attend largement, des deux côtés de l’Atlantique, qu’on mette davantage l’emphase sur les taxes sur les produits numériques, tout en accroissant les bons vieux impôts traditionnels, à savoir la fiscalité applicable à la consommation et au revenu. Tous les contribuables devront s’attendre au pire.

« Le meilleur moyen d’accumuler plus de revenus au Canada, c’est de remonter la TPS au point où elle était avant la réduction de 2 % faite par le gouvernement Harper, soit de réinstaurer le taux de 7 % à la place de 5 % », a dit Jim Davies, professeur d’économie à l’Université Western spécialisé en politique fiscale. « Les économistes sont presque tous d’accord sur le fait que ce serait l’approche la plus efficiente », a-t-il écrit dans un courriel.

Il est loin d’être clair que des changements prêtant à controverse comme les impôts sur la richesse et les taxes sur les produits numériques seront acceptés au Canada. À l’ère de la mondialisation de l’économie numérique, il est difficile pour un seul pays d’instaurer des taxes novatrices alors que les gouvernements sont très sensibles aux intérêts économiques nationaux liés à la politique fiscale nationale. Les deux seraient utilisés pour attirer les entreprises et l’investissement étrangers.

« Il est souhaitable que l’on parvienne à un consensus ou à une coordination de haut niveau à l’échelle internationale », a dit Jinyan Li, qui enseigne le droit fiscal à l’Université York. Environ 140 pays se penchent actuellement sur la question de l’imposition des entreprises numériques, mais aucune initiative internationale n’est prise pour imposer la richesse. « Le Canada possède une petite économie ouverte et est donc plus sensible et favorable aux initiatives internationales. »

Il doit y avoir une volonté politique d’imposer ces changements. Kevin Page, qui dirige désormais l’Institut des finances publiques et de la démocratie à l’Université d’Ottawa, ne voit pas de leadership suffisamment « solide » au Canada pour mettre en œuvre ces nouveaux impôts. « D’aucuns soutiendront que la confiance est le plus grand obstacle à la réforme fiscale et à l’augmentation des taxes. Avant la pandémie de COVID-19, la confiance était faible », a-t-il ajouté dans un courriel.

Malgré tout, les gouvernements du monde entier ont du mal à colmater les trous béants des budgets locaux et nationaux alors que la pandémie continue à forcer d’onéreux confinements et interventions médicales.

Le gardien de la rigueur budgétaire du pays a déjà averti que les augmentations d’impôts en général sont « inévitables » étant donné l’envolée des dépenses publiques et le déficit budgétaire prévu s’élevant à la somme sans précédent de 328,5 milliards de dollars, soit 15 % du PIB. Le Canada n’est pas le seul dans cette situation. Selon le Fonds monétaire international, le monde s’achemine vers la récession la plus grave depuis les années 1930. On s’attend à un repli mondial de 3 % en 2020, avec une augmentation du chômage dans tous les secteurs. Les citoyens continueront à avoir besoin d’une aide supplémentaire pendant longtemps.

Cependant, certains n’ont pas souffert. Les milliardaires s’en sont bien tirés pendant la pandémie, selon la banque suisse UBS et PwC (rapport disponible uniquement en anglais) en profitant des fluctuations de la bourse, ajoutant un trimestre supplémentaire à leur pécule s’élevant à l’ahurissant total de 10,2 billions de dollars. Cela suscitera probablement des appels à la mise en place de politiques visant expressément les riches.

Avant même que ne sévisse la pandémie, l’inégalité des revenus atteignait des niveaux inédits depuis un siècle, aidée en cela par plusieurs décennies d’allègements fiscaux. À la lumière d’estimations récentes, le un pour cent supérieur contrôle plus d’un quart de la richesse du Canada alors que les 40 % inférieurs ne possèdent en tout et pour tout qu’un pour cent.

D’ailleurs, le gouvernement a déclaré dans le discours du Trône de septembre qu’il souhaite déterminer de nouveaux moyens de taxer « les inégalités extrêmes sur le plan de la richesse ». Les sondages révèlent que la majorité de la population canadienne est favorable à un impôt sur la richesse, et que certains Canadiens et Canadiennes riches ont même formé un groupe de pression pour atteindre cet objectif.

La question de savoir si les impôts sur la richesse donneront les résultats prévus est cependant moins claire. Certaines études indiquent qu’ils pourraient aider à réduire les inégalités de revenus, mais le passé raconte une histoire bien différente. De nombreux pays ont conclu que ces impôts ne valent pas les efforts déployés et les ont tout simplement éliminés.

« Les versions classiques d’un impôt sur la richesse sont difficiles à gérer du point de vue administratif », a déclaré Sven Steinmo, professeur à l’Université du Colorado et auteur de plusieurs ouvrages sur la conformité fiscale. « L’un des problèmes, c’est qu’ils sont relativement faciles à éviter. »

Théoriquement, les taxes successorales pourraient régler « l’injustice et garantir une plus grande égalité des chances parce que la richesse héritée au fil des générations peut perpétuer le pouvoir économique. Cependant, nous devons décider du résultat que nous voulons véritablement atteindre », dit Margaret O'Sullivan, associée directrice dans le cabinet O'Sullivan Estate Lawyers. « En réalité, ils ne produisent que de très maigres revenus. »

La réduction de la manière dont les riches peuvent réduire leur responsabilité fiscale pourrait générer beaucoup plus de recettes. Selon certaines estimations, le Canada est privé de recettes allant jusqu’à 51 milliards de dollars (article disponible uniquement en anglais) au titre d’impôts et de taxes non perçus chaque année en raison du recours des contribuables à des mécanismes légaux et illégaux. Alors que la transparence universelle de la déclaration de revenus de la Norvège pourrait être trop radicale pour la plus grande partie de la population du Canada, les activistes et groupes de réflexion ne manquent pas d’autres remèdes à proposer.

Colmater les brèches « est ma solution préférée », dit Sven Steinmo, qui ajoute que l’État est perdant sur deux tableaux lorsque les gens s’y engouffrent : il perd des revenus et il amène les gens honnêtes à se considérer comme les crétins qui continuent de payer alors que d’autres ne le font pas. Selon Katharina Gangl, il est essentiel de faire en sorte que le recours à de telles pratiques devienne moins acceptable du point de vue social.

D’aucuns pensent que des campagnes de sensibilisation positives qui soulignent l’unité, l’équité et la cohésion face à la pandémie de COVID-19 pourraient renforcer le patriotisme nécessaire pour lutter contre la résistance face à l’impôt. Il s’agit de convaincre le public qu’une imposition plus lourde est synonyme de bien commun.

En plus, ça a déjà fonctionné dans le passé.

« De telles campagnes ont été mises en œuvre avec beaucoup de succès pendant les guerres, et on peut penser qu’elles pourraient être tout aussi utiles dans le contexte de la crise actuelle », a écrit dans un courriel Benny Geys, qui enseigne à la BI Norwegian Business School à Oslo.

« Est-il possible de changer la culture fiscale ? Oui. Tout à fait. Regardez ce qui s’est passé pendant la Seconde guerre mondiale avec la campagne [traduction] "impôts pour vaincre les forces de l’Axe" », dit Sven Steinmo.

Il y avait alors un vaste consensus sur le fait que la population devait se sacrifier pour le bien national. Pour recréer cet état d’esprit, les gouvernements devront en prouver les bienfaits.