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L’Ontario agit-elle seule?

Ses efforts pour moderniser les marchés des capitaux n’ont que trop tardé, mais les autres organes de réglementation canadiens devraient y participer eux aussi.

OSC building and old city hall, Toronto
iStock

Lorsque le gouvernement de l’Ontario a constitué le Groupe de travail sur la modernisation relative aux marchés financiers en février, cela faisait déjà 17 ans depuis le dernier réexamen des politiques concernant la réglementation des valeurs mobilières.

Il suffit de penser à seulement certaines des choses auxquelles les marchés internationaux ont dû faire face pendant cette période : la crise financière mondiale de 2008, le processus interminable du Brexit, la renégociation de l’ALENA et un vaste remaniement de la politique commerciale nationale provoqué par l’administration Trump, ainsi que la reine des calamités incarnée dans la pandémie de COVID-19. Les événements déstabilisants à l’échelle mondiale sont légion depuis 2003. On ne devrait donc pas s’étonner que le rapport de consultation du groupe de travail recommande fortement d’attirer de nouveaux capitaux de placement en Ontario et de simplifier les processus.

Un peu trop peut-être ? Le rapport indique ses ambitions dès le départ en affirmant dans la première section consacrée à l’objectif d’améliorer la structure réglementaire, où il propose « d’intégrer la promotion de la formation de capital et des marchés de capitaux concurrentiels au mandat de la CVMO, qui est de dynamiser la croissance économique ».

Neil Gross a consacré 30 années de sa carrière d’avocat à représenter des investisseurs ayant essuyé des pertes. Il dirige désormais son propre cabinet de consultant. Selon lui, demander à la CVMO, qui est un organe de réglementation, de promouvoir la « croissance » risque de susciter la confusion et la suspicion au sujet de ses véritables objectifs.

« Dire que les marchés doivent être concurrentiels n’est pas sujet à controverse. C’est le but même des marchés », dit-il. « La question est de savoir si l’organe de réglementation devrait viser la croissance ; tâche que l’on s’attend à ce que les gouvernements effectuent ».

« Cela remettrait en question ses priorités », poursuit-il. « Il existe un risque de créer l’impression qu’il y a anguille sous roche ; une impression qui pourrait tendre à éloigner les capitaux plutôt qu’à les attirer. Il s’agit d’une tâche qu’il serait plus judicieux de confier à une entité axée sur un enjeu unique ».

Les autres propositions faites dans le document ne soulèvent pas ce degré de controverse. « Un grand nombre des propositions portent sur des sujets qui font l’objet de débats depuis des années, voire des décennies, dans cette province », dit Barbara Hendrickson du cabinet BAX Securities Law à Toronto.

D’aucuns prônent la séparation des fonctions de réglementation et des fonctions arbitrales de la CVMO, pour éloigner les personnes qui élaborent les règles de celles qui les appliquent.

Cela aurait dû être fait depuis longtemps, dit Me Gross. « En ce moment, si l’on vous traîne devant la CVMO à propos d’une question d’application, vous avez très rapidement l’impression de faire face à un organe à la fois législateur, juge, jury et bourreau », dit-il. « Il est difficile d’y trouver l’équité ».

On prône aussi la réduction de la paperasserie, soit la « simplification » de l’exigence pour les sociétés cotées en bourse de fournir des rapports trimestriels, la limitation de l’exigence pour les sociétés qui effectuent des appels publics à l’épargne de publier des prospectus, l’octroi aux émetteurs d’une plus grande marge de manœuvre pour « tâter le terrain » auprès d’investisseurs potentiels avant d’émettre les prospectus, la transition vers un modèle « accès tenant lieu de livraison » qui permettrait aux sociétés d’afficher les documents en ligne au lieu de les envoyer aux actionnaires par la poste. L’objectif qui sous-tend toutes ces idées est de réduire les coûts de fonctionnement et de la mobilisation de capitaux.

« J’aime beaucoup le concept “d’accès tenant lieu de livraison” », affirme Rebecca Cowdery, associée spécialisée en valeurs mobilières et marchés des capitaux dans le cabinet BLG à Toronto. « Les investisseurs reçoivent des rames entières de papier chaque année et personne ne les lit. C’est insensé. »

Le document contient des propositions visant à améliorer la concurrence. Aux termes de l’une d’elles, serait interdit le « regroupement » des marchés financiers et de services commerciaux de prêt, soit la pratique adoptée par les prêteurs commerciaux qui exige des clients qu’ils engagent des courtiers affiliés pour les aider à mobiliser des capitaux. Selon une autre proposition, à moins de pouvoir fournir une « justification détaillée » pour leur exonération, les banques seraient tenues d’offrir à leurs clients la possibilité d’acheter des produits d’investissement auprès de sociétés indépendantes, soit étendre leur « gamme » de produits pour y faire figurer des produits non exclusifs.

« Les banques vont dire qu’elles le font déjà », dit MCowdery. « Je pense que la mise en œuvre pourrait s’avérer difficile. La situation comporte plus de nuances que le rapport ne le suggère. Cependant, les gestionnaires de fonds communs de placement ont besoin que quelqu’un vende leurs produits, et l’idée d’ouvrir les institutions financières de cette façon vaut certainement la peine d’être étudiée ».

Le document propose des façons de simplifier l’application, telle que la réciprocité automatique des « éléments non financiers des ordonnances et des règlements » émanant d’autres organismes canadiens de réglementation des valeurs mobilières (« ce qui, franchement, est tout à fait sensé », soutient Me Gross). Il envisage en outre de conférer à la CVMO des pouvoirs plus étendus pour « geler, saisir ou protéger autrement des actifs » lorsque des sanctions pécuniaires ont été imposées, allant jusqu’à accorder à la Commission la compétence pour refuser d’accorder un permis de conduire aux personnes qui n’ont pas acquitté leurs pénalités.

Le groupe de travail suggère de modifier les deux organismes d’autoréglementation (OAR) du marché des capitaux, à savoir l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM) et l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels (MFDA). Il exhorte à une fusion des deux, disant du système actuel qu’il constitue une situation « désuète qui porte à confusion pour les investisseurs ». Il suggère d’accorder à la CVMO des pouvoirs plus étendus pour superviser les OAR.

Neil Gross exhorte à une réforme plus profonde ; une qui obligerait à la nomination aux conseils d’administration des OAR d’un plus grand nombre de personnes ayant un « vécu » en tant qu’investisseurs afin de garantir que les conseils d’administration agissent dans « l’intérêt de la communauté des investisseurs dans son ensemble ».

« L’OCRCVM a récemment commencé à choisir des membres pour son conseil d’administration qui ont de réelles compétences dans le domaine des questions liées aux investisseurs ; aux investisseurs particuliers par opposition aux investisseurs institutionnels », dit-il. La MFDA, elle, ne l’a pas fait. Elle a plutôt opté pour la publication de rapport sur sa vision de l’avenir, selon laquelle serait créée une nouvelle super OAR qui comporterait la représentation des investisseurs. C’est un peu décevant qu’elle n’ait pas adopté l’idée pour le présent. »

Quant à elle, Barbara Hendrickson a une question plus large concernant l’opportunité de la mise en place du Groupe de travail : pourquoi maintenant ? De concert avec la Colombie-Britannique, la Saskatchewan, le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse, l’Île-du-Prince-Édouard et le Yukon, l’Ontario participe au régime coopératif en matière de réglementation des marchés des capitaux, un effort pour simplifier la réglementation des marchés de capitaux à l’échelle nationale. Un grand nombre des recommandations figurant dans le rapport du groupe de travail n’ont de sens que si elles sont mises en œuvre à l’échelle nationale, dit-elle. Les mettre en œuvre dans les limites d’une région « se traduirait par une fragmentation accrue de nos marchés canadiens ».

« La poursuite de ces changements à l’échelle provinciale ne correspond pas à l’idée d’un organe de réglementation national », dit-elle.

« Actuellement, même si nous avons fait de grands progrès au moyen du processus des Autorités canadiennes en valeurs mobilières pour simplifier la réglementation des valeurs mobilières partout au Canada, les différentes provinces ont encore des régimes différents, par exemple dans le cas des dispenses de prospectus pour le financement participatif et les notices d’offre pour les placements privés. Une approche unilatérale de l’Ontario se traduirait par des règles encore plus fragmentées.

« Étant donné la taille des marchés de capitaux canadiens, il n’est pas faisable pour un émetteur, du point de vue pratique, de devoir se conformer à une dispense de prospectus en Ontario et à une autre en Colombie-Britannique. Le Canada est tout simplement un marché trop restreint. De même, les participants au marché basés hors du Canada qui examinent nos marchés sont découragés par les différents régimes de réglementation des différentes provinces. Ils vont faire affaire ailleurs. C’est la raison pour laquelle nous avons besoin d’harmoniser les régimes à l’échelle nationale. »

Maître Gross, dit quant à lui, qu’il considère le rapport comme un point de départ solide. « Tout doit commencer quelque part », dit-il. « La Loi sur les valeurs mobilières doit être examinée périodiquement et cela n’a pas été fait depuis longtemps. Il faut donc féliciter le gouvernement provincial pour avoir entrepris cette tâche. »

« L’Ontario a une influence très importante sur le droit des valeurs mobilières au Canada. Par conséquent, il est possible que d’autres régions suivent ces recommandations. »