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Quelles causes la Cour suprême du Canada entendra-t-elle cet automne?

Après la cérémonie de la rentrée judiciaire et l’introduction des nouvelles toges cérémoniales, une session occupée, avec 20 audiences d’appel, est commencée

La Cour suprême du Canada
iStock/it:jewhyte

En l’honneur de son 150e anniversaire cet automne, la Cour suprême du Canada a organisé plus tôt cette semaine une cérémonie de la rentrée judiciaire, la première en près de 40 ans. Cette cérémonie a aussi marqué la présentation des nouvelles toges cérémoniales. La session automnale sera occupée, puisque 20 audiences d’appel et 1 demande d’autorisation figurent au registre, une charge de travail semblable aux deux automnes précédents.

S’y trouvent 10 audiences en matière criminelle, dont la demande d’autorisation; 5 sont des appels de plein droit. Les 11 autres affaires relèvent du droit civil ou constitutionnel; 3 seront entendues sur 2 jours chacune.

Thomas Slade, associé chez Supreme Advocacy S.R.L. à Ottawa, gère un site Web, Fantasy Courts, où les internautes peuvent prédire les décisions du plus haut tribunal du pays avant qu’elles soient rendues. Il s’intéresse beaucoup à la première affaire mise au rôle, Chief of the Edmonton Police Service c. John McKee, et al., qui porte sur la suppression d’éléments d’un rapport d’inconduite et à laquelle 12 intervenants sont inscrits.

« Je crois, dit-il, que cette affaire aura une grande incidence sur le droit criminel, car elle traite du champ de ce qui peut être divulgué et des cas où la police est tenue de remettre des dossiers disciplinaires. »

« La Cour cherche à trouver le juste équilibre entre divulgation légitime de renseignements pertinents et prévention de la surcharge de la Couronne ou de l’ensemble du système », ajoute-t-il

Me Slade estime que cet arrêt pourrait aussi toucher la question des retards judiciaires à l’heure où tout le monde dans le système doit faire plus avec moins.

« S’y opposent le droit fondamental à la divulgation et l’efficacité du système de justice. Je suis curieux de voir la tangente que suivra la Cour », dit-il, ajoutant que ce sera peut-être une décision clé, comme Jordan pour les retards judiciaires.

Puis, il y a Pharmascience Inc. c. Janssen Inc., et al. Nadia Effendi, associée chez Borden Ladner Gervais S.E.N.C.R.L., S.R.L. à Toronto et responsable nationale de ce cabinet en matière de litige commercial, dit qu’il s’agit d’une affaire inusitée de propriété intellectuelle. Selon elle, la Cour va probablement donner un avis sur le critère à utiliser pour déterminer si un brevet valide incorrectement une méthode de traitement médical.

« La Cour a déjà établi que les méthodes de traitement médical ne sont pas brevetables au Canada, et l’interdiction se situe vraiment au point de rencontre entre le droit des brevets, la santé et l’équilibre recherché entre l’innovation et le système des brevets », a expliqué Me Effendi au cours d’un entretien sur le balado de l’ABC, Voix et verdicts.

Les modifications apportées à la Loi sur les brevets pourraient influer sur l’avis de la Cour.

L’affaire Deborah Carol Riddle c. ivari porte sur un conjoint porté disparu, un jugement déclaratif de décès et une compagnie d’assurance-vie ayant demandé l’annulation de la déclaration de décès. La Cour doit se prononcer sur le type de preuve exigée pour faire annuler une déclaration de décès, et sur la question de savoir si une telle demande soumise par un tiers doit être signifiée à la partie dont le décès a été déclaré.

« La compagnie d’assurance dans cette affaire affirme que [le conjoint porté disparu] est toujours en vie et se trouve à l’étranger », indique Me Effendi.

« La Cour s’est penchée sur la question de la déclaration de décès il y a des années. Il y a donc un contraste entre la réfutation de cette fiction juridique et la nature plus décisive de la déclaration de décès dont l’annulation judiciaire est exigée. »

Ryan Alford c. Canada est l’une des deux affaires qui seront entendues sur deux jours. Il s’agit d’éprouver les limites du privilège parlementaire en lien avec la création du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement (CPSNR). La Cour d’appel de l’Ontario a unanimement annulé la décision de la Cour supérieure. Mais la Cour a sans doute estimé qu’il y avait lieu d’apporter des précisions.

« Elle devra clarifier la nature du privilège parlementaire et la portée du pouvoir parlementaire au sens de la Loi », explique Me Effendi.

« Le professeur Alford s’est vu accorder la qualité pour agir dans l’intérêt public pour contester, chose qui n’arrive pas tous les jours. »

Il y a 12 intervenants dans cette affaire, dont plusieurs procureurs généraux, qui font tous valoir qu’ils ont le pouvoir de modifier leur propre privilège parlementaire.

L’autre affaire de droit constitutionnel, Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick c. Le très honorable premier ministre du Canada, et al., vient du Nouveau-Brunswick. Il s’agit d’une contestation de la nomination d’une lieutenante-gouverneure unilingue (qui a depuis terminé son mandat) et de la question de savoir si cette nomination violait les droits linguistiques en vigueur dans la province.

Selon Me Effendi, cette affaire soulève des questions sur la nature du bilinguisme institutionnel et sur le rôle symbolique de l’office de lieutenant-gouverneur.

« C’est vraiment la première fois que la Cour doit déterminer si un droit linguistique constitutionnel impose une exigence de qualification personnelle à ces représentants vice-royaux », indique-t-elle.

« Est-ce seulement l’institution de lieutenant-gouverneur qui doit être bilingue ou aussi la personne? »

Me Slade estime que, vu l’actuelle controverse concernant la traduction des décisions passées de la Cour, l’affaire sera intéressante à suivre.

« Je suis curieux de voir comment la Cour en arrivera à un arrêt », dit-il.

« Depuis toujours, la Cour est une ardente défenseure des droits linguistiques, soucieuse d’en appliquer les principes dans tout le pays. »

Un dossier judiciaire en matière criminelle est à surveiller : Sa Majesté le Roi c. Harry Arthur Cope, qui a attiré l’attention de 20 intervenants. Dans la foulée de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, le Code criminel a été modifié de sorte qu’il soit tenu compte des actes de violence contre les femmes autochtones comme facteur d’exemplarité de la peine. Pour déterminer la peine des contrevenants autochtones, le Code prévoit aussi la prise en compte des facteurs énoncés dans Gladue, qui ont trait aux facettes de leur vie touchée par le colonialisme ou la discrimination. Le juge doit tenir compte de ces facteurs pour prévenir la surincarcération des Autochtones.

« La Cour devra préciser comment les juges doivent s’y prendre pour déterminer la peine d’un Autochtone coupable d’un acte violent contre une femme autochtone », résume Me Effendi, notant la tension en jeu ici entre les dispositions du Code criminel.

Me Slade est tout particulièrement intéressé par Nisgaa Nation c. Malii, et al. et Skii km Lax Ha, et al. c. Malii, deux appels apparentés touchant la réclamation de titres sur des territoires autochtones se chevauchant. Il y aura deux jours d’audience en décembre, avec 14 intervenants.

« Ces affaires annoncent les prochains grands enjeux en droit autochtone », dit-il.

« La Cour s’est déjà prononcée sur les critères s’appliquant aux titres ancestraux, mais la question ici est de savoir comment les tribunaux traiteront les réclamations de titres et les droits ancestraux sur des territoires se chevauchant. »

Selon Me Slade, cette question va sans doute revenir plus souvent, surtout que les droits des Métis sont de plus en plus reconnus.

L’affaire soulève de nouvelles questions, car la jurisprudence est peu claire quant aux répercussions que la déclaration d’un tribunal reconnaissant le titre ancestral d’une collectivité autochtone pourrait avoir sur l’action en justice d’une autre collectivité autochtone réclamant un titre sur le même territoire.

Me Effendi s’interroge : « Cela empêchera-t-il le second groupe de faire valoir son occupation du même territoire? Le premier jugement liera-t-il les mains de la Couronne, l’empêchant de reconnaître les droits de la seconde collectivité? »

Me Slade surveille aussi attentivement la décision à venir dans Association canadienne des libertés civiles, et al. c. Sa Majesté le Roi du chef de Terre-Neuve-et-Labrador, et al., car c’est l’un des seuls appels en lien avec la COVID-19 entendus par la Cour. Une Néo-Écossaise n’a pas pu se rendre à Terre-Neuve-et-Labrador pour assister aux obsèques de sa mère en raison d’une ordonnance de restriction des déplacements liée à la pandémie. Elle fait valoir que cette ordonnance avait porté atteinte à sa liberté de circulation garantie par la Charte.

« L’article 6 n’attire pas souvent l’attention », dit-il, ajoutant que cette affaire donne à la Cour l’occasion de se prononcer sur les mesures liées à la COVID.

Dans Sa Majesté le Roi c. Paul Eric Wilson, la Cour statuera sur la Loi du bon samaritain. Me Slade estime que l’arrêt pourrait influencer le cours des choses en milieu urbain relativement à la crise des opioïdes.

« La Loi du bon samaritain a été créée pour sauver des vies. Ce sera donc très intéressant de voir ce que la Cour décidera. »

Écoutez l’entrevue en version intégrale pour en savoir plus sur la prochaine session de la Cour (en anglais seulement).