Pourquoi la civilité compte
Une communication empreinte de civilité est l’épine dorsale d’une plaidoirie persuasive et de la crédibilité même du système. Nos lettres devraient ressembler à des instruments de résolution, non à des armes de guerre.
Les juristes écrivent pour vivre. Mais trop souvent, nos lettres ressemblent à des armes de guerre plutôt qu’à des instruments visant la résolution.
Partout au pays, nos règles professionnelles ne traitent pas le ton comme une simple question de politesse; le ton fait partie intégrante du devoir de représentation. En Colombie-Britannique, il est attendu de nous que nous défendions nos clients avec détermination et honneur, tout en faisant preuve de courtoisie, de civilité et de bonne foi. Ces qualités ne sont pas décoratives : elles façonnent notre manière de plaider, notamment dans notre correspondance, où la plupart des différends naissent, se développent et, idéalement, se règlent.
Je propose cette théorie : adopter par défaut un langage agressif, moralisateur ou injurieux constitue une mauvaise plaidoirie. Cela va à l’encontre de notre serment, mine la confiance du public et nuit autant aux clients qu’au système.
Y a-t-il des moments où un ton polémique se justifie? Presque certainement. Mais soyons honnêtes : peu d’entre nous se souviennent d’avoir reçu un message si poli qu’il en devenait non professionnel. L’inverse, en revanche, est courant.
Se rendre à l’évidence
Nous sommes nombreux à avoir entendu l’expression « plaidoyer zélé » pour décrire le devoir qu’un avocat doit à son client. Cependant, cette expression accrocheuse est aujourd’hui inappropriée. Notre devoir consiste à être des défenseurs résolus, honorables et équitables. Il s’agit de la détermination d’un moine, et non de la ferveur d’un zélote. Le zèle enflamme et polarise, il se nourrit de l’ego et de l’idéologie. La résolution, elle, reste rationnelle, sobre et humble, guidée par le service et le devoir.
Le Code of Professional Conduct for British Columbia est clair : défendez la cause de votre client tout en conservant [Traduction] « le ton approprié à une communication professionnelle ». À mon sens, cela exclut toute correspondance délibérément conçue pour provoquer des émotions négatives ou envoyée sans considération pour son impact. L’incivilité entre juristes est généralement contre-productive, mais elle est encore plus risquée lorsqu’elle atteint des non-juristes, notamment des parties qui se représentent elles-mêmes, amplifiant les malentendus et les conflits.
Le stress évitable à un coût
Si vous avez déjà observé un profane lire une mise en demeure, vous avez observé sa réaction physiologique : respiration courte, visage rouge, pensées qui s’emballent. Il semble bouleversé, c’est le moins que l’on puisse dire, et ce n’est pas qu’une impression. Une méta-analyse de 2004 portant sur 208 études en laboratoire (en anglais uniquement) a révélé que la présence d’une « menace d’évaluation sociale » (social-evaluative threat, ou SET) — c’est-à-dire lorsque « la performance est consignée de façon permanente…, qu’un auditoire évaluatif est présent, ou qu’une comparaison sociale négative est établie… » — provoque des réactions de stress nettement plus fortes que dans les situations où la SET est absente.
Une lettre d’un avocat, en particulier lorsqu’elle est lue par un profane, remplit chacun de ces critères : un dossier permanent (la lettre elle-même, les éléments de preuve qui la soutiennent, ou les deux), un auditoire évaluatif (l’avocat, son client, ou les deux), et une comparaison négative (implicite entre le destinataire et la norme qu’il aurait manquée).
Un schéma similaire apparaît dans l’écriture. Une série d’études de 2021 sur l’incivilité dans les courriels a établi un lien entre les mauvais traitements subis par écrit et l’insomnie ainsi que les affects négatifs ressentis le lendemain matin. En d’autres termes, la manière dont nous écrivons aujourd’hui peut influencer la façon dont quelqu’un dormira cette nuit et se sentira demain.
Nous savons déjà le reste : la détresse peut mener à de mauvaises décisions, à une polarisation accrue et à la cristallisation du conflit. Elle a aussi des effets physiques : accélération du rythme cardiaque, hausse de la tension artérielle et du taux de cortisol, troubles du sommeil et, à long terme, risques pour la santé.
Tout cela ne signifie pas que nous devons parler uniquement en euphémismes ou en platitudes. Dans un contexte contradictoire, un certain niveau d’inconfort est inévitable. Être résolu, c’est accepter de dire des choses difficiles. Mais cela ne nous donne pas carte blanche pour les dire n’importe comment. Le fait d’ajouter du stress évitable porte un coût invisible, et les lettres inutilement dures constituent de petits actes indirects de préjudice gratuit. Lorsqu’une lettre sévère est nécessaire, elle doit demeurer l’exception soigneusement rédigée, non la règle.
Un devoir de défendre avec résolution, non avec zèle
Les clients demandent parfois une lettre qui « remet quelqu’un à sa place ». Dans certains cas, une approche de martèlement peut sembler efficace. Les études indiquent que l’impact du contenu émotionnel sur les négociations est complexe, mais qu’il peut être utile dans certaines circonstances. Il nuit toutefois de manière indéniable à la relation qui s’ensuit.
Même dans les rares cas où une lettre au ton ferme peut se justifier d’un point de vue stratégique, certaines précautions s’imposent :
- L’invective écrite est un outil grossier, dont l’efficacité pour obtenir des concessions est faible et inconstante
- La relation ainsi abîmée pourrait durer plus longtemps que ne l’espère votre client
- Ce que veut un client n’est pas toujours ce qui est le mieux pour lui
Dans ces situations, il est bon de se rappeler que notre devoir est de plaider avec résolution, non avec zèle, et qu’aucun client n’a le droit d’exiger qu’un avocat manque de libéralité ou fasse quoi que ce soit de contraire à son propre sens de l’honneur et de la bienséance.
La clé, selon moi, est de se souvenir que le destinataire est un être humain, non une machine dans laquelle on insère des mots pour en tirer des résultats.
La communication, au cœur du travail de notre profession
Nous devons aussi faire preuve de compassion envers nous-mêmes. Nous restons des êtres de chair et de sang, et maintenir un ton parfait en tout temps est une norme impossible — surtout à l’écrit, un médium dont le ton plus souvent mal interprété qu’à notre tour.
Lorsqu’une communication nous semble malapprise, je suggère humblement d’assumer la bonne foi, de pratiquer le pardon et de répondre sur le ton que nous aurions aimé recevoir. En cas de doute, il est rarement nuisible de décrocher le téléphone et de vérifier si notre interprétation correspond à l’intention réelle.
La civilité n’est pas un accessoire que l’on fixe lorsqu’elle est commode. En audience comme ailleurs, la communication est le cœur du travail de notre profession. La communication empreinte de civilité constitue l’épine dorsale d’une plaidoirie persuasive et de la crédibilité du système lui-même. Une communication qui traite les gens avec dignité, même en transmettant des messages difficiles, honore la promesse faite par la profession au public : que nous poursuivons la justice, non la simple victoire.
Notre travail s’inscrit dans la durée : la clarté, la crédibilité, les résultats, et la récompense intrinsèque de remplir nos obligations envers une profession savante qui contribue à ancrer la démocratie. Nos clients nous font confiance pour plaider en leur nom. Le public nous fait confiance pour préserver le forum. Chaque frappe de clavier peut sembler insignifiante, mais répétée jour après jour, notre écriture façonne la culture de la profession et sa place dans le monde.
Si nous devons être zélés, soyons-le pour cela.
*Cet article a d’abord été publié, en anglais, dans BarTalk, la revue de la Division de la Colombie-Britannique de l’Association du Barreau canadien.