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Lutter contre le racisme environnemental au Canada

Un projet de loi récemment adopté vise à lutter contre la pratique consistant à installer dans une mesure disproportionnée des industries polluantes et présentant des risques environnementaux à proximité de communautés autochtones, noires et marginalisées.

Sarnia's 'chemical valley'
iStock/Dave McIntosh

Après des années de lobbyisme de la part de militants et de communautés touchées, la mesure législative canadienne visant à lutter contre le racisme environnemental et à le prévenir est appelée à devenir une loi.

Le projet de loi C-226 – Loi concernant l’élaboration d’une stratégie nationale visant à évaluer et prévenir le racisme environnemental ainsi qu’à s’y attaquer et à faire progresser la justice environnementale – a récemment été adopté après un long parcours au Parlement.

Il s’agit de la première loi canadienne visant à remédier à la pratique de longue date consistant à installer dans une mesure disproportionnée des industries polluantes et présentant des risques environnementaux à proximité de communautés autochtones, noires et marginalisées.

Elle fait suite à des tentatives antérieures de promulgation d’une loi sur le racisme environnemental, ce qui comprend un projet de loi émanant de la députée libérale de la Nouvelle-Écosse, Lenore Zann en 2020 et un projet de loi provinciale présenté en Nouvelle-Écosse en 2021, qui n’est pas allé plus loin que la première lecture.

Les militants relatent que la mesure législative est attendue depuis longtemps, et que le Canada a besoin de toute urgence d’un plan et d’un cadre de responsabilisation pour lutter contre le racisme environnemental et pour faire progresser la justice environnementale. Au sud de la frontière, l’Agence des États-Unis pour la protection de l’environnement a une stratégie de justice environnementale en place depuis 1994. Elle définit la justice environnementale comme « le traitement équitable et la participation significative de toutes les personnes, indépendamment de la race, de la couleur, de l’origine nationale ou des revenus, en ce qui concerne l’élaboration, la mise en œuvre et l’application des lois, des règlements et des politiques en matière d’environnement ».

« Nous sommes dans une bonne position, car beaucoup de travail a été accompli, dit Elizabeth May, cheffe du Parti vert, qui a présenté la loi comme projet de loi émanant d’une députée en 2021. C’est l’aboutissement du travail de beaucoup de gens depuis longtemps. »

Comme le prévoit la loi, la stratégie nationale prévoit l’obligation de recueillir des données sur l’existence de dangers environnementaux et sur les effets négatifs qu’ils ont sur la santé dans les collectivités touchées par le racisme environnemental. Cela requiert aussi une évaluation de l’application des lois environnementales provinciales et des mesures visant à lutter contre le racisme environnemental en ce qui concerne le financement et l’indemnisation des collectivités touchées.

« La pertinence de la stratégie et des ressources qui lui sont allouées, tout comme l’approche adoptée, ne va pas se faire comme par magie », explique Mme May, dont le travail dans le domaine du racisme environnemental a commencé il y a plus de vingt ans.

En 2001, elle a fait une grève de la faim de 17 jours pour protester contre la localisation de déchets industriels près d’une communauté noire et sur d’anciens lieux de pêche des Micmacs à Sydney, au Cap-Breton.

« Évidemment, nous voulons que la loi reçoive la sanction royale, mais ça ne se limite pas à cela. À bien des égards, ce ne sera que le début. »

L’histoire du racisme environnemental au Canada se manifeste dans des collectivités de partout au pays. Un rapport de 2020 du Rapporteur spécial sur les substances toxiques et les droits de l’homme fait état d’une « tendance au Canada où les groupes marginalisés, et les peuples autochtones en particulier, se retrouvent du mauvais côté d’un fossé toxique, soumis à des conditions qui ne seraient pas acceptables dans d’autres régions du pays ».

En Nouvelle-Écosse, l’étang à eux résiduaires d’une usine de pâte à papier était situé dans la cour arrière de la Première Nation de Pictou Landing, polluant un estuaire crucial pour la communauté. Ailleurs dans la province, des déchets ont été déversés et brûlés pendant près de huit décennies sur un site d’enfouissement construit près de la communauté afro-néo-écossaise de Shelburne. La collectivité continue de faire face à des problèmes de contamination de l’eau et présente un taux de cancer plus élevé que dans les quartiers blancs des autres parties de la ville.

Des militants disent que le projet de loi C-226 est une étape significative vers la résolution de ce genre d’injustices, surtout parce qu’il exige l’engagement et la consultation des personnes les plus touchées par le racisme environnemental.

« Je dirais que c’est l’élément le plus important de ce projet de loi », note Victoria Watson, avocate-conseil chez Ecojustice et membre de la bande des Oneida.

Elle croit que cela met en évidence les raisons pour lesquelles la lutte contre le racisme environnemental a pris autant de temps au Canada, comparativement aux États-Unis, ce qui constitue la nature systémique et enracinée du racisme environnemental.

Pour y remédier, il faut écouter les personnes les plus touchées.

« La portée de la mise en œuvre de la mesure législative, la valorisation requise des revendications et l’examen sérieux qu’exige la situation représentent les aspects où, selon moi, cette loi pourrait avoir une énorme incidence ou présenter des lacunes majeures en matière d’application », observe Me Watson.

Compte tenu de la méfiance qui existe dans les collectivités qui souffrent depuis longtemps de racisme environnemental, il est important que la loi soit mise en œuvre de manière à aborder les problèmes systémiques tout en répondant aux préoccupations immédiates des personnes que cet enjeu touche, croit-elle.

Pour des collectivités de partout au pays, les effets se manifestent constamment, notamment pour la bande des Chippewas de Sarnia, dans le sud-ouest de l’Ontario, qui doit composer depuis longtemps avec des problèmes de qualité de l’air provenant d’installations industrielles voisines de la région appelée « Chemical Valley » de Sarnia. Ce printemps, certains membres de la communauté ont été hospitalisés en raison des fortes émissions de benzène provenant d’une usine de produits chimiques située à proximité, ce qui a amené la communauté à déclarer l’état d’urgence et a incité le gouvernement fédéral à intervenir, invoquant la nécessité de préconiser la justice environnementale.

Sean O’Shea, spécialiste des relations gouvernementales et des campagnes auprès d’Ecojustice, affirme que la nature systémique de cas comme celui-ci met en relief l’importance d’une approche coordonnée en matière de racisme environnemental.

« Nous ne pouvons pas avoir une situation où l’on joue au chat et à la souris, et où le gouvernement fédéral intervient une fois que les conséquences d’un pic de pollution se sont fait sentir. »

Certaines personnes sont d’avis que le projet de loi ne mène pas à des engagements assez concrets, en particulier lorsque vient le temps de déterminer des façons précises dont des titulaires de droits sont consultés ou les ressources qui sont allouées à la résolution du problème.

« Ce projet de loi est plein de bonnes intentions, mais le Canada ne s’engage à rien », dit Liam Smith, avocat de la Nouvelle-Écosse qui travaille principalement avec des clients autochtones et qui a pris la parole devant le comité sénatorial permanent responsable du projet de loi.

« Je pense finalement que ce à quoi cela se résume, c’est combien d’argent cela va coûter. »

Il dit que, en fin de compte, le racisme environnemental ne sera pas résolu par un seul projet de loi.

« La réalité est qu’il faudra un éventail de textes législatifs et politiques, ainsi que de sensibilisation et d’éducation sociétales. »

Néanmoins, des militants croient que le projet de loi constitue une étape importante.

Lorsque Ingrid Waldron, titulaire de la chaire HOPE en paix et santé du programme de paix mondiale et de justice sociale de l’Université McMaster, s’est assise pour la première fois dans un Starbucks à Halifax en 2015 pour discuter des préoccupations en matière de racisme environnemental avec la députée Lenore Zann, elle n’envisageait même pas une mesure législative.

« Je pensais seulement qu’elle était une politicienne et qu’elle pourrait nous aider. »

Après près d’une décennie de travail de représentation auprès d’organismes partenaires en Nouvelle-Écosse et partout au pays, Mme Waldron se réjouit de l’adoption du projet de loi, mais affirme que son efficacité repose sur l’exécution de la stratégie nationale de justice environnementale et sur la mesure dans laquelle les collectivités sont invitées à être des partenaires dans l’élaboration de solutions.

« C’est ce qui va permettre au projet de loi de prendre racine et de se traduire par des mesures. »

En fin de compte, elle croit que, pour que la loi change réellement la donne, il faut la vigilance constante des groupes et des personnes qui ont contribué à l’amener jusque-là.

« Ce qui s’est passé jusqu’ici m’exalte, mais le travail ne fait que commencer, dit-elle. Si nous ne maintenons pas la cadence et nous ne demandons pas au gouvernement d’être sérieux dans la résolution et la promotion de ce problème, le projet de loi deviendra une fois de plus un simple bout de papier. Nous devons les garder à l’œil pour nous assurer qu’ils agissent vraiment. »