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Contrer l’écoblanchiment

De nouvelles dispositions à la Loi sur la concurrence mettent un frein aux fausses déclarations environnementales pour rétablir la confiance des consommateurs et des investisseurs

Greenwashing emissions claims
iStock/Tanaonte

Lorsque les entreprises font des déclarations environnementales concernant leurs produits ou leurs pratiques au Canada, les vœux pieux ne font plus l’affaire; elles doivent désormais joindre le geste à la parole.

Les nouvelles dispositions sur l’écoblanchiment incluses dans les modifications apportées à la Loi sur la concurrence le mois dernier suivant l’adoption du projet de loi C-59 interdisent les déclarations environnementales trompeuses, exigeant que les déclarations se fondent sur une « épreuve suffisante et appropriée » ou des « méthodes reconnues à l’échelle internationale ».

La Loi comprend maintenant aussi des droits privés d’action, autorisant les parties privées à intenter des actions en écoblanchiment devant le Tribunal de la concurrence, et assouplit les critères d’autorisation. Actuellement, seul le Bureau de la concurrence peut présenter des requêtes pour pratiques commerciales trompeuses.

« C’est une victoire pour les Canadiens et l’économie », affirme Catherine McKenna, ancienne ministre de l’Environnement et du Changement climatique du cabinet Trudeau et présidente du Groupe d’experts de haut niveau sur les engagements de zéro émission nette des entités non étatiques de l’ONU.

« L’écoblanchiment est un problème majeur, et lorsqu’on pense droit de la concurrence, on est censé protéger le consommateur et veiller à ce que le marché fonctionne correctement. L’écoblanchiment – ou les déclarations mensongères – influe très négativement sur les consommateurs qui cherchent à savoir quels produits et services sont réellement bons pour l’environnement. »

Selon Mme McKenna, ancienne avocate spécialisée en concurrence, cela entrave aussi le besoin fondamental des investisseurs d’avoir l’heure juste.

Un sondage réalisé par Deloitte l’an dernier démontre que 57 % des consommateurs canadiens se méfient de la plupart des déclarations d’écoresponsabilité faites par les marques, et sont confus et mécontents vu la profusion de ces déclarations. Ainsi, 46 % des Canadiens ne sont pas prêts à payer plus cher pour obtenir un produit durable, parce qu’ils n’arrivent pas à établir si ledit produit est vraiment durable.

Julien Beaulieu, avocat spécialisé en concurrence et auteur du rapport « L’écoblanchiment climatique au Québec et au Canada : comment renverser la vapeur? », avance que puisque les gens ne peuvent pas vérifier la véracité des déclarations des entreprises, ils se sentent vulnérables, ce qui les rend sceptiques, car ils risquent la déception. On ne voit maintenant plus dans les déclarations environnementales que de belles paroles.

Ce manque de confiance finit par nuire aux marques qui investissent dans des produits et pratiques plus écologiques et durables, parce qu’elles ne peuvent pas se distinguer des écoblanchisseurs.

« Avec cette loi, l’information environnementale aura plus de valeur, et les paroles creuses laisseront place à des déclarations vérifiables sur lesquelles baser ses décisions », se réjouit Me Beaulieu, qu’il s’agisse de choisir sa banque ou son employeur.

Les amendes pour écoblanchiment sont sévères, les sanctions administratives pécuniaires pour une personne morale correspondant au plus élevé des montants entre 10 millions de dollars (pour la première ordonnance;15 millions pour les ordonnances subséquentes) ou trois fois la valeur du bénéfice tiré de la déclaration trompeuse. Si ce montant ne peut pas être déterminé, la personne morale s’expose à une sanction correspondant à 3 % de ses recettes mondiales brutes annuelles.

Dans les jours ayant précédé la sanction royale, Pathways Alliance, un groupe d’entreprises de combustibles fossiles du secteur pétrolier de l’Alberta, a retiré tout le contenu de son site Web et de ses comptes de médias sociaux.

D’autres entreprises d’extraction lui ont emboîté le pas.

Dans un communiqué commun, (disponible uniquement en anglais) les membres de l’Alliance – Canadian Natural, L’Impériale, MEG Energy, Cenovus Energy, ConocoPhillips Canada et Suncor Énergie – ont affirmé ceci : « Notre capacité de transparence est grandement compromise par l’adoption du projet de loi C-59. »

« Instaurer une norme de divulgation publique qui est tellement vague qu’elle ne fait aucun sens et qui se fonde sur une "méthode reconnue à l’échelle internationale" non définie ouvre la porte aux procès frivoles, surtout du côté des entités privées, qui pourront dorénavant faire appliquer directement la nouvelle disposition de la Loi sur la concurrence », ajoutent-ils.

« Cela constitue une menace grave à la liberté de communication. »

Selon Lisa Baiton, présidente-directrice générale de l’Association canadienne des producteurs pétroliers (ACPP), la menace de sanctions très élevées limitera la capacité de beaucoup de Canadiens de participer aux débats entourant les décisions de fond sur le climat et l’environnement et empêchera les entreprises de faire connaître leurs efforts sur le plan environnemental.

« Cette loi vise à faire taire le secteur de l’énergie et les gens qui le soutiennent pour laisser le champ libre aux personnes qui s’y opposent », écrit-elle.

« C’est pourquoi l’ACPP a décidé de limiter l’information publiée sur son site Web et ses autres plateformes numériques d’ici à ce que le Bureau de la concurrence explique comment les modifications seront appliquées. »

Mme Baiton avance que les modifications ont été présentées sans consultation ni directives précises ou normes de conformité à suivre, ce qui fait courir « un risque élevé » aux entreprises de tout le Canada.

« Cela a certainement engendré de l’incertitude », affirme Conor Chell, avocat spécialisé dans les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) pour KPMG, à Calgary.

La Loi exige que les indications visant les avantages d’un produit pour la protection ou la restauration de l’environnement soient appuyées par des épreuves suffisantes et appropriées et que les indications visant les avantages d’une entreprise ou de ses activités pour la protection ou la restauration de l’environnement ou encore l’atténuation des causes ou des effets des changements climatiques, comme les déclarations de carboneutralité, se fondent sur une méthode reconnue à l’échelle internationale.

Me Chell précise que si la jurisprudence définit ce qu’on entend par « épreuves suffisantes et appropriées » pour l’application d’autres lois, la Loi ne définit pas et n’explique pas ce qui est entendu par « méthode reconnue à l’échelle internationale ».

Toutefois, il croit que le gouvernement voulait une approche flexible plutôt qu’exhaustive ou prescriptive pour éviter des normes et méthodes propres à l’industrie ou à une province ou un territoire.

Me Beaulieu fait remarquer qu’il y a beaucoup de termes non définis dans la Loi, mais qu’« il s’agit d’une loi d’application générale, donc il est logique qu’elle énonce des généralités ».

Il revient aux tribunaux d’interpréter les termes, mais le gouvernement peut prendre des règlements d’application s’il veut les préciser.

Ayant reçu un « grand nombre de demandes pour obtenir des orientations » sur l’interprétation des dispositions visant l’écoblanchiment, le Bureau de la concurrence a lancé une consultation publique et prévoit élaborer des orientations de manière accélérée.

Quant aux « procès frivoles » que craint l’industrie, Me Beaulieu fait remarquer que seul le Bureau de la concurrence pourra intenter des poursuites dans la prochaine année. Et une fois le droit privé d’action en vigueur, il faudra obtenir l’autorisation du Tribunal de la concurrence avant de pouvoir donner suite à la demande d’une partie privée.

« Le Bureau est minutieux et assez prudent; il connaît l’effet de ses mesures d’exécution. Il ne souhaitera pas décourager davantage les déclarations d’écoresponsabilité. »

Cela dit, Me Chell trouve intéressant que les dispositions d’exécution et les dispositions sur l’écoblanchiment aient précédé les obligations légales de déclaration des facteurs ESG et de déclaration de durabilité. 

« Les risques juridiques sont très nombreux pour les organisations devant faire de telles déclarations », dit-il.

« Cela signifie pour la plupart des entreprises une refonte de leurs déclarations de durabilité ou déclarations des facteurs ESG, mais aussi de leurs stratégies, programmes, politiques, processus et mécanismes de contrôle. Elles doivent maintenant envisager tout ce qu’elles font et aborder la durabilité sous l’angle juridique. »

Dans une déclaration commune (disponible uniquement en anglais) la première ministre de l’Alberta, Danielle Smith, le ministre de l’Énergie et des Minéraux, Brian Jean, et la ministre de l’Environnement et des Aires protégées, Rebecca Schulz, qualifient la Loi de « draconienne » et d’« acte de censure absurde et autoritaire » visant à empêcher les « entités privées de communiquer de l’information exacte et factuelle qui contredit d’ailleurs les discours extrêmes et mensongers sur le pétrole et le gaz tenus par le NPD et le Parti libéral au fédéral », ainsi que par des « extrémistes écologiques comme le ministre Steven Guilbeault ».

Mme McKenna indique que tous les partis étaient d’accord avec la Loi et ajoute qu’il n’est pas question de liberté d’expression, mais de véracité de la publicité.

« Ce n’est pas une attaque contre l’Alberta ou l’industrie du pétrole et du gaz. C’est une mesure universelle. La Loi oblige simplement à dire la vérité, et donc avant de parler, d’avoir des preuves de ce qu’on avance. Le Canada n’est pas en train de réinventer la roue », rectifie-t-elle, faisant remarquer que tous les pays du G7 exigent des publicités véridiques.

Dans la même veine, elle ajoute qu’il est « très révélateur » que tant de contenu ait été retiré du Web par les entreprises de l’industrie juste avant l’adoption du projet de loi C-59.

« Manifestement, leurs conseillers juridiques, je présume, les ont averties de leur position très risquée parce qu’elles ne disent pas la vérité dans leurs publicités et ne peuvent donc pas soutenir ce qu’elles avancent. »

L’industrie dit vouloir faire partie de la solution, et beaucoup d’entreprises se sont engagées à atteindre la carboneutralité, affirme Mme McKenna qui, avec le Groupe d’experts de haut niveau de l’ONU, définit les normes des engagements zéro émission nette. Parmi ces engagements, on retrouve une réduction des émissions comme telles en fonction des objectifs scientifiques, une abstention d’investir dans de nouvelles infrastructures de combustibles fossiles et une mise à terme du lobbyisme contre l’action climatique.

Elle affirme que l’industrie pétrolière et gazière du Canada ne fait rien de cela. Les émissions provenant des sables bitumineux sont en hausse, et les entreprises n’investissent pas dans des solutions propres à grande échelle. Selon les derniers rapports, la capture de carbone ne débouchera pas sur les réductions promises par l’industrie.

« Pourtant, où que l’on regarde, tout le monde dit faire partie de la solution… alors que nous sommes dans une crise climatique attribuable aux combustibles fossiles. »