Élargir la Banque nationale de données génétiques du Canada
Un projet de loi du Parti conservateur au Sénat visant à élargir la collecte d’ADN par la police pour la Banque de données génétiques (BNDG) suscite des critiques concernant une possible exagération, des violations de la vie privée et le renforcement du racisme structurel.
Le sénateur Claude Carignan, parrain du projet de loi S-231, soutient que sa proposition améliorera la sécurité publique et simplifiera les procès criminels en facilitant l’identification par les empreintes génétiques dans les enquêtes policières et dans les procédures judiciaires.
À l’heure actuelle, les prélèvements d’ADN sont limités aux personnes reconnues coupables d’infractions graves, comme les meurtres et les agressions sexuelles, mais le projet de loi étendrait cette pratique aux infractions secondaires comme la fraude.
La BNDG actuelle utilise un système CODIS développé par le FBI, assurant une identification discrète sans révéler d’autres traits, comme la race, l’état de santé ou les prédispositions génétiques.
Michael Crawford, Ph. D., professeur à l’Université de Windsor et spécialiste en confidentialité des données génétiques, a exprimé des préoccupations devant un comité sénatorial au sujet de la proposition du projet de loi d’inclure les recherches familiales.
Si les forces de l’ordre obtiennent un prélèvement d’ADN sur une scène de crime et qu’il n’y a pas de correspondance directe dans la base de données, mais qu’un chevauchement partiel est découvert, cela suggère que l’échantillon provient probablement d’un parent de quelqu’un se trouvant dans la base de données. « Cela va vraiment à l’encontre de la présomption d’innocence », dit M. Crawford, croyant que cela viole aussi la vie privée et suppose la culpabilité par association en suggérant un lien héréditaire à la criminalité.
Il ajoute que de nombreux profils dans la banque de données proviennent de communautés minoritaires, comme les Noirs ou les Autochtones, qui sont déjà surreprésentés dans le système carcéral. Il soutient également que le projet de loi contreviendrait à la Loi sur la non-discrimination génétique en transformant malgré eux des membres de la famille en « informateurs génétiques » à cause des correspondances génétiques.
M. Crawford explique que la Cour suprême du Canada a statué dans des affaires qui permettent à la police de recueillir de l’ADN à partir d’objets, comme une canette de Coca-Cola ou un mouchoir, trouvés dans des ordures sans avoir besoin d’un mandat. En ayant recours à de tels moyens, une personne peut être son propre informateur involontaire. Si la police soupçonne un membre de la famille, elle pourrait cibler cet ADN. « Il y a là de gros problèmes éthiques », dit-il.
La sénatrice indépendante Paula Simon a également soulevé des préoccupations au sujet du projet de loi devant un comité, en particulier en ce qui concerne les personnes jugées non criminellement responsables en raison d’une maladie mentale. Elle soutient que la collecte de leur ADN constituerait une violation de leurs droits.
« Prendre l’information génétique d’une personne alors qu’elle n’a peut-être pas la capacité d’y consentir, je m’oppose à cela », dit la sénatrice Simon, bien que l’ADN puisse être recueilli auprès de personnes reconnues non criminellement responsables dans certains cas.
De plus, selon Tony Paisana, associé chez Peck and Company à Vancouver, les taux de récidive sont considérablement faibles chez les personnes déclarées non criminellement responsables qui reçoivent des traitements.
« Il n’y a pas la même justification de politique publique pour la collecte d’ADN auprès des personnes déclarées non criminellement responsables que pour celles qui sont considérées comme criminellement responsables, dit Me Paisana. En outre, compte tenu des progrès dans les technologies génétiques, nous ne pouvons pas prédire les futures implications de la conservation de l’ADN de quelqu’un pendant des décennies », ajoute-t-il.
La Criminal Lawyers' Association, représentée par Stephanie DiGiuseppe de Henein Hutchison Robitaille LLP, à Toronto, a exprimé des préoccupations devant le comité au sujet de la collecte d’empreintes génétiques chez les jeunes contrevenants et contrevenantes.
Me DiGiuseppe s’inquiète des répercussions à long terme de la collecte d’ADN, en particulier pour les jeunes contrevenants « qui pourraient être en vie dans 80 ou 90 ans ». Elle ajoute que le système de justice reconnaît le potentiel de réadaptation des jeunes et que, par conséquent, la collecte d’ADN soulève de grandes préoccupations dans leur cas.
Compte tenu de la surreprésentation des Noirs et des Autochtones au sein du système judiciaire, Mme Simon s’inquiète de « l’amplification de cet effet ».
« Si la grande majorité des échantillons que vous prélevez proviennent d’Autochtones, alors lorsque vous faites des appariements familiaux, vous obtiendrez un nombre disproportionné de correspondances d’Autochtones parce que celles-ci représenteront la majeure partie de la base de données. »
Mme Simon affirme que cela accélérera l’incarcération des Noirs et des Autochtones.
En conséquence, Me DiGiuseppe affirme que les communautés sur lesquelles de nombreuses données sont recueillies et qui sont soumises à des interventions policières encaisseront l’essentiel de la perte de vie privée en lien avec leur matériel génétique. « Nous ne pouvons pas avoir la conviction que les libertés dont nous jouissons aujourd’hui continueront à tout jamais », dit-elle, évoquant de récents reportages de sociétés commerciales de tests ADN qui ont été piratées pour recueillir des informations sur des Juifs ashkénazes. « Il y a des pirates très sophistiqués qui semblent vraiment vouloir accéder à ces informations à des fins néfastes », explique Me DiGiuseppe.
Me Paisana illustre les dangers du profilage racial, mentionnant un récent cas en Colombie-Britannique où l’ADN d’un jeune de 13 ans victime d’un assassinat a mené jusqu’à la communauté kurde. La police a mis en place un système de collecte d’ADN utilisant un test de dégustation de thé pendant les célébrations entourant le Norouz, ce qui leur a permis de trouver une correspondance. La défense a présenté sans succès une requête d’abus de procédure devant la Cour.
La sénatrice Simon a proposé d’amender le projet de loi S-231 afin que les changements ne s’appliquent pas aux personnes qui sont déclarées non criminellement responsables. Un autre amendement proposé éliminerait l’appariement familial. Ces modifications ont été adoptées en comité, mais ne l’ont pas encore été par le Sénat.
M. Crawford souligne une idée fausse commune qui anime le débat sur la collecte d’ADN. Il y a une croyance, peut-être influencée par des émissions comme CSI, que l’ADN est une preuve infaillible liant directement des individus à des scènes de crime, explique-t-il. Cependant, la réalité est plus complexe. L’ADN peut être transféré par inadvertance sur une scène de crime ou sur une personne avec laquelle vous n’avez pas interagi. « Le résultat est que vous ferez l’objet d’une surveillance intense de la part de la police et que la vision tubulaire est dangereuse. »
M. Crawford souligne l’utilisation croissante par la police des sites de généalogie génétique. « C’est une zone grise », dit-il, en se référant à l’autoréglementation de la pratique, qui devrait soulever des inquiétudes quant à son utilisation courante sans mandat à l’avenir.
Pour sa part, Me Paisana suggère l’exigence d’une autorisation judiciaire non seulement pour les recherches familiales, mais aussi pour les recherches généalogiques afin d’assurer la confidentialité. « S’il y a des raisons de croire que la banque de données génétiques a quelque chose de pertinent parce qu’un suspect est lié à quelqu’un qui a un profil génétique, et que vous voulez faire la correspondre de cette façon, obtenez un mandat », dit-il.
Enfin, M. Crawford est préoccupé par les implications de l’évolution des technologies. Il discute de l’utilisation des puces à ADN par des entreprises commerciales comme Othram et Parabon, qui peuvent analyser de grandes quantités de données génétiques. Il y va d’une mise en garde contre les risques d’atteinte à la vie privée, car des individus peuvent involontairement télécharger des profils sur diverses plateformes, s’exposant ainsi à des analyses exhaustives.
« C’est quelque chose de compliqué et de désordonné que personne ne traite vraiment à tous les niveaux, qu’il s’agisse de la contamination d’échantillons d’ADN ou de la mesure dans laquelle les technologies sont poussées pour utiliser des échantillons d’ADN progressivement plus dégradés, et ça devient vraiment délicat. »