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S’engager en matière de biodiversité

À la suite de l’adoption du Cadre mondial de la biodiversité à Montréal, Ottawa a annoncé qu’elle présenterait en 2024 un projet de loi sur la responsabilité envers la nature. Que doit-il contenir?

Biodiversity

Prenant la parole à la Conférence des Nations Unies sur le changement climatique (COP28) à Dubaï, le ministre de l’Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbeault, a dit que l’objectif consistait à établir un cadre de responsabilisation pour qu’Ottawa respecte ses engagements sous le régime du Cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal.

Il est à noter que cette annonce s’est faite pendant les pourparlers mondiaux sur le climat. En dépit du lien étroit entre la biodiversité et les crises climatiques, celles-ci n’ont jusqu’à présent pas été traitées de cette manière dans le droit ou dans les politiques. Toutefois, M. Guilbeault a été clair : « Ce sont, en fait, des objectifs inséparables. »

Le cadre fixe 23 objectifs visant à faire cesser et à inverser la perte de biodiversité d’ici 2030, à parvenir à un rétablissement complet de la nature d’ici 2050 et à s’engager à protéger 30 % des terres et des océans d’ici 2030.

C’est ambitieux, et il est impératif qu’il en soit ainsi. Un rapport mondial historique publié en 2019 révélait qu’un million des huit millions d’espèces de plantes et d’animaux dans le monde étaient menacés d’extinction. Au Canada, une espèce sur cinq est en péril. Et pourtant, la prise de mesures tarde. Le Canada a signé la Convention sur la diversité biologique en 1992. En 2018, la commissaire à l’environnement du Canada a publié un rapport troublant qui concluait que le gouvernement fédéral « n’avait toujours pas de plan pour atteindre les objectifs canadiens pour la biodiversité », les objectifs en place étant « non contraignants » plutôt que pratiques.

Stephen Hazell, avocat spécialisé en droit de l’environnement à la retraite et fondateur d’EcoVision Law, a travaillé avec Ecojustice, West Coast Environmental Law et Greenpeace pour faire pression en faveur de l’adoption d’une loi fédérale sur la responsabilité. Il croit que le Canada est resté les bras croisés pendant trente ans pendant que des espèces disparaissaient. Il dit qu’une législation est essentielle pour stimuler la prise de mesures.

Que doit inclure cette mesure législative?

Elle doit inscrire les obligations de nature internationale du Canada dans la loi et établir les cibles du Cadre mondial de la biodiversité en tant que dispositions individuelles. Elle doit aussi exiger des gouvernements qu’ils rendent régulièrement compte des progrès accomplis. « De cette façon, si l’objectif n’est pas atteint, il y aura des conséquences », souligne Me Hazell.

« Nous ne serons peut-être pas en mesure d’obtenir cela dans le texte législatif même, cela pourrait se faire dans un règlement, mais nous voulons que ces objectifs soient énoncés dans la loi. »

La loi doit également exiger l’établissement de stratégies et de plans d’action exhaustifs qui démontrent la façon dont la mosaïque de lois et de règlements existants s’harmonisera avec les mesures provinciales et autochtones pour assurer l’atteinte des cibles et des objectifs.

Me Hazell poursuit que, historiquement, les stratégies de biodiversité sont élaborées de manière à donner au gouvernement une apparence favorable sans réellement faire grand-chose pour la nature. Pour éviter cela, les exigences de la stratégie doivent être clairement prescrites.

En ce qui concerne les plans d’action, il soutient que la législation doit contenir des dispositions liées à des mesures correctives afin de recourir à plus de ressources lorsque les efforts pour atteindre des objectifs s’avèrent insuffisants.

Un comité consultatif devrait aussi être mis sur pied pour orienter la mise en œuvre des cibles du Cadre mondial de la biodiversité et pour permettre au commissaire à l’environnement de vérifier le travail effectué.

Idéalement, un mécanisme de protection relierait la législation sur la biodiversité à d’autres lois fédérales, déclare Me Hazell. Ce mécanisme serait déclenché lorsqu’une cible ne serait pas atteinte, ce qui empêcherait d’autres lois fédérales de saper les cibles et les objectifs du cadre.

« C’est plus compliqué et cela serait plus substantiel, dit-il. Cependant, si le gouvernement ne veut pas le faire, peut-être pouvons-nous discuter avec les partis d’opposition pour présenter une modification à la loi. »

Il ne faudrait pas réinventer la roue pour ébaucher ce projet de loi. La Loi canadienne sur la responsabilité en matière carboneutralité, adoptée pour veiller à ce que le Canada travaille sérieusement sur les changements climatiques, établit une feuille de route. Il s’agit d’une approche réussie qui a forcé le gouvernement fédéral à élaborer un plan climatique plus détaillé afin d’atteindre les cibles établies.

« Nous espérons que cette loi rendra aussi beaucoup plus difficile la tâche du gouvernement fédéral, affirme Anna Johnston, avocate chez West Coast Environmental Law. Le Canada a été en mesure de prétendre qu’il fait toutes sortes de bonnes choses par rapport à la biodiversité alors que les statistiques montrent clairement sa tendance à aller dans la mauvaise direction. »

Aussi, bien que le gouvernement fédéral se soit engagé à atteindre les objectifs du Cadre mondial de la biodiversité, cela exige des efforts de collaboration de tous les ordres de gouvernement.

Me Hazell est d’avis que la loi sur la responsabilisation fera pression sur les provinces pour qu’elles prennent des mesures touchant les terres qu’elles contrôlent. À ce jour, ils n’ont fait aucun effort sérieux pour faire cesser ou pour inverser la perte de biodiversité. Même si une disposition du Cadre mondial de la biodiversité exige des parties qu’elles adoptent une loi visant à protéger les espèces en péril, la plupart des provinces ne l’ont jamais fait, et les quelques provinces qui se sont pliées à cette exigence ont depuis fait marche arrière.

Toutefois, en mai, la plupart des provinces et des territoires ont convenu d’adopter une approche collaborative avec le gouvernement fédéral pour le renouvellement de Stratégie nationale pour la biodiversité.

« Ils ont une énorme responsabilité dans ce domaine, dit Me Johnston. Dans la mesure où les provinces ne respectent pas leur engagement, la législation peut assurer la transparence et montrer cela. »

Contrairement à la loi sur la responsabilité en matière de carboneutralité, qui a un seul objectif, soit réduire les émissions, la législation sur la responsabilité en matière de biodiversité sera plus complexe.

« Nous parlons d’espèces en péril, d’aires protégées, de la restauration d’habitats, d’espèces envahissantes, de pollution et de changements climatiques, explique Me Hazell. Tous ces éléments sont importants, ce qui rend le travail beaucoup plus considérable. »

En plus des provinces, il affirme que les peuples autochtones, qui gèrent la plupart des terres non défrichées au Canada, sont essentiels pour assurer la réussite de cette initiative. Même si le gouvernement fédéral n’était pas d’accord pour rédiger la loi en collaboration avec les Autochtones, Me Hazell affirme que les nations autochtones doivent être engagées, habilitées et impliquées, et avoir les ressources nécessaires pour effectuer le travail.

La bonne nouvelle, c’est que malgré toute la consternation constitutionnelle sur les questions environnementales au Canada, la biodiversité ne sème pas trop la zizanie. Aussi polarisé que soit l’enjeu du climat, Me Johnston affirme que les provinces n’ont pas fait du tapage au sujet de la loi sur la responsabilité en matière de carboneutralité ou ne l’ont pas contestée devant les tribunaux. L’industrie non plus.

Elle ne s’attend pas non plus à ce que la loi sur la responsabilité en matière de biodiversité soit remise en question, car la volonté politique est là.

« C’est vraiment encourageant de voir ce gouvernement, qui a en quelque sorte mis sa réputation sur le climat en jeu, comprendre l’importance de protéger la biodiversité. »