Le juge en chef préoccupé par la désinformation, le manque de ressources
Les élus devraient lire les décisions de la Cour suprême avant d’en parler
Lors de son point de presse annuel, le juge en chef de la Cour suprême du Canada, le très honorable Richard Wagner, a fait part de ses préoccupations concernant la désinformation qui mine la confiance dans le système judiciaire et le sous-financement des tribunaux par les gouvernements provinciaux.
Il dit qu’ils n’ont pas fait assez pour empêcher l’arrêt des procédures selon les délais institués par la Cour dans l’affaire R. c. Jordan.
« Un seul arrêt des procédures, c’est un de trop », a déclaré le juge en chef Wagner aux journalistes.
« Le problème est que dans certaines provinces, il n’y a pas assez de financement et il n’y a pas assez de juges, donc la personne accusée ne peut pas avoir son procès dans un délai raisonnable, et nous avons dit dans Jordan que c’était un maximum de 30 mois ».
Il a rappelé que l’arrêt Jordan est la conséquence d’un manque de financement et d’investissements gouvernementaux et que ce n’est pas une situation à laquelle nous devrions nous adapter.
Le juge en chef précise que les gouvernements, en particulier les gouvernements provinciaux, puisqu’ils sont responsables de l’administration de la justice, devraient fournir suffisamment de fonds pour garantir qu’un procès aura lieu dans un délai raisonnable et garantir que les délais fixés dans l’arrêt Jordan sont respectés. Il a déclaré qu’il n’était pas juste pour l’accusé, pour les victimes, pour les témoins ou pour la société, de constater ce genre de retards.
« Les élus devraient s’assurer qu’un procès criminel se déroule dans un délai de 30 mois », a indiqué le juge en chef Wagner.
Cependant, il s’est dit encouragé par le fait que le gouvernement fédéral ait réduit l’arriéré de postes à pourvoir à la magistrature d’environ 90 postes il y a un an à 57 postes. Il s’est également dit convaincu que le gouvernement fédéral pourrait pleinement rectifier cette situation.
Néanmoins, il a dit que les juges en chef de certains tribunaux, notamment ceux de la Colombie-Britannique et de l’Ontario, lui ont confié qu’ils avaient de la difficulté à attirer des talents à la magistrature. Cela s’explique en partie par le fait que les salaires ne rivalisent pas avec le potentiel de gains qu’offre un cabinet privé. D’autres problèmes incluent les conditions de travail sur le banc, le manque de soutien dans la plupart des provinces, le retard technologique et la détérioration des conditions.
« Nous devons nous assurer que chacun joue son rôle : le gouvernement fédéral dans la nomination des juges, et les gouvernements provinciaux dans le soutien à l’administration de la justice dans leur province », a-t-il expliqué.
« Ils devraient peut-être se parler davantage de leurs besoins ».
Il a également réitéré ses inquiétudes quant à la désinformation qui mine la confiance dans le système judiciaire, en partie parce que les acteurs politiques ne lisent pas les décisions avant de se prononcer sur celles-ci. Un exemple concerne l’utilisation du terme « personne ayant un vagin », qui a vu des chroniqueurs et des acteurs politiques se braquer contre cette expression. L’Assemblée nationale du Québec a d’ailleurs adopté une motion dénonçant cette décision à l’unanimité, affirmant qu’elle rend les femmes invisibles. Certaines parties prenantes ont par la suite reconnu qu’elles auraient dû gérer la situation différemment.
En français, le juge en chef a indiqué que la désinformation circulait parce que les gens n’avaient pas lu la décision par eux-mêmes.
Il a souligné une tendance connexe selon laquelle les politiciens scrutent davantage les juges que les jugements.
« C’est une chose d’exprimer son désaccord avec une décision, mais c’en est une autre de la critiquer en raison de l’identité du juge ou de la manière dont il a été nommé », a-t-il affirmé.
« Des commentaires de ce genre sapent la confiance du public dans le système judiciaire. Nous devrions être particulièrement inquiets lorsque les élus disent de telles choses ».
Les inquiétudes quant à la confiance dans le système judiciaire ont amené des acteurs politiques à menacer d’invoquer la disposition de dérogation pour réformer les lois liées à la mise en liberté sous caution et à la détermination de la peine, comme l’a menacé le chef conservateur Pierre Poilievre en avril dans un discours devant l’Association canadienne des policiers. La semaine dernière, le député du Bloc Québécois, Denis Trudel, a déposé le projet de loi C-392, qui invoque la disposition de dérogation pour annuler la décision Jordan afin d’empêcher l’arrêt des procédures dans les affaires criminelles.
Interrogé sur cette perception de perte de confiance, le juge en chef est revenu sur ses inquiétudes quant à la nécessité de débattre de bonne foi et de ne pas tenter de miner le système judiciaire.
« Si le public comprend le système judiciaire et qu’il a confiance en lui, la démocratie survivra et deviendra plus forte », a-t-il déclaré.
« Cela revient au même élément : nous devons veiller à ne pas affaiblir nos institutions, notre système judiciaire, nos tribunaux et nos juges. Être ouvert aux critiques, être ouvert au débat, cela fait partie d’une démocratie forte, mais ne mettez pas en doute l’institution, car les gens, en particulier les plus vulnérables, perdront confiance dans les institutions ».
Afin de supprimer tout obstacle, en particulier pour les plaideurs qui se représentent eux-mêmes, le juge en chef a rappelé que la Cour suprême avait supprimé les frais de dépôt et que l’utilisation du portail de dépôt électronique de la Cour était désormais obligatoire. Il a également souligné que le Conseil canadien de la magistrature est heureux que le projet de loi C-9, qui modifie la Loi sur les juges, soit désormais une loi et qu’une nouvelle politique sur la publication des décisions en matière de conduite judiciaire ait été adoptée.